Hacker les stéréotypes pour plus de diversité dans la cybersécurité

Christine Hennion, Députée des Hauts-de-Seine, l’a rappelé lors de son discours d’ouverture de la remise des prix du Trophée de la femme cyber, organisé par le CEFCYS, qui se tenait le 27 octobre dernier : la cybersécurité est une filière d’avenir pour laquelle 1,8 million de talents supplémentaires seront nécessaire d’ici 2022 dont 350 000 en Europe. Il est alors essentiel que les femmes osent entreprendre une carrière dans ce secteur en pleine croissance qui représente un réservoir d’emplois qui doit bénéficier à tous. Si la cyber représente une opportunité pour les femmes, elle a également besoin d’elles afin de se développer de façon optimale et répondre aux défis grandissement de demain.

Par Philipine Colle.

Plus de diversité pour une cybersécurité plus efficiente

Les chiffres sont parlants. Il n’y a en moyenne que 15% de femmes dans le monde de la cybersécurité. Dans le secteur, la parité – loin d’être atteinte – ne représente pas uniquement des enjeux éthiques fondamentaux d’égalité sociale mais également un important défi pour le développement économique. En effet, la mixité des profils au sein des équipes de travail permet la mise en place d’un certain équilibre, « des études mettent en avant le fait que l’intégration de femmes dans les équipes masculines augmente la rentabilité des capitaux, les équipes sont plus performantes, les leaderships diversifiés, l’ambiance de travail est améliorée et les postes sont plus attractifs » explique Delphine Schoffler, DRH chez Wallix. C’est bien le partage des expériences et la diversité qui permettent l’émulation. S’il est important que les femmes intègrent pleinement le monde de la cybersécurité, c’est aussi pour participer à la construction d’une intelligence collective reposant sur tous les talents. Une intelligence collective dont les tables rondes mixtes qui ont eu lieu en amont de la remise des prix ont été une illustration concrète. « Nous avons tous quelque chose d’intéressant à dire, un rôle clé à jouer » énonce Nacira Salvan, fondatrice du CEFCYS, « il est donc temps que les femmes et les hommes prennent la parole ensemble afin de créer une harmonie intellectuelle au service d’une cybersécurité de qualité. »

Attirer de nouveaux talents.

« 80% de femmes n’imaginent pas une carrière dans la cyber en raison des stéréotypes. Il faut casser les codes du hacker Dark Vador qui peuvent repousser les jeunes talents, qu’ils soient masculins ou féminins » déclare Delphine Schoffler. Dans un monde du travail au sein duquel les jeunes cherchent un engagement, des métiers ayant du sens et des entreprises qui portent des valeurs, l’image de la cybersécurité comme un monde fermé, déconnecté des besoins contemporains et peuplé « de geeks en sweat à capuche »1, est à déconstruire urgemment. Cela passe par des actions de communication externe, telles que la mise en place de visuels nouveaux avec des visages d’hommes et de femmes et l’attention particulière dans le choix des porte-paroles lors des salons et sur les vidéos de promotion. Se met alors en place une démarche proactive de la part des entreprises qui souhaitent attirer des talents éclectiques. En complément du renouvellement des stratégies de communication, des méthodes de recrutement novatrices et incitatives sont adoptées. Si Fanny Forgeau, CEO de Yogosha, plaide pour la discrimination positive avec la mise en place de tests techniques CTF dédiés spécifiquement aux femmes, des méthodes de valorisation de la promotion en interne sont utilisées chez Orange Cyberdéfense comme le confie le CEO de l’entreprise, Michel Van Den Berghe.

Attirer plus de femmes dans la cybersécurité c’est aussi promouvoir la réalité du secteur et élargir le recrutement à des profils variés, des ingénieurs mais aussi des commerciaux et des géopolitologues. Ces profils divers, parmi lesquels se trouvent de nombreux talents féminins, sont aujourd’hui plus que jamais utiles. Michel Van Den Berghe l’affirme « il ne suffit plus de contrer les attaques, il est nécessaire d’analyser et de comprendre l’origine des menaces. Des profils maîtrisant la géopolitique, la sociologie, les comportements comme les mathématiques sont donc essentiels et complémentaires pour aborder les défis cyber de demain ».

