Haut-commissariat au plan : de la crise sanitaire au retour de l’Etat stratège ?

Après la « guerre sanitaire » annoncée par le Président Macron à l’heure du confinement, vient le moment de tirer les leçons. A l’heure de la reconstruction, faut-il substituer la main invisible à la main de l’Etat ? La création du haut-commissariat au plan (HCP) relance le débat.

Par Simon DOUAGLIN

Nommé le 3 septembre 2020, le haut-commissaire au plan, François Bayrou sera « chargé d’animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l’Etat et d’éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels. »1 annonce le gouvernement. L’objectif étant « d’éclairer les pouvoirs publics sur les différents enjeux auxquels la France sera confrontée à moyen et long terme […] ».

Choix uniquement politique ou également destiné à redonner une vision stratégique ?

Un nouveau contexte économique

Le fonctionnement du haut-commissariat au plan s’inscrit dans une volonté de planification mais la situation économique est nouvelle, caractérisée par l’économie mondialisée et le cadre normatif européen. « On remarque que l’idée de la planification revient régulièrement comme un réflexe lorsque les marchés ne parviennent plus à assurer une distribution optimale des ressources. Cependant, dans un contexte de globalisation de l’économie, les Etats font face à des contraintes plus fortes sur les leviers budgétaires et fiscaux traditionnels de la planification. Cest pour cela que leffort de relance étatique seffectue principalement dans le cadre de partenariats public/privé ou se résume simplement à orienter les activités économiques privées par le jeu dincitatifs fiscaux. Par ailleurs, la relative faiblesse des leviers fiscaux et budgétaires traditionnels ont accru limportance des politiques monétaires de la BCE dans les stratégies de relance économique.» indique Clément Fontan, professeur en politiques économiques européennes de l’Université Catholique de Louvain.

Ainsi, les exemples historiques de la planification dessinent le chemin de ce que pourrait être le haut-commissariat au plan, adapté aux enjeux d’aujourd’hui. « Les exemples historiques ne manquent pas pour décrire ce que pourrait être le nouveau haut-commissariat au plan : Gosplan, New Deal de Roosevelt, Plan Marshall, plans quinquennaux, il semble indispensable de s’en inspirer pour prévenir d’éventuelles défaillances. » explique Stéphane Baudens, historien du droit et des institutions.

Se réapproprier l’arme du temps

L’enjeu pour le haut-commissaire au plan sera de trouver un équilibre entre le besoin de court terme, de proposer rapidement des solutions et le temps long, celui de la planification et de l’anticipation.

La crise sanitaire a mis en lumière « la dictature de l’instant, caractérisée par notre seule préoccupation de l’immédiat, de l’instantané, du scandale » déplore François Bayrou en écho à la « tyrannie du court terme » fustigée par le rapport Juppé/Rocard2 de 2009. Le HCP devra s’en accommoder et parallèlement se réapproprier le temps long. « La création du haut-commissariat au plan devrait permettre à l’exécutif d’agir à nouveau sur deux éléments principaux : l’arme du temps et la souveraineté. » souligne Stéphane Baudens. « Reste à articuler le plan selon les exigences temporelles. Vouloir bénéficier de temps long à tout prix n’a aucun sens, la solution réside plutôt dans le panachage et un équilibre à trouver entre le temps long, le temps moyen et le temps court à adapter en fonction des enjeux. A titre d’exemple, la loi de programmation militaire (LPM), étalée sur une durée de 6 ans offre un calibrage pertinent au regard des enjeux de Défense. » détaille Stéphane Baudens.

Pourtant, la pertinence de la capacité d’anticipation des pouvoirs publics questionne. « Pourquoi ne pas faire davantage confiance aux entrepreneurs ? Dans la tradition autrichienne de l’économie, les entrepreneurs sont les acteurs les plus à même d’anticiper les changements et de répondre aux attentes. Le risque de la planification est de laisser la place aux « entrepreneurs opportunistes », qui cherchent avant tout à bénéficier des facilités du financement public. » interpelle Nathalie Janson, économiste et enseignante à la Neoma Business School de Rouen.

