L’universalité à la française, vers une stratégie d’influence ?

Classée première puissance en matière de soft-power pour l’année 2019, la France réaffirme son rayonnement culturel singulier. L’action multilatérale du Président Macron, l’organisation du G7 à Biarritz et la mobilisation internationale autour de l’incendie de la Cathédrale Notre Dame révèlent un véritable attrait culturel, économique et politique pour l’Hexagone. Le Royaume-Uni et l’Allemagne complètent le classement de tête du rapport « Soft Power 30 » (SP30), du cabinet Portland.

A la croisée du domaine de la diplomatie, de l’intelligence économique et de l’influence informationnelle, le soft-power est un instrument d’influence qui s’inscrit dans un monde sous influence. Entre la stratégie chinoise de contournement et le risque de vassalisation aux Etats-Unis, quelle marge de manoeuvre pour la France ?

Par Simon DOUAGLIN

Les limites du concept

Le terme de soft-power ne fait pas l’unanimité mais permet tout de même de révéler les schémas d’influence. « Le concept de soft power est une théorie américaine née à la fin de la Guerre Froide de la plume de Joseph Nye, théoricien et homme politique américain, destiné à pérenniser la puissance américaine en prévision d’un éventuel déclin à venir. Il nexistait d’ailleurs pas de terme français équivalent car le concept na pas été repris par l’école française. » précise Pierre-William Fregonese, docteur en sciences politiques et enseignant à Sciences Po Lille, qui lui préfère la théorie de « stratégie culturelle » développée dans son ouvrage De la stratégie culturelle française au XXIe siècle1. « Le classement soft-power 30 du cabinet Portland qui sort tous les ans, s’appuie davantage sur le jeu des influences à court terme que sur les grandes tendances que l’on observe au fil des décennies. » complète-t-il.

Un monde sous influence

L’accroissement des moyens de communication, notamment par les réseaux sociaux, a renforcé les jeux d’influence entre les puissances. Dorénavant, il ne s’agit plus seulement d’utiliser la diplomatie culturelle mais de remporter une guerre de l’information en mobilisant les masses. « Les Etats-Unis sont très impliqués dans cette lutte caractérisée par la crise de l’attention. En effet, l’enjeu est de capter et de mobiliser l’attention du public comme le font Netflix et Amazon par exemple, pour ensuite pouvoir faire passer des messages. » indique Pierre-William Fregonese. Des gains politico-économiques sont à la clé. « Nous sommes aujourd’hui très exposés à ces influences étrangères, avec un risque de perte de marchés stratégiques et d’influence politique. Les Etats-Unis sont à la manoeuvre et leurs offensives sont indirectes et difficilement identifiables. L’élection d’un candidat démocrate pourrait renforcer cette tendance à vassaliser l’Europe. » expose Christian Harbulot, directeur de l’Ecole de Guerre Economique. De la même manière, « la Turquie use de l’arme informationnelle pour se jouer des contradictions de l’Union européenne. Elle utilise les minorités turques en Europe comme autant de relais d’influence permettant d’atteindre des objectifs politiques. »

Malgré la première place au classement SP30, « il ne semble pas que la France soit particulièrement active en matière de stratégie d’influence et de contre-influence. » déplore Christian Harbulot. Pourtant, la crise sanitaire a révélé les capacités françaises en la matière. « Face à l’offensive informationnelle chinoise du printemps visant à faire oublier son rôle dans l’éclatement de la pandémie, nos médias ont été réactifs et efficaces. En exhibant certains dossiers compromettant, ils ont su mettre l’Empire du Milieu devant ses contradictions politiques, probablement avec l’assentiment de l’exécutif. » Et Pierre-William Fregonese de résumer : « Dans un monde sous influence, il faut influencer pour ne pas être influencé ».

