La force de l’innovation humaine

La gendarmerie est une « Force humaine ». Telle est, depuis 1988, sa signature qui doit être comprise avec ses trois significations complémentaires : une force qui repose d’abord sur sa ressource humaine, une force mesurée et enfin et surtout, une force au service de la population.

Par le Général d’armée (2S) Watin-Augouard, Directeur du centre de recherche de l’école des officiers de la gendarmerie nationale, Fondateur du Forum International de la Cybersécurité (FIC)

La gendarmerie est une force qui repose d’abord sur sa ressource humaine, vérifiant ainsi le proverbe de Jean Bodin : « il n’est de richesse que d’hommes ». Les technologies servent les hommes et les femmes qui la composent et non l’inverse. L’humain et son environnement matériel constituent son « système d’arme » ;

C’est une force mesurée, jamais excessive, inscrivant toujours son action dans une exigence éthique, même lorsqu’elle doit agir à l’égard de délinquants ou d’adversaires qui sont « hors la loi ». Les technologies, qui évitent notamment le « tout ou rien », sont pour elle un moyen et non une fin ; elles accroissent son efficacité sans jamais en faire une « force mécanique » ;

C’est enfin et surtout, une force au service de la population, notamment au service du plus petit, du plus faible, du plus vulnérable. Les technologies l’aident à toujours mieux répondre à ses attentes, à ses espérances de sécurité, par une optimisation de l’offre au regard de la demande.

L’innovation permanente

L’accélération du changement de notre société est en grande partie liée à la transformation numérique qui bouleverse tous nos paradigmes. Pour une institution qui a huit siècles d’histoire, comment changer sans jamais altérer son ADN, celui d’une force de proximité sur les 95% du territoire de métropole et d’outre-mer sur lesquels elle exerce seule les missions de sécurité, de continuité dans la gestion des crises par sa double appartenance aux forces armées et aux forces de sécurité intérieure ? Une seule réponse : l’innovation permanente.

L’innovation lui vient d’en bas. C’est un constat qui ne lui est pas propre. L’observation du terrain fait émerger le besoin, suggère les adaptations, les transformations. Le terrain, c’est le bureau d’études, le laboratoire. Chacun doit se considérer comme une start-up capable de proposer des solutions pragmatiques dépourvues de toute approche technocratique. Celles-ci sont conceptualisées puis développées, généralisées par les échelons centraux qui ne sont pas coupés des unités grâce à un mouvement alternatif dans la gestion des ressources humaines qui ne sépare pas l’institution entre le « haut et le bas », entre l’échelon parisien et la province. Nombre d’officiers, appartenant notamment à un vivier scientifique croissant, passent de l’un à l’autre favorisant ainsi la porosité des idées, la continuité du cheminement de l’innovation.

Une impérieuse nécessité

L’innovation n’est pas une option mais une impérieuse nécessité. Elle s’impose dans nos organisations, notre recrutement, notre formation, nos process, nos équipements, car il faut agir avec plus d’efficacité avec des moyens de plus en plus contraints, qu’il s’agisse des télécommunications, de la mobilité, des investigations, de la protection. L’innovation technologique ne doit pas être un vecteur d’isolement, d’aseptisation de la réponse mais au contraire le moyen de mieux « répondre présent » aux sollicitations des élus et de la population, de la rendre plus pertinente, plus sûre, plus précise.

Cette innovation est une exigence d’autant plus forte que s’opère une migration de la criminalité vers l’espace numérique. La cybercriminalité est la criminalité du XXIe siècle1 ! La lutte appelle des compétences, des capacités juridiques mais aussi techniques. L’Etat et donc la gendarmerie doivent être au rendez-vous. C’est une question de légitimité. Alors que le nombre de victimes (particuliers, collectivités territoriales, entreprises) augmente de manière exponentielle, l’immobilisme serait annonciateur d’une perte de légitimité, l’ajustement d’un décrochage. Pour que rien ne change, il faut tout changer, telle est sans doute la devise qu’il faudrait ajouter à la « force humaine ».

S’inscrire dans le futur

Le mouvement est engagé, amplifié, accéléré. Il doit transcender la dialectique entre la gestion de l’immédiat et la préparation du futur. L’innovateur se projette dans le futur, le gendarme de la brigade sur l’événement de la prochaine heure. Que « la Formule 1 profite à la twingo et que la twingo comprenne l’intérêt futur de la F1 », telle pourrait être le résumé imagé. AGIR2 pour #Répondreprésent à cette ambition : s’inscrire dans le futur, ne rien renier du passé et prendre racine dans le temps présent : les trois éléments constitutifs de la modernité.

Le socle de la confiance

Mais toute innovation doit suivre un processus répondant à plusieurs questions dont la réponse conditionne un projet : sait-on le bâtir (phase conceptuelle) ? Peut-on le réaliser (phase de mise en œuvre financière et industrielle) ? A-ton le droit d’y recourir (phase juridique) ? La dernière phase est plus subjective : l’innovation est-elle susceptible de recueillir l’acceptation sociale ?

Les meilleurs projets échouent souvent faute d’être clairement explicités, de prendre en compte les réactions parfois irrationnelles.

Il n’y a pas d’innovation réussie sans confiance. C’est peut-être le maître-mot qui complète le triptyque de la « Force humaine » : une force qui innove sans jamais oublier la dimension psychologique de sa perception par ceux qu’elle veut servir et qui craignent les initiatives qui pourraient les desservir. C’est pour cela que les sciences humaines et sociales et les sciences « dures » doivent converger pour une innovation souhaitable et possible.

1C’est le thème choisi pour le 1er FIC en 2007. Depuis, l’actualité confirme cette prédiction.

2Accompagnement par la Gendarmerie de l’Innovation, de l’Industrie et de la Recherche.