L’enjeu de la concertation

Le dialogue est un enjeu central de ce haut-commissariat au plan et François Bayrou devra relever ce défi de la concertation entre les acteurs privés et publics tout en y intégrant les territoires. « Le haut-commissariat est un outil permettant d’associer l’ensemble des parties prenantes aux décisions : entrepreneurs, grands groupes, partenaires sociaux. »3 complète Elie Cohen. « Le dialogue est en effet un élément structurant du haut-commissariat au plan : un dialogue avec les citoyens mais également avec les territoires. » détaille Stéphane Baudens. « La nomination de Monsieur Bayrou, acteur politique considéré comme girondin, ayant une connaissance des problématiques locales, semble cohérente. »

Des grands chantiers

Le champ d’action du HCP est large mais vise à définir des chantiers d’avenir consensuels : vitalité de la France, indépendance et justice figurent parmi les thèmes clés annoncés par François Bayrou dans son discours de septembre devant le CESE. « En s’appuyant sur le haut conseil pour le climat, le haut-commissariat au plan pourrait accompagner les acteurs économiques dans le cadre d’une transition écologique et numérique nationale. » détaille Etienne Espagne, économiste spécialiste de l’environnement à l’AFD.

Quelles perspectives d’évolution ?

La planification mise en place par certains pays asiatiques, a fait ses preuves lors de la crise sanitaire. « Le Vietnam a été reconnu pour sa bonne gestion de la crise sanitaire et le doit à une capacité d’anticipation collective et d’allocation efficace des ressources sanitaires. Conscient de la relative faiblesse de leur système de santé, les vietnamiens ont été très proactifs dès les premiers signaux de la pandémie. Ils ont ainsi agit très rapidement pour limiter les tendances exponentielles des contaminations et y sont parvenus avec succès jusqu’à aujourd’hui. » précise Etienne Espagne. « S’inspirer des pays d’Asie peut avoir des vertus mais le risque serait de voir le haut-commissariat au plan évoluer vers un modèle dirigiste exacerbé au sein duquel la rigidité administrative ralentie l’innovation et donc le dynamisme économique. » souligne Nathalie Janson.


Si l’on veut mieux comprendre les évolutions de la planification, il faut se tourner vers l’Asie du Sud-Est, où la Chine, le Japon et la Corée du Sud, utilisent déjà ces procédés pour orienter l’économie vers davantage de développement durable. « Depuis la crise financière de 2008, ces pays assument d’orienter les lignes de crédits vers les secteurs stratégiques, élément favorisé par une plus grande homogénéité entre le facteur politique et le facteur économique ce qui permet aux politiques monétaires d’être mises directement au service de la stratégie » explique Clément Fontan.

La volonté d’engager une concertation notamment avec les territoires, est-elle la seule raison du choix de François Bayrou comme haut-commissaire ? Pourra-t-il relever le défi du long terme alors qu’il est nommé seulement un an et demi avant la présidentielle ?

Si la création du haut-commissariat au plan se veut « un signal politique » selon Julia Csergo, le défi de conduire un travail prospectif et porter une vision à moyen et long termes au coeur même d’un pays en proie à la crise économique et sociale, s’annonce plus ardu que jamais. Plan de relance et territoires devraient être les alliés de François Bayrou dans ce qui s’annonce déjà comme une carte maîtresse dans la course à la présidentielle 2022.

1 Décret n°2020-1101 du 1er septembre 2020 instituant un haut commissaire au plan

2 Investir pour l’avenir – Priorité d’investissement et emprunt national, 19 novembre 2009

3 https://www.franceculture.fr/emissions/les-carnets-de-l-economie/elie-cohen-44-le-retour-du-commissariat-au-plan