L’impact de la COVID-19 sur la criminalité organisée

« Nous sommes aujourd’hui face à deux maladies : la COVID-19 qui est une maladie au sens médical, et la criminalité organisée, qui en est une au sens social» affirme Christophe Labeyrie, de la cellule renseignement financier Tracfin lors de la conférence du 14 octobre 2020, organisée par le CEIFAC à Strasbourg. Pour lutter contre ce « poison pour la démocratie » comme le décrit Chantal Cutajar, directrice générale du CEIFAC, il faut permettre aux enquêteurs, policiers, douaniers, juges et procureurs de travailler conjointement sur des enquêtes demandant des collaborations étroites. Opportunistes jouant de la peur et de l’urgence générale ou criminels désoeuvrés subissant la crise de plein fouet, les activités illicites ont explosé et se sont adaptées, donnant à Interpol, Europol et Tracfin, une masse de nouveaux dossiers à traiter pendant la crise.

Des réseaux criminels résiliants

La définition du crime organisé est la même pour toutes les organisations internationales : une structure d’au moins trois personnes, étendue dans le temps et étant à l’origine de délits graves punis d’au moins quatre ans de prison, pour des intérêts financiers.

En s’appuyant sur cette définition, Christophe Labeyrie s’est montré parfaitement clair : Tracfin n’a relevé « aucune pratique novatrice de la criminalité organisée dans l’épidémie mais un opportunisme certain pour maximiser les gains ». David Weinberger, sociologue et chercheur à l’INHESJ et membre de l’OFDT, confirme, « l’augmentation des activités sociétales en ligne ont suscité une augmentation de l’activité illégale sur le darkweb, avec les fausses loteries, les faux paris, l’ouverture de nombreux sites frauduleux ». La crise a aussi contraint les populations très affaiblies économiquement d’adapter ou modifier leur activité. La reconversion de petites entreprises européennes dans des activités illégales pour combler leur besoin de liquidités face aux refus de prêts de la part des banques est un exemple parmi d’autres. Pour Olivier Chainet, chef de groupe de renseignement financier et spécialiste dans la lutte contre le blanchiment d’argent, « certains secteurs économiques sont bien plus vulnérables ». Le secteur du transport permet de fournir une logistique, comme la mise à disposition de camions à des groupes criminels pour transporter de la drogue et des contrefaçons. Les secteurs de la santé et du ménage sont eux aussi très touchés, que ce soit la vente de produits sanitaires contrefaits (gels, masques, hydroxychloroquine) ou des fraudes sur des aides à domicile et des tests COVID, qui ont permis d’entrer dans des domiciles privés pour s’emparer des cartes bancaires des personnes âgées ou faire croire à des tests payants.

Les activités en ligne ont explosé et face à l’impossibilité d’opérer dans l’espace public, de nombreuses autres pratiques ont été appliquées. « Le climat d’anxiété a généré une criminalité forte » explique Olivier Chainet, et c’est ce qui a poussé les victimes à acheter « tout et n’importe quoi » avec des promesses de profits substantiels. Pour Alexander Resch travaillant à Interpol, les réseaux sociaux, les démarchages téléphoniques au nom d’infrastructures de santé ou encore les mails frauduleux se faisant passer pour des appels aux dons officiels ont permis de récolter énormément d’argent. Dans le contexte de crise sanitaire, c’est surtout les Non-Delivery Scams et les BEC & CEO frauds qui ont été les plus fructueux, en faisant jouer sur « l’urgence et la peur de la mort » poussant les infrastructures hospitalières à acheter de grandes quantités de faux masques et de gel. Ces fraudes se sont notamment traduites par des transferts d’un million de dollars d’Asie vers des comptes européens, sommes qui se divisent très rapidement sur plusieurs comptes dans différents pays pour empêcher et freiner le traçage de la part des autorités. L’activité en ligne a induit une surcharge des services postiers, qui ont rendu le travail des douaniers plus difficile dans le contrôle des envois de substances illicites. Face aux innovations des modus operandi criminels, les autorités ont dû, elles-aussi, adapter leurs pratiques.

Contrer la résurgence de la criminalité organisée

Les institutions internationales comme Europol ont pu enrayer de nombreuses tentatives de transactions et ont permis le démantèlement de nombreux groupes criminels. L’opération Pangea, lancée en 2008, a été particulièrement utile lors de la crise en concrétisant 121 arrestations, la saisie de 13 millions de produits dangereux et le démantèlement de 37 groupes criminels. D’autres initiatives permettent de lutter contre le développement de cette criminalité avec la création de l’EFFEC pour « s’attaquer à la fraude financière et faire coopérer ensemble des services qui travaillaient temporairement ensemble mais pas systématiquement. » explique Olivier Chainet. Il y a donc 3 unités permettant chacune de lutter contre les crimes économiques, financiers et la contrefaçon. Le plus gros défi lors de cette crise a surtout été d’assurer la continuité des services en établissant des outils de monitoring pour pouvoir s’adapter au télétravail. La communication a représenté l’une des priorités pour que les décisions soient transmises aux collaborateurs rapidement et de manière transparente avec le concours de « news », via la hiérarchie ou grâce au portail COVID-19. « Face à l’activité des réseaux sociaux et de la presse, la communication a été le plus grand défi face au nombre de décisions et la rapidité à laquelle elles étaient modifiées » précise Marc Simon, co-directeur du CEIFAC et chef de l’unité centrale d’analyse criminelle opérationnelle.

La fermeture des frontières et des ports a aussi laissé place à de nombreuses initiatives ou spéculations de la part des réseaux, notamment sur l’activité des douaniers, qui était bien plus active que prévu. L’arrêt des bateaux s’est traduit par un arrêt temporaire des trafics, mais une fois la logistique trouvée le commerce a repris à un rythme soutenu. Suite au long stockage de marchandises dans les pays exportateurs, d’importantes quantités ont pu être saisies, comme au Costa Rica en février 2020 avec la découverte de 5 tonnes de cocaïne destinée au port de Rotterdam.

Le décryptage du réseau Encrochat a été l’un des plus gros succès d’Europol puisqu’il a permis d’identifier une centaine de suspects, intercepter plusieurs tonnes de substances illicites et fermer des laboratoires de drogue synthétique. Cette réussite a été possible grâce à la collaboration franco-néerlandaise, soutenue par Europol qui a organisé un auditorium consacré au décryptage de cette « mine d’or d’informations » pour comprendre, faire des liens dans les communications et essayer de découvrir de nouveaux réseaux. Parallèlement, pour assurer la prévention et alerter les 194 pays membres d’Interpol des activités criminelles opérant sur leur territoire, Alexander Resch parle de la Purple Notice, à remplir par les États membres pour renseigner sur les méthodes des criminels. Interpol cherche aussi à promouvoir des techniques pouvant être appliquées par les autorités à l’échelle nationale pour intercepter des transactions illégales.

Pour Marc Simon, « il a fallu trouver un scénario pragmatique en cherchant ce qui doit être conservé ou modifié. En tant que police, nous pouvons déjà être fier de ce qui a été fait pour faire face à la criminalité, grâce à la résilience des collaborateurs et la collaboration entre police fédérale et locale, ainsi que la détermination a être au service de la population. » La coopération est l’un des outils les plus importants dans la lutte contre la criminalité organisée, décloisonner et fluidifier les interactions entre les différentes professions sera donc la prochaine étape cruciale dans la lutte contre la criminalité organisée, étape déjà bien été entamée avec l’épisode de la COVID-19.