Recruter et former des policiers et gendarmes du futur dès aujourd’hui

Certains arrivent à l’école en en ayant rêvé toute leur vie. D’autres se découvrent une vocation tardive dans l’expertise. Les futurs gendarmes et policiers français ont de quoi se réjouir : les deux institutions réfléchissent constamment aux profils dont elles ont besoin pour assurer la sécurité des citoyens, sur tous les plans.

Par Lola Breton

Assurer la sécurité des Français séduit toujours. Chaque année, des milliers de candidats se présentent aux concours de la police et de la gendarmerie. Malgré l’émergence de nouvelles menaces, inédites et inconnues pour la plupart et une certaine défiance envers les forces de l’ordre chez quelques citoyens, les jeunes, pour la patrie, veillent.

« La situation actuelle est incomparable à ce qu’on a connu en 2015. À ce moment-là, le contexte était très particulier et les envies de rejoindre la police nationale fortes », appuie Frédéric Veaux, Directeur général de la police nationale. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2012, 8000 personnes passaient le concours de gardien de la paix, pour 450 places. En 2017, ils étaient 24 500 à tenter leur chance. Au sein de la gendarmerie, même constat. Le dernier concours en date a drainé 20 000 candidatures. 3500 auront l’honneur d’intégrer les rangs en 2021. « Mais on ne se satisfait pas de ces chiffres favorables. Nous sommes dans une dynamique de remise en question permanente », souligne le général Gilles Martin, sous-directeur des compétences à la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Pour la gendarmerie, la prochaine étape d’un recrutement efficient est d’instaurer une présence accrue sur les réseaux sociaux, pour « toucher davantage les jeunes sur leurs vecteurs d’information et d’échanges ». Pour cela, un projet est déjà en ordre de marche. « Notre ambition à terme est de disposer d’un centre d’information et de recrutement (CIR) numérique proactif sur les réseaux sociaux, d’ici à deux ans, explique le général Gilles Martin. Avant cela, le CIR numérique devrait compléter d’ici à un an le dispositif existant avec la brigade numérique et traiter toute la partie liée au recrutement avec le recueil et le traitement des demandes de futurs candidats. »

Profils particuliers

Les métiers de la sécurité publique ont beau continuer à susciter des vocations, les forces ne recherchent plus exactement les mêmes profils qu’il y a dix ans. Les valeurs fondamentales des forces restent d’actualité, évidemment. « Le recrutement dans la police est à l’image de la société française : varié, appuie Frédéric Veaux. Mais, nous recherchons d’abord des hommes et des femmes – de plus en plus de femmes – qui ont le sens de l’engagement et l’envie de servir. »

Des éléments centraux qui doivent désormais être complétés par des appétences et des compétences particulières, notamment pour les nouvelles technologies. Frédéric Veaux met en avant : « Des outils techniques sont en train de se développer et nous voulons avoir les capacités de les utiliser, mais aussi de les faire évoluer et de les adapter à nos aspirations et à nos attentes. » Alors que la tradition voyait jusqu’à maintenant arriver en école de police des candidats au profil juridique, ce sont désormais les savoir-faire techniques qui intéressent. Utile pour traquer les infractions sur Internet, d’abord, comme le fait déjà la brigade de lutte contre la cybercriminalité (BL2C), par exemple. Au vu du nombre d’attaques aux rançongiciels traitées par l’ANSSI et le concours de plusieurs unités spécialisées depuis début 2020 (104), la menace cyber est largement d’actualité. Mais savoir utiliser les outils technologiques (intelligence artificielle, machine learning, objets connectés, etc.) à bon escient peut aussi permettre à la police de se doter d’un nouvel arsenal technologique, aide précieuse au travail de terrain des agents.

Agilité informatique

Chez les gendarmes, aussi, on cherche à augmenter la part des profils à dominante scientifique, non seulement pour l’expertise qui est déjà très présente, mais pour accentuer l’irrigation d’une « pensée scientifique et expérimentale, atout essentiel pour la créativité, l’idéation et l’innovation », dans le corps tout entier, lance Gilles Martin. En premier lieu, c’est donc l’introduction d’un concours officier scientifique supplémentaire et d’une nouvelle épreuve numérique au concours d’entrée de sous-officier dès cette année. Il s’agit de tester les connaissances numériques des candidats, mais sous peu les aspirants gendarmes devront démontrer véritablement une grande agilité avec les outils informatiques, sur le Web et les réseaux sociaux.

Après le concours, vient la formation. Là encore, les compétences numériques s’immiscent dans les programmes. D’ici à 2021, le programme V8 Numérique sera déployé dans la formation initiale des nouvelles recrues. De quoi potentiellement faire naître des vocations pour intégrer la brigade N’Tech en tant qu’enquêteur technologies numériques.

Et les formations ne sont pas uniquement destinées aux nouveaux entrants dans la force. Les dirigeants de la gendarmerie sont également poussés à en apprendre davantage sur l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux dans le cadre de leurs missions. « Il nous faut attirer l’attention sur l’utilité de ces outils tout en faisant un point sur leur dangerosité », exprime Frédéric Monin, directeur du centre formation des dirigeants de la gendarmerie. En formation continue, les officiers doivent « garder un équilibre savant entre les fondamentaux de l’institution en termes de commandement et les outils et techniques pour s’adapter à de nouvelles menaces », explique-t-il.