L’universalité à la française

Le soft power français se trouve divisé entre effets de court terme et tendance de long terme. « S’il n’existe pas à l’heure actuelle de stratégie de soft power, la France est tout de même un pays qui s’appuie sur des coups d’éclats comme en témoigne l’élection d’Emmanuel Macron, encensé dans le monde anglo-saxon. » précise Pierre-William Fregonese. « Les réseaux d’Alliances Françaises et d’Instituts Français sont autant de relais de la diplomatie culturelle française dont les retours sur investissement interviennent sur le long terme. Toutefois, ce vaste tissu culturel voit de plus en plus ses crédits diminuer ce qui pourrait accentuer le déclin de l’influence française pour les décennies à venir. »

C’est aussi sur le temps long que s’étale la gastro-diplomatie. « Au même titre que la diplomatie culturelle, la gastro-diplomatie est un outil d’influence utilisé afin de gagner en capital réputationnel auprès de certains Etats ou populations visés. » indique Julia Csergo, responsable scientifique du dossier de candidature du repas gastronomique des Français au Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. « L’image ainsi véhiculée favorise un « désir de France » dont les avantages sont principalement d’ordre socio-économiques, notamment avec la conquête de nouveaux marchés ou encore une meilleure attractivité. » Les évènements Choose France, organisés à Versailles pour attirer les investisseurs étrangers s’appuie sur cette stratégie de représentation et de marketing d’Etat aussi appelé « nation branding ».

L’universalité à la française se caractérise aussi par un lien privilégié entretenu entre les étudiants étrangers et les universités françaises reconnues à l’international, à l’image de Paris-Saclay, arrivée à la 14e place du classement de Shanghai en 2020. « A ce titre, l’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants étrangers ne favorise pas l’attractivité de notre enseignement. Accueillir des étudiants étrangers est au contraire une façon de mettre en valeur ces talents qui pourraient à terme devenir des vecteurs de l’influence française » indique Pierre-William Fregonese.

Vers une stratégie d’influence pro-active ?

Les résultats économiques dépendent de la mise en place d’une stratégie de long terme. « La France a toujours hésité à influencer alors qu’elle s’appuie sur des atouts solides. Un soft-power pro-actif permettrait de valoriser les francophones et les personnes sensibles à la culture française au service de notre commerce extérieur. La stratégie chinoise déployée en est une parfaite illustration quand l’Empire du Milieu implante des Instituts Confucius dans le monde et plus précisément en Afrique afin d’accentuer les échanges et d’écouler ses marchandises. »

Le rôle des relais d’influence est majeur pour soutenir une politique d’influence. « A titre d’exemple, il existe au Kazakstan une communauté qui parle français suite à leur apprentissage de la danse classique. » explique Pierre-William Fregonese.Si l’exemple peut paraître dérisoire au regard des enjeux, ces communautés sont des atouts majeurs dans un monde sous influence. « Une politique d’influence dirigée, ne doit pas être perceptible, on ne doit pas pouvoir identifier les donneurs d’ordre et les acteurs qui en tirent les bénéfices. C’est la raison pour laquelle disposer de relais nombreux et disséminés permet de créer un brouillard de guerre dissimulant l’émetteur. » précise Christian Harbulot.

Une telle stratégie d’influence doit être entérinée au plus haut niveau de l’Etat en s’appuyant sur une vision stratégique et mise en application par les acteurs concernés : Institut Français, services de renseignement, cellule du SGDSN et médias. « Il faudrait même envisager de réunir le premier cercle, mais cela dépasse le débat public. » indique Christian Harbulot. Et Julia Csergo d’ajouter : « une stratégie d’influence doit fixer un cadre d’emploi, des objectifs précis dans une logique de coordination des acteurset doit surtout être soumise à évaluation, une culture qui fait défaut en France». Ainsi, « dans un monde où l’enjeu premier est de capter l’attention, la France dispose de l’avantage culturel. Il ne reste plus qu’à les mettre à profit. » conclut Pierre-William Fregonese.

1 Publié chez Classiques Garnier en 2019