Les radicalisations : un combat de la jeunesse pour la jeunesse

Aujourd’hui, plus que jamais, la radicalisation est devenue un fléau sociétal qui touche principalement la jeunesse. C’est dans ce cadre que la Task Force Radicalisation(s) a été créée par les Jeunes de l’IHEDN. Partant du constat que « les extrémismes divisent notre Nation et font grandir notre insécurité », 24 jeunes Français ont participé, durant 7 mois, à la constitution d’un rapport publié le 24 novembre 2020, dont l’objectif est de « formuler des préconisations pour en améliorer la prévention et la détection afin de repérer, de prévenir, d’empêcher, de sanctionner et de lutter contre toutes les formes de radicalisations ». Retour sur plus de soixante propositions aussi innovantes que pragmatiques.

Par Hugo CHAMPION

La démarche des Jeunes de l’IHEDN

La volonté des Jeunes de l’IHEDN d’aborder le sujet complexe de la radicalisation provient du double constat : « la jeunesse est la principale victime de ces extrémismes » et celle-ci en est également « le principal véhicule. Il était de notre devoir, en tant que jeune, d’agir en prenant la parole et en engageant une recherche sur les radicalisations », soulignent Coline Hrabina et Fadila Leturcq, co-pilotes de la Task Force des Jeunes de l’IHEDN. L’objectif, à la fois humble et ambitieux, était de « proposer un regard jeune pour encourager des politiques de long terme visant à enrayer les processus de radicalisation », expliquent-elles.

Trois champs ont donc été abordés : les milieux scolaires et sportifs, l’univers carcéral et l’espace numérique. Ce sont plus de 65 auditions d’experts et de personnalités de terrain, de plusieurs visites et rencontres, qui ont permis aux membres de se forger des convictions afin d’établir des préconisations concrètes. Les membres de la Task Force se sont attelés, dans un premiers temps, « à donner des clés de lecture pour comprendre et identifier les processus de radicalisation afin de tenter de mieux cerner le phénomène lui-même, particulièrement délicat à appréhender ». La radicalisation est une notion complexe qu’il est difficile à définir. Il a donc été retenu une conception large de la radicalisation, afin de ne pas uniquement orienter la réflexion sur la radicalisation islamiste. C’est pourquoi « un groupe de travail a été entièrement dédié à l’étude des radicalisations sous leurs angles sociologiques, psychologiques, anthropologiques et historiques ».

Une perspective européenne a également été ajoutée au travail, par le biais des délégations internationales de l’IHEDN, afin de mettre en exergue les différents outils de lutte contre le phénomène à l’étranger. « Nous espérons que nos conclusions seront utiles à l’ensemble des acteurs qui sont intéressés par cette thématique et qui œuvrent à la prévention de la radicalisation », indiquent Fadila Leturcq et Coline Hrabina. La lutte contre ce phénomène protéiforme et insidieux nécessite aujourd’hui une amélioration de la détection et de la prévention.

Lutter contre la radicalisation dans les milieux scolaires et sportifs

La décapitation du professeur d’histoire-géographie, Samuel Paty, le 16 octobre 2020 a tragiquement montré que le milieu scolaire est devenu un espace de lutte pour les ennemis de la République française. Conscient de ce constat, le ministère de l’Education nationale a mis en place des dispositifs afin de lutter contre ce phénomène. Néanmoins, les auditions menées par la Task Force démontrent plusieurs failles dans les différents outils de lutte. C’est pourquoi la Task Force préconise la création de la mallette pédagogique « Marianne » qui serait mise « à disposition de tout le corps professoral, des acteurs du milieu sportif mais également des personnes exerçant au sein des structures éducatives ». La mallette dépasserait le seul champ de la lutte contre la radicalisation, en incluant des chapitres sur la laïcité, les violences, le racisme et l’antisémitisme, la liberté d’expression, etc.

Afin de lutter globalement et efficacement contre le phénomène de radicalisation auprès des enfants, il serait également opportun de « rendre une formation obligatoire, uniforme et continue sur deux grands axes distincts, laïcité d’une part et lutte contre la radicalisation d’autre part pour tous les personnels étant de près ou de loin en contact avec des enfants (…) ».De nombreuses propositions sont également détaillées dans le rapport qui visent à développer l’esprit critique de nos écoliers, via une augmentation significative d’heures d’Education Civique et Morale ainsi qu’un apprentissage de la philosophie dès le plus jeune âge.

Enfin, il apparaît que les clubs de sport, où enfants et jeunes adultes se rendent, n’échappent pas au phénomène de radicalisation. Le rapport rappelle que « la grande majorité des auteurs des attentats entre 2012 et 2018, en France, sont passés par des clubs de sport (sports de combat / futsal) ». C’est pourquoi la Task Force recommande de « supprimer les subventions de l’État et des collectivités territoriales, de façonsystématique, aux structures sportives incitant au séparatisme ou à la radicalisationde ses membres ». Afin que l’ensemble des acteurs du sport sachent quels sont les bons comportements et les bons réflexes à avoir, il est indispensable de sensibiliser les acteurs du sport à la thématique. La proposition 32 du rapport préconise le recrutement de « volontaires en service civique au sein des structures sportives, spécialement formés comme ambassadeurs de la prévention de la radicalisation et de la laïcité pour œuvrer autour de ces thématiques ».

Comment mieux endiguer la radicalisation en prison ?