Formation permanente

Malgré les menaces qui émergent sur ce support, être gendarme ou policier en 2020 ne se limite pas aux outils et à la veille numérique. Dans un entretien accordé au Point en août 2020, Gérald Darmanin, alors tout juste nommé ministre de l’Intérieur, déclarait : « On ne peut plus envoyer de jeunes policiers sortant de leur terroir à Paris ou en proche banlieue, dans des conditions de violence bien plus élevées que ce qu’ils ont connu, sans davantage de formation. » A cela, Frédéric Veaux ajoute : « Nous avons recours à des effectifs supplémentaires en région parisienne parce qu’il y a une concentration de population. Lorsque les policiers obtiennent leur mutation en province, nous devons faire le nécessaire pour compenser avec les sorties d’école. » Le directeur général de la police nationale se veut rassurant : « La formation n’est jamais aboutie en sortie d’école. C’est sur le terrain, encadrés par leurs collègues que les jeunes policiers apprennent à gérer chaque situation. »

La formation n’aboutit jamais. Etre au service de la sécurité des Français est exigent. Cela implique de facto, l’acquisition d’un certificat d’aptitude au tir régulièrement renouvelé, tout comme le recyclage de la maîtrise des techniques d’interpellation. Des remises à niveau indispensables dans un contexte sécuritaire particulier, comme le souligne le nouveau schéma national de maintien de l’ordre, dévoilé en septembre.

Le ministère de l’Intérieur souhaiterait que ce renouvellement des savoir-faire ait lieu dans toutes les unités de maintien de l’ordre, afin d’améliorer l’interopérabilité des forces. Pour cela, quelques éléments restent à consolider dans la formation des gendarmes et policiers. « Tous les aspirants gendarmes, y compris ceux qui se destinent vers la gendarmerie départementale, suivent un tronc commun comportant une formation aux actes élémentaires du maintien de l’ordre avec un stage au centre national d’entraînement des forces de la gendarmerie de Saint-Astier. Les futurs gendarmes mobiles reçoivent ensuite une formation spécifique propre à la subdivision d’arme choisie, pendant les 2 derniers mois en école. »

Pour ce qui est de la questions des processus post-concours encore trop lourds aujourd’hui, il serait souhaitable de les moderniser et réduire les délais au risque de perdre de jeunes et talentueuses recrues

Karine Le Jeune, parcours d’une colonelle de gendarmerie

La boucle est bouclée. Le parcours de Karine Le Jeune dans la Gendarmerie est ancré dans l’Essonne. C’est dans ce département francilien, à Palaiseau, qu’elle y entame sa carrière de lieutenante, en 2002. « C’est un clin d’œil d’avoir pu revenir 16 ans plus tard. » Karine Le Jeune est désormais colonelle – l’une des rares femmes en France à avoir accédé à ce grade – et commande le groupement de Gendarmerie de l’Essonne.

Son lien avec l’institution est profond : « Je suis tombée dedans quand j’étais petite ! sourit-elle. Je suis la quatrième génération de gendarmes de ma famille. » Comme beaucoup d’autres candidats au concours d’officiers, Karine Le Jeune a étudié le droit, en sachant que cela la mènerait, « dans une institution qui permet de faire des métiers très différents, au service du public ».

Petit à petit, Karine Le Jeune gravit les échelons, au gré de ses postes tous plus formateurs et stimulants les uns que les autres : délégation aux victimes, commandement de la compagnie de Cambrai (Nord), Section prévention de la délinquance, porte-parolat. Celle qui s’engage très rapidement dans la lutte contre les violences faites aux femmes a dû s’imposer en tant que femme sur le terrain : « Je ne ressens pas de difficultés, parce que je n’ai pas volé ma place. J’ai travaillé, j’ai le même parcours que les gendarmes hommes », assure-t-elle. Au début des années 2000, pourtant, très peu de femmes occupent la force et « certains commandants considéraient que l’on n’avait pas forcément notre place », se souvient Karine Le Jeune. Et d’ajouter : « Le sujet de la légitimité des femmes dans l’institution se pose de moins en moins, mais il se pose encore. »

Un rôle pris à bras le corps

Aujourd’hui seule femme aux commandes d’un groupement de gendarmerie en Ile-de-France, Karine Le Jeune s’applique à inculquer les valeurs de l’institution à tous. En tant que cheffe, elle essaie de « mettre en place des dispositifs innovants pour mailler le terrain et mieux prévenir la délinquance. L’Essonne est un bon laboratoire parce que c’est un territoire dense avec de forts phénomènes de délinquance », souligne-t-elle. Elle reconnait toutefois que le département francilien n’est pas des plus attractifs pour les gendarmes. A la tête de jeunes, « voire de très jeunes » effectifs, qui remplacent les plus âgés partis en province, Karine Le Jeune prône encore les valeurs d’une institution dans laquelle les métiers évoluent beaucoup et où « aucun parcours ne se ressemble ».

En poste depuis 2018, la Colonelle Le Jeune met « son cœur, ses tripes et son expérience dans son rôle chaque jour pour évoluer en permanence ». Pour recréer du lien avec la population qu’elle protège, elle a déjà redynamisé la communication sur les réseaux sociaux. Elle estime que « les citoyens doivent savoir ce que fait la gendarmerie ».