Le Liban : comment sortir de la crise ?

4 août 2020, Beyrouth tremble. L’explosion massive qui a endeuillé le Liban rajoute à la peine du pays du Cèdre. En proie à une crise protéiforme – économique, financière, sociale, politique, sanitaire -, le Liban plonge dans un état d’extrême tension. Le Fonds monétaire international (FMI) appelle le pays à engager expressément des réformes profondes. La classe politique est accusée de clientélisme, de corruption et d’incompétence par le mouvement de contestation qui agite le Liban depuis octobre 2019. Dans ce contexte, quelles sont les solutions pour sortir le Liban de ce nouveau temps troublé ?

Par Hugo CHAMPION

Une crise économique et financière de grande ampleur

Le 7 mars dernier, le Liban a annoncé le premier défaut de paiement de son histoire. Plongés dans la pire récession économique depuis 30 ans, les Libanais font face à une précarité en évolution drastique. « La situation devient rapidement incontrôlable », soulignait en juillet dernier Michelle Bachelet, la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU. En avril 2020, près de 50% de la population libanaise vivait sous le seuil de pauvreté et plus de 20% sous le seuil d’extrême pauvreté, selon la Banque mondiale. À ce jour, le Liban connaît une dette record d’environ 100 milliards de dollars, tandis que son déficit public est de 11%. Le pays peut de moins en moins couvrir ses besoins en devises pour payer ses nombreuses importations (notamment de fioul, de médicaments et de céréales), qui représentent quatre fois le niveau de ses exportations. Un effondrement qui provient, en partie, de mauvais choix économiques pris dans les années 80. « Le Liban a fait le pari d’attirer des capitaux étrangers, notamment des pays du Golfe et de la diaspora, pour financer l’économie », explique Sahar Al-Attar, rédactrice en chef du magazine économique libanais « Le Commerce du Levant ».

Ce système, mis en place sous l’égide de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, entendait orienter le pays vers la production de services, comme le tourisme notamment, au risque d’abandonner l’industrie et l’agriculture. Si le pays a réussi à attirer des capitaux étrangers, l’économie ne s’est pas développée sur une base solide. Les flux financiers ont donc commencé à se tarir en raison des déséquilibres géopolitiques de la région. L’Iran, parrain de la communauté chiite du Liban, a été affaibli par les sanctions économiques étatsuniennes. De plus, « les pays du Golfe trouvaient que le gouvernement libanais n’était pas assez ferme vis-à-vis du Hezbollah et ont ainsi réduit les investissements », souligne Sahar Al Attar. Les conflits en Irak et en Syrie ont déstabilisé leurs voisins. Plus de 1,5 million de réfugiés syriens se trouvent aujourd’hui au Liban, sur une population de 6 millions. Les pays du Golfe, affectés par la chute du prix du pétrole, ont ainsi réduit leurs investissements. Pour redresser économiquement le pays, la France et de nombreux Etats enjoignent les responsables politiques à entreprendre des réformes profondes. Des négociations avec le FMI sont actuellement en cours, Beyrouth espérant obtenir une aide de 10 milliards de dollars pour relancer l’économie.

La thawra libanaise : les raisons de la colère ?

Jeudi 17 octobre 2019, le ministre des Télécoms, Mohamed Choucair, annonce l’instauration d’une taxe sur les appels via les applications WhatsApp et Vibber. Dès le lendemain, la colère des Libanais se fait sentir. L’étincelle de la thawra – signifiant révolution – prend feu. Les mois de contestation s’expliquent par des années d’incompétence, de corruption1 et de clientélisme de la part des politiques. « La demande principale est la lutte contre la corruption » confirme Sahar Al Attar. Dans l’état actuel des choses, la réalisation de cette demande populaire semble difficile. « Les manifestants demandent des comptes à la classe politique corrompue », indique la rédactrice en chef du Commerce du Levant. Parmi les nombreux slogans qui s’affichent dans les rues, la plupart font référence à « l’argent volé », à « la famine », « aux taxes », « aux eaux contaminés » ou encore « aux ordures ». « Les Libanais n’ont accès qu’à 2 heures d’électricité par jour », indique Agnès Levallois, vice-présidente de l’IReMMO. A la mauvaise gestion du gouvernement dénoncé par les manifestants, s’ajoute un taux de chômage significatif. Pas moins de 37 % des Libanais étaient sans emploi en avril, selon l’Organisation internationale du travail (OIT). C’est sans compter les quelque 200 000 travailleurs étrangers, notamment les travailleuses domestiques éthiopiennes et philippines, que leurs employeurs ne peuvent plus payer en dollars et dont une partie espère désormais un rapatriement. Mais les contestataires ont bien compris que l’état actuel du Liban provient de la nature même du système politique « qui marchait tant que l’argent circulait », explique Agnès Levallois.