Au-delà du recrutement, les stéréotypes sont à déconstruire afin de bâtir une culture d’entreprise positive pour « que celles qui sont déjà là n’est plus besoin de s’en excuser et puissent s’épanouir » alerte Sandrine Carreau, Directrice du Marketing & Corporate Development chez Sia Partners. L’épanouissement des collaborateurs est effectivement un cheval de bataille au sein des entreprises de la cyber comme Wallix qui a multiplié les initiatives dans ce sens, notamment en signant la charte #StOpE afin d’acter la lutte contre le sexisme ordinaire en entreprise.

L’optimisme est de mise, en effet « si cela ne va pas se faire en un jour, il faut fixer des étapes, nous sommes sur la bonne voie » annonce Delphine Schoffler qui espère que le taux de femmes au sein de ses équipes atteindra 30/35% dans les années à venir. De tels objectifs ne pourront être réalisés que si la dynamique volontariste actuelle se poursuit et se diffuse à toutes et à tous et que l’audace d’entreprendre une carrière pleine d’opportunités se développe. Il est en effet un devoir citoyen de lever les barrières genrées et d’encourager les plus jeunes à envisager tous les possibles quant à leur futur professionnel. « Ne rien s’interdire, oser !  Le numérique est une filière d’avenir et d’excellence dans laquelle une pluralité de talents enrichis par la diversité pourront se révéler et s’épanouir. »

La sortie prochaine d’un kit de sensibilisation à la cybersécurité à destination des enfants, développé par le CEFCYS, pourrait être une première étape dans la découverte de vocations. Une sensibilisation complexe – objet de débats lors d’une table ronde – qui doit préparer à affronter des risques invisibles et qui demande une constance parfois coûteuse mais qui, si elle est réussie, permet à la fois d’éviter une majorité des attaques et de participer à la diffusion des opportunités de carrières dans les métiers d’avenir auprès d’une population large.

Le repérage et la formation des divers talents cyber de demain est l’un des objectifs du gouvernement comme l’illustre l’appel de la ministre des Armées, Florence Parly, relayé lors de la cérémonie de remise des prix par Elisabeth Fonteix, Head of Learning & Development chez Orange. A l’occasion de l’inauguration du nouveau CFA Orange, Madame la Ministre a partagé sa volonté de recueillir, auprès de l’écosystème, des pistes de réflexion, des solutions et des initiatives afin de favoriser la mixité dans le numérique. Une démarche dans laquelle va s’inscrire la communauté du CEFCYS.


Les lauréates du 1er Prix de la Femme Cyber 2020 sont :
Solange Ghernaouti, experte internationale en cybersécurité, cyberdéfense et cybercriminalité, nommée Femme Cyber Dirigeante & Entrepreneure.
Tiphaine Romand-Latapie, experte en cryptographie, nommée Femme Cyber Professionnelle.
Le Capitaine Anne Laubacher spécialiste du conseil juridique opérationnel en cyberdéfense nommée Femme Cyber Fonctions Support.
Claire Chopin, étudiante en master 2 de Politiques Publiques avec une spécialité Sécurité et Défense à Sciences Po, nommée Femme Cyber Etudiante.
Sabrina Feddal, consultante cyber, RSSI, membre du CLUSIRPACA et professeure au Cnam nommée Coup de cœur du Jury du Trophée de la Femme Cyber.
Alice Louis, juriste en droit du numérique ayant créé sa société dédiée à la practice RGPD nommée 2e Coup de cœur du Jury du Trophée de la Femme Cyber.
Anna Deroyan, étudiante en Licence Informatique et Management à l’institut Gustave Eiffel et FSEG Upec Créteil, nommée Coup de Cœur du CEFCYS.

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Référence au guide des métiers et formations dans la cybersécurité Je ne porte pas de sweat à capuche pourtant je travaille dans la cybersécurité, édité par le CEFCYS à l’occasion du FIC 2019.