La radicalisation est un phénomène particulièrement répandu en prison, espace clos et violent. A l’heure actuelle, l’administration pénitentiaire (AP) comptabilise 503 détenus dits TIS pour « terrorisme islamiste », 758 dits DCSR pour « détenus de droit commun susceptibles d’être radicalisés », 32 dits d’ultra-droite, 7 dits d’ultra-gauche, 2 du PKK et 14 des milieux indépendantistes corses. L’administration pénitentiaire a significativement revu ses dispositifs de lutte contre la radicalisation et le prosélytisme. En 2019, le renseignement pénitentiaire est devenu un service à compétence nationale : le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP), membre du second cercle du renseignement participe de manière active à la lutte contre la radicalisation et le terrorisme en détention. Deux problématiques prégnantes persistent : savoir comment endiguer le phénomène chez les personnes incarcérées et empêcher la récidive de celles qui sortiront prochainement.

Des quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) ont été créés afin « d’évaluer les facteurs de risques de passage à l’acte violent ou de prosélytisme des personnes détenues ». À l’issue de cette période d’évaluation, l’administration pénitentiaire décide de placer la personne en « détention ordinaire (75%), en quartier d’isolement (10%) ou en quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR) ». La Task Force préconise alors de « créer ces dispositifs pour les femmes, et de développer des programmes spécifiques au regard de leur implication croissante dans les filières terroristes ». Afin d’amorcer le désengagement des détenus radicalisés, il serait également nécessaire de « créer un pôle « Grands témoins » dépendant de l’administration pénitentiaire pour renforcer le contre-discours ». D’autres propositions innovantes visent également à « impliquer véritablement l’individu et lui redonner le sentiment d’un pouvoir d’action visant à se réinsérer et à ne pas basculer de nouveau dans la violence et la délinquance ».

Pour la prise en charge des détenus TIS ou DSCR, la France a d’ores et déjà mis en place un programme d’accompagnement individualisé de réaffiliation sociale (PAIRS), qui vise à accompagner la personne dans la réinsertion (logement, travail, famille), et d’amorcer le renoncement aux thèses violentes que prône la personne prise en charge. Le combat contre la radicalisation se fait pendant l’incarcération mais également après la peine. Ainsi, la Task Force propose de « préparer l’après-peine en associant le SPIP1 en milieu ouvert et le réseau associatif, pour permettre la continuité de la prise en charge à l’issue de la peine. Ces actions conjointes pourraient s’inspirer des “Cercles de Soutien et de Responsabilité”, mis en œuvre au Canada et en France auprès des auteurs d’infractions sexuelles, visant à contrer l’isolement social et ainsi prévenir les risques de récidive, ou encore de dispositifs de mentorat développés au Royaume-Uni ou au Canada ». Une évaluation des dispositifs existants est également préconisée par les Jeunes de l’IHEDN afin de mettre en exergue les points à améliorer.

L’espace numérique : quels outils pour combattre le phénomène ?

Internet et les réseaux sociaux sont devenus un espace propice à la propagation des thèses extrémistes et violentes. Il est nécessaire de comprendre que « les outils médiatiques jouent un rôle important de recrutement et de formation car ils favorisent l’adhésion d’un individu au groupe en mobilisant des éléments d’une culture « mainstream » pour capter l’attention et légitimer leur projet à travers des contenus et des canaux méticuleusement choisis ». L’Etat peine à lutter contre ce phénomène. Comme il est souligné dans le rapport, la France doit faire face à une question épineuse : « comment garantir la liberté d’expression comme fondement de notre démocratie et, dans le même temps, limiter la radicalisation en ligne et la propagation des contenus de haine ? ». Cette interrogation avait d’ailleurs conduit à des débats de grande intensité au sein de l’hémicycle, au moment de la Loi Avia. Face aux carence de l’Etat devant un tel fléau, la société civile s’est mobilisée. « L’association PREVA.NET. adopte une approche pluridisciplinaire pour pousser des politiques publiques en lien avec la lutte contre les radicalisations en ligne. De même, nous avons auditionné Jihadoscope, site spécialisé sur le cyberdjihad qui assure des activités de veille sur le web et les réseaux sociaux. Nous avons également observé des initiatives citoyennes sous forme de collectifs comme la Katiba des Narvalos visant à infiltrer des groupes jihadistes en ligne et à offrir un contre-discours parodique principalement sur Twitter, ou encore CtrlSec qui signale des comptes propageant du contenu djihadiste ». S’il est difficile et juridiquement complexe pour l’Etat français d’assurer une lutte globale et efficace contre la radicalisation, quelques dispositifs pourraient être mis en œuvre. C’est dans ce contexte que la Task Force préconise la mise en place par l’Etat à destination des acteurs privés d’Internet, d’un texte contraignant de bonne conduite et de lutte contre la radicalisation.

Alors que le « projet de loi confortant les principes républicains » a été transmis mardi dernier aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, il sera examiné le 9 décembre en Conseil des ministres. Le rapport de l’IHEDN arrive ainsi à point nommé, avec une liste précieuse de préconisations dont l’exécutif pourrait s’inspirer. La lutte contre la radicalisation est l’affaire de tous, et la jeunesse prend part à ce combat !

Consulter le rapport complet : https://jeunes-ihedn.org/task-force-radicalisations-le-rapport-est-en-ligne/

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Service pénitentiaire d’insertion et de probation.