Un clientélisme généralisé et patent

Le Liban est rongé de l’intérieur par la corruption généralisée qui s’appuie sur un clientélisme confessionnel. « Quand vous avez une difficulté, vous vous tournez vers votre chef communautaire (zaïm) », souligne Agnès Levallois. Tous les partis sans exception pratiquent ce clientélisme. « Sous prétexte du système confessionnel, les responsables utilisent l’Etat pour servir leurs propres intérêts », confirme Sahar Al Attar. Le Liban repose en effet sur un système politique issu des accords de Taëf. Mettant un terme à une quinzaine d’années de guerre civile, ces accords ont mis en place une structure de gouvernement tripartite, partagée entre un président de la République chrétien, un président du Conseil sunnite ainsi qu’un président de la chambre des députés de confession chiite. Alors que de nombreux responsables avaient à l’époque dénoncé le fait que certains principes de l’accord n’avaient pas été appliqués – notamment la création d’un Sénat et l’abolition du confessionnalisme politique -, les contestataires prolongent aujourd’hui ce souhait de voir les accords pleinement respectés. Alors que le président français Emmanuel Macron espérait qu’un nouveau gouvernement se forme autour du nouveau Premier ministre libanais, Moustapha Adib, ce dernier annonce sa démission fin septembre. Un marasme politique qui décuple le sentiment de frustration des Libanais. Le pays vit dans l’ombre d’une guerre civile traumatisante qui a duré une quinzaine d’années. « Tout cela est source de grande crispation », ajoute Sahar Al Attar.

Quelles réponses possibles à la crise ?

Plusieurs défis de taille devront être relever. La crise protéiforme a conduit de nombreux Libanais à prendre le chemin de l’exil. La situation actuelle précipite logiquement la fuite des cerveaux libanais alors que le pays va plus que jamais avoir besoin de leurs compétences pour se reconstruire. L’une des priorités est alors de rebâtir un lien de confiance entre la classe dirigeante et la population. Atteindre cet objectif semble difficile voire impossible. Tout en garantissant aux communautés un système dans lequel ils pourraient continuer à défendre leur spécificité, « seul un Etat civil pourrait avoir la légitimité d’entreprendre les réformes », selon Sahar Al Attar. En effet, les Libanais appellent à une refonte structurelle du système politique. Pour l’heure, le Liban doit engager les réformes demandés par le FMI, sans quoi le pays s’enfoncera toujours un peu plus dans l’abîme économique et social. « L’enjeu aujourd’hui est de savoir si un gouvernement est en mesure de mener des réformes profondes pour que l’argent arrive », précise Agnès Levallois. Et d’ajouter : « Toute la question est de savoir si le personnel est encore capable de se réformer au travers d’un nouveau pacte politique ». Il n’est pour l’instant pas pensable que les partis politiques en place conduisent une refonte du système politique, dont ils tirent des bénéfices. « Le Bloc national est un parti qui collabore avec des mouvements citoyens, et qui appelle à une refonte totale du système. L’un des éléments significatifs du succès de cette nouvelle plateforme citoyenne est que son chef, Charbel Nahas, est le seul homme politique (ancien ministre des Télécommunications et du Travail) à ne pas être honni par le mouvement de contestation », soulève Agnès Levallois.

Le Premier ministre Moustapha Adib ayant rendu son tablier, une concertation au niveau international devrait avoir lieu, pour engager des aides financières au Liban. Si celle-ci avait été évoquée pour la mi-octobre par le Président Macron, l’absence de gouvernement au Liban, la situation sanitaire mondiale et les crises que connait la France ces dernière semaines bousculent l’agenda diplomatique initial.

Sans compter que deux ex-ministres libanais dont les partis sont proches du Hezbollah, sont visés par des sanctions américaines. Une stratégie venue d’outre-atlantique qui vise à affaiblir le parti soutenu par l’Iran qui devrait évoluer à l’aune des élections américaines. C’est un « pari risqué car le parti représente une partie de la communauté chiite et il est armé », souligne Sahar Al Attar. Les choix à prendre sont donc cruciaux. « L’émergence d’un Etat laïque ou civil au Liban ferait figure de laboratoire pour les Etats de la région, qui sont également fondés et divisés sur les questions confessionnelles », souligne Agnès Levallois. La concrétisation d’un Etat civil libanais est donc urgente.

L’issue de l’épisode historique que connaît le Liban reste pour le moins incertaine. Si la diva libanaise Fayrouz chantait ainsi l’espérance de son pays : « Elles ont fleuri, les blessures de mon peuple ont fleuri »2, nul de doute que le pays du Cèdre se relèvera de ses cendres, mais à quel prix ?

1 Le Liban est classé 137e sur 180 par l’ONG Transparency.

2 . Paroles extraites et traduites de la chanson Li Beirut.