L’implantation progressive des algorithmes de renseignement pour la sécurité nationale

Les attentats du 14 novembre 2015 ont placé la France dans un état d’urgence, qui a pris fin en novembre 2017. Lors de ce contexte exceptionnel, le Gouvernement s’est affairé à l’établissement de nouveaux instruments modernes pour la lutte contre le terrorisme, au travers de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (loi « SILT »). Le 7 octobre 2020, la commission des lois du Sénat s’est réunie à nouveau afin de pérenniser plusieurs dispositifs expérimentaux contenus dans cette loi, notamment l’utilisation d’algorithmes de renseignement.

Retour du débat sur la sécurité et les libertés citoyennes

Appliqués en 2017, les algorithmes de renseignement ont été le fruit de deux années « d’intenses travaux techniques et d’échanges nourris avec la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) » et le Gouvernement, comme mentionné dans son rapport sur l’application de cette expérimentation, remis au Parlement fin juin 2020. Cette disposition expérimentale, initialement portée à expiration pour le 31 décembre 2018, a finalement été prorogée jusqu’à décembre 2020. Cette évolution du renseignement par l’utilisation de nouveaux instruments, questionne sur l’équilibre entre sécurité et libertés des citoyens français. Bien que les quatre premiers articles de la loi SILT aient été salués pour leur efficacité par Éric Ciotti, membre de la commission des lois, la fermeture des lieux de culte, inscrit dans l’article 2 de la loi ainsi que les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, inscrit dans l’article 3 pourraient poser problème auprès des citoyens, en cas de pérennisation en dehors des contextes exceptionnels de leur première application.

C’est au cours de la séance du 7 juillet 2020 de la commission de la défense nationale et des forces armées que Loïc Kervran, député du Cher et rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, présente la nécessité d’une prolongation de cette disposition pour les forces de sécurité. L’objectif : « recueillir, traiter, analyser et recouper un grand nombre d’éléments techniques anonymes pour détecter des signaux de faible intensité sur des données brutes, qui témoignerait dune menace pour la sécurité nationale », un indicateur opérationnel « déterminant pour orienter lenquêteur dans sa stratégie dinvestigation » précise le Gouvernement dans son rapport au Parlement. Ces précisions sont d’une grande importance, puisqu’elles démontreraient, pour Loïc Kervran, un consensus entre sécurité nationale et respect des droits des citoyens. Cependant, pour Thomas Gassilloud, député du Rhône, ce débat souvent appliqué au fonctionnement du renseignement français « occulte un autre débat, celui qui porte sur la faisabilité et lutilité. » Il ajoute que « la bonne innovation est celle qui répond à un besoin opérationnel. La question que nous devons nous poser ici est de savoir si les algorithmes sont utiles. Notre réponse est clairement oui.» Il faut maintenant travailler sur une intégration sociale et juridique de ces nouveaux instruments dans la sécurité intérieure.

Les mesures de contrôle et calibrage des algorithmes

La mission de ces algorithmes ne se trouve pas dans la collecte de données pour une surveillance de masse. Il s’agit surtout de limiter le nombre d’alertes, qui seraient « sans intéts opérationnel pour les services » comme le précise le rapport du 30 juin 2020 sur l’application de l’article L.853-1 émis par le Gouvernement. Les deux années de travail du CNCTR et le Gouvernement sur ces trois algorithmes se justifient donc par cette volonté de définir le bon degré de précision des paramètres d’alerte, dans un souci du respect de la vie privée. En plus de préconiser que l’architecture des dispositifs soit placée sous la responsabilité du Groupement Interministériel de Contrôle (GIC), le CNCTR a émis des observations et des recommandations au Premier Ministre, qu’il a repris dans leur ensemble lors de sa décision classifiée du 27 avril 2017.

Quelle suite pour ces mesures expérimentales?

Censées expirer en décembre 2018, les mesures expérimentales ont été renouvelées suite à leur efficacité dans la lutte contre le terrorisme jusqu’au 31 décembre 2020. La récente décision de prorogation des mesures expérimentales, rendue par la commission des lois, rend ces dispositifs effectifs jusqu’à juillet 2021. En renouvelant les mesures jusqu’à juillet plutôt que décembre 2021, le Gouvernement inscrit la sécurité nationale dans une démarche d’innovation avec l’intégration d’un débat de fond sur l’utilisation de nouveaux instruments dans la lutte anti-terroriste. En effet, Loïc Kervran, en réponse à Jean-Michel Jacques, vice-président de la commission de la défense nationale et des forces armées, lors de la séance du mardi 7 juillet, a déclaré que « prolonger trop longtemps le dispositif, cest repousser le débat de fond et lintroduction de nouveaux outils. Cest pourquoi la date de juillet 2021 me semble offrir un bon équilibre : elle permet à l’Assemblée d’avoir un débat de fond, tout en évitant à nos services de perdre du temps pour se doter des bons outils. »

La menace terroriste et la sécurité des Français ne devant pas être négligées en temps de crise sanitaire, les mesures expérimentales ont été renouvelées. Selon le président de la commission, François-Noël Buffet, « alors que la menace terroriste reste présente, cette pérennisation et les ajustements que la commission a apportés aux dispositions actuelles, confortent la capacité d’action nécessaire de nos forces de sécurité ». La crise sanitaire a été déterminante dans cette décision puisqu’elle a bouleversé le calendrier parlementaire mais le projet de loi a finalement été examiné en séance publique par le Sénat le mercredi 14 octobre 2020.

2 jours avant que le débat sur les moyens et le renseignement de refassent débat avec l’attentat terroriste ayant ôté la vie à Samuel Paty, professeur de la république française.