Nouvelles technologies et techniques scientifiques : la recherche au cœur de la gendarmerie

Innover toujours, même après des années de service rendu et d’enquêtes résolues. La gendarmerie s’y attelle chaque jour. Mais avant d’innover, il faut savoir chercher. Chercher l’idée et la manière de la réaliser qui ouvrira de nouvelles portes pour la sécurité intérieure. Tour d’horizon des projets de recherche en cours dans l’institution.

Par Maya Wall

Résoudre l’énigme des années plus tard. C’est ce que se propose de faire la dernière-née des divisions de la gendarmerie, Cold case, inaugurée le 9 octobre. Mais mettre le doigt sur le seul élément qui avait échappé aux enquêteurs lors d’un crime n’est pas mince affaire. Et ne serait pas faisable sans le concours de la science et des activités de recherche de l’institution.

Car, la gendarmerie innove. En permanence, cet aspect de son ADN reste inchangé au gré des réorganisations de l’institution. Forte de leur histoire d’innovation, de leur communauté de 78 docteurs, 40 doctorants et 408 ingénieurs, et de leurs partenariats avec de grandes structures (CNRS, CEA, INRIA, etc.), les gendarmes se donnent les moyens d’animer la recherche. 

Planifier la recherche

Si la division Cold Case existe aujourd’hui, c’est grâce à la curiosité précieuse des gendarmes du service central de renseignement criminel (SCRCGN). En 2017, lors de la disparition de Maëlys, petite fille que Nordahl Lelandais aurait enlevée et tuée, le service se penche sur les autres victimes potentielles de l’ancien maître-chien. Ils ressortent les dossiers, passent les pièces dans AnaCrim, le logiciel d’analyse basé sur le big data qui avait déjà permis de relancer l’affaire Grégory. Pour compléter cet outil développé au Canada et racheté par iBM, le SCRCGN se base aussi sur des techniques sur lesquelles la gendarmerie a elle-même mené les recherches. C’est notamment le cas de l’analyse ADN très précise sur de très petits échantillons.

Techniques d’identification humaine, donc, mais aussi numérique, big data, cyber, intelligence artificielle, robotique et humain augmenté. Ce sont les sept thématiques de recherche portées par la gendarmerie. D’ici à la fin du Plan stratégique recherche et innovation (PSRI), en 2022, de nouvelles techniques et de nouveaux outils auront vu le jour dans l’institution. L’objectif : développer des outils innovants qui permettent de résoudre davantage d’affaires et de faire face aux nouvelles menaces. Toutefois, la gendarmerie reste fidèle à l’esprit académique, tout ne peut pas fonctionner. Les projets de recherche ont droit à l’échec.

Penser la rupture

Derrière ces projets d’envergure, déjà mis en avant en 2019 dans le programme Disrupt, destinés à faire émerger des technologies de rupture, s’activent plusieurs divisions et services. Chacun se souvient, par exemple, de l’exosquelette testé par le GIGN en 2019 pour soulager les corps soumis à des efforts physiques intenses. Le groupe d’intervention a beau avoir des missions précises autour du contre-terrorisme et de la gestion de crises, ses capacités en matière de recherche n’en sont pas moins gigantesques. 

Dans la même veine que l’exosquelette, les autres projets autour de l’homme augmenté s’adaptent aux besoins des forces. Le GIGN travaille désormais à la création de vêtements anti-feu, élément auquel les forces de l’ordre sont davantage exposées sur les missions de maintien de l’ordre.

Sous l’égide du pôle judiciaire de la gendarmerie nationale (PJGN), l’institut de recherche criminelle (IRCGN) s’emploie à réaliser des analyses scientifiques dans le cadre d’enquêtes dans lesquelles le besoin en expertise balistique, toxicologique mais surtout forensiques se fait sentir. L’équipe tente notamment de définir une technique de reconnaissance de l’empreinte olfactive en captant des odeurs, en les analysant et en les interprétant. L’objectif est de pouvoir faire de ces odeurs des preuves judiciaires.

En ces temps de télétravail, d’usage massif de l’espace numérique et de flux de données, la gendarmerie ne saurait ignorer la nécessité de mener des projets de recherche autour de la robotique ou encore de l’intelligence artificielle.

Au PJGN, le SCRCGN s’occupe donc du renseignement et des infractions commises à l’encontre des services de traitement automatisé des données (STAD), à travers son centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N). Depuis 2016, le centre travaille, entre autres, sur le projet ALICE (Automatic labelling for Image Collections Exploration). Son but est d’automatiser la recherche, le tri et l’identification des images susceptibles de présenter une infraction (stupéfiants, pédophilie, usage d’armes à feu, etc.)

Considérations éthiques

Le développement de la recherche autour de l’intelligence artificielle, de l’automatisation et du big data ne saurait être complète sans l’étude de ses contraintes éthiques. C’est le travail que mène le centre de recherche de l’école des officiers (CREOGN). A la tête d’une équipe de 12 personnes dont 6 chercheurs, le colonel Dominique Schoenher en est le directeur adjoint : « Nous étudions les effets des nouvelles technologies sur le plan institutionnel pour qu’elles soient acceptées par les agents et par la société. »

Au cœur des études du CREOGN : les apports de l’intelligence artificielle. Peut-on l’utiliser dans la reconnaissance faciale ? L’analyse des données ? L’analyse de l’accidentologie avec les voitures autonomes ? Autant de considérations fondamentales qu’analyse le centre, sous l’angle des sciences humaines et sociales. « Les gendarmes sont preneurs de nouvelles pistes et outils, mais ils demandent à être convaincus que leur usage correspond aux valeurs du métier », résume Dominique Schoenher. Il concède : « Peu de personnel sont suffisamment acculturés à l’IA, mais des projets de formation sont en cours de déploiement. » D’ici à mars 2021, chaque gendarme et personnel civil de l’institution devra avoir suivi une formation de quelques heures, en ligne, sur les rudiments de cette technologie. Le CREOGN s’attachera à enseigner que « beaucoup de choses sont possibles avec les nouvelles technologies, mais que des questions éthiques et juridiques se posent autour de leurs usages, sauf à adopter l’approche chinoise du contrôle social ».

Une chose est certaine, les laboratoires de la gendarmerie regorgent encore de projets de recherches, pour lesquels l’institution peut également compter sur un soutien européen. Si la gendarmerie est associée à différents programmes de recherches européens et notamment autour de l’intelligence artificielle, renforcer ces derniers pourraient être un atout majeur dans la construction de la politique de sécurité européenne.