L’espace Schengen et la coopération européenne pour lutter contre le terrorisme ?

Le 13 novembre 2020, la France se souvient douloureusement de l’attentat du Bataclan survenu cinq ans plus tôt. La disparition de Samuel Paty et les victimes de l’attaque à Vienne le 16 octobre et 2 novembre derniers nous rappellent que la France et l’Europe sont encore des cibles du terrorisme islamiste. Lors de la conférence de presse conjointe du 11 novembre avec Sebastian Kurz, Angela Merkel, Emmanuel Macron, Mark Rutte et Charles Michel, Ursula Von der Leyen rappelle les priorités sécuritaires auxquelles l’Union Européenne et les Etats membres doivent s’atteler : « nous devons maintenant avancer de toute urgence sur trois plans. La prévention, la protection des frontières extérieures et l’action, c’est-à-dire la mise en oeuvre sur le plan opérationnel ».

Prévenir la radicalisation chez les jeunes

Avec la crise sanitaire, la baisse des budgets accordés à la sécurité ainsi que les conséquences sociales ont contribué à une résurgence de la menace terroriste en France et dans l’Union européenne. S’il n’est pas encore possible de contrer la crise économique qui se profile, Ursula Von der Leyen encourage une inclusion sociale en réfléchissant à des perspectives intéressantes pour les jeunes exposés à la radicalisation. C’est pourquoi le 25 novembre, « un plan d’action européen pour l’intégration et l’inclusion » prendra en compte ces questions essentielles à la prévention des actes terroristes. Ce plan se joint au travail du réseau européen de lutte contre la radicalisation, qui rassemble plus de 5000 personnes expérimentées, comptant des médecins, policiers, enseignants et travailleurs sociaux, qui apportent une aide concrète et un accompagnement aux jeunes.

Agir sur les réseaux et responsabiliser les plateformes en ligne

La prévention doit également intervenir sur les réseaux et les sociétés d’Internet, la présidente de la Commission européenne insiste sur l’importance d’une action rapide et efficace dans l’effacement du contenu à caractère terroriste. Elle soutient que la proposition de la Commission de 2018 sur le contrôle de ces contenus pourrait être conclue avec succès d’ici la fin de l’année. Parallèlement, la responsabilité des plateformes en ligne est aussi à revoir, « quelle sera l’ambition du Digital Service Act que prépare Thierry Breton et Margrethe Vestager et jusqu’où ira-t-on dans la mise en question de la responsabilité des plateformes dans le contenu qu’elles hébergent ? » interroge Gilles de Kervoche, coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme lors de son audition du 13 novembre auprès de la Commission des Affaires Européennes du Sénat. « Il est évident que les grandes plateformes ne peuvent pas surveiller la totalité de leurs contenus, mais dès le moment où elles sont averties que quelque chose d’illicite ou de préjudiciable se passe, elles doivent agir immédiatement et rapidement. Plus la plateforme est grande, plus sa responsabilité est grande » souligne également Ursula Von der Leyen.

Repenser l’espace Schengen

Pour Gilles de Kervoche, le terrorisme ne doit pas remettre en question la libre circulation au sein de l’Union européenne. Au contraire, « il faut encore plus de Schengen » impliquant davantage de contrôle aux frontières extérieures, une meilleure coopération policière et judiciaire, des politiques communes d’asile et de migration. « Le dispositif Schengen a plus de 20 ans, la coopération policière ne doit pas agir exclusivement sur les frontières intérieures et doit inclure des technologies de reconnaissance faciale, reconnaissance de plaques et des commissariats communs ». Des lacunes qui seront abordées lors du « forum Schengen » fin novembre, censé apporter des précisions sur les forces et faiblesses du dispositif. Cet évènement sera une étape importante pour l’élaboration d’une nouvelle stratégie Schengen en mai 2021. Il établira ainsi les priorités de l’espace Schengen incluant le renforcement d’EURODAC, la révision des pouvoirs conférés à Europol ainsi qu’un meilleur accès à l’information. Pour Ursula Von der Leyen, « il s’agit de renforcer l’action européenne transfrontière, car une Europe sans frontières intérieures ne peut fonctionner que si les frontières extérieures sont protégées de manière fiable. Et l’on ne peut y parvenir que par une coopération policière renforcée. »

Des actions à venir

De nouvelles directives devraient être mises en oeuvre concernant la lutte contre le terrorisme ainsi que le contrôle de l’acquisition et détention d’armes, domaine dans lequel la coopération peut encore être nettement améliorée.Le 9 décembre, la Commission proposera un programme de lutte contre le terrorisme qui modifiera le mandat d’Europol et apportera des solutions pour les différentes lacunes du système d’information Schengen, « car nous voyons que sa mise en oeuvre n’est pas toujours optimale » lorsque seulement 80% des passagers entrant dans l’Union européenne sont contrôlés.

« Ne nous interdisons pas d’entrer dans la modernité » somme Gilles de Kervoche, pour qui la seule coopération européenne ne suffit plus et nécessite le développement de technologies disruptives. Il faudra être conscients des risques qu’elles comportent mais aussi le potentiel qu’elles offrent en termes de contrôle aux frontières et en sécurité intérieure.

Ursula Von der Leyen conclut, « la situation actuelle fait très clairement ressortir le message de la coopération européenne, à savoir que nous sommes déterminés et unis pour défendre nos valeurs communes et nos libertés ». La vidéoconférence des ministres de l’Intérieur qui se tient aujourd’hui, vendredi 13 novembre 2020 sur la lutte contre le terrorisme et sur le pacte asile et migration reviendra aussi sur ces enjeux et les possibles réponses à apporter collectivement.

Les débats se poursuivront lors de la session du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 3 décembre 2020.