Quels changements pour la sécurité intérieure demain ?

Les menaces intérieures changent. La perception et le ressenti des Français aussi. La police et la gendarmerie, piliers de la sécurité du territoire et actrices essentielles de sa stabilité doivent, elles-aussi, envisager leur futur.

Par Lola Breton

« Les Français ont encore confiance en les forces de police. » Cette phrase revient en permanence dans le discours des acteurs de la sécurité intérieure, et dans celui de ses observateurs. En effet, l’enquête nationale sur la qualité du lien entre la population et les forces de sécurité intérieure, commandée par le ministère de l’Intérieur et publiée en mars 2020, indique que près de 85% des Français ont une opinion positive des forces de l’ordre. Cependant, alors même que la première pierre à poser pour assurer la sécurité de tous est celle de la confiance, le détail de ces relations police-population peint un bilan plus sombre.

Resserrer les liens police-population

Si l’on en croit les sociologues et les études menées ces derniers mois, la police serait perçue comme davantage violente. Aline Daillère, juriste et spécialiste des questions relatives aux violences policières a vu un glissement s’opérer chez leurs victimes. « A l’origine, la violence s’exerce en priorité envers ‟la clientèle policière” dans les périphéries urbaines. Maintenant, elle arrive dans les villes, lors de manifestations, comme on a pu le voir avec les gilets jaunes », avance-t-elle.

Le lien entre police et population semble donc épineux. Ce n’est pas faute, pourtant, d’avoir essayé d’instaurer des brigades proches des gens. La police de sécurité du quotidien, les brigades de gendarmerie, les polices municipales sont censées veiller à cette préservation du lien. Cette présence accrue et diversifiée des forces de sécurité intérieure dans certains quartiers et certaines villes de France n’a pas encore porté ses fruits en termes de perception. « La PSQ ne peut fonctionner qu’avec des mesures d’accompagnement social en parallèle, estime Denis Jacob, secrétaire général du syndicat Alternative police. Ce qui pèche, c’est notamment que les brigades ne soient pas présentes dans les quartiers de manière pérenne. Il faudrait y rester toute la journée et y réinstaller des commissariats ! »

Le lien ténu entre police et population semble devoir être l’apanage des polices municipales. “La police municipale est souvent cette police de confiance”, pointe du doigt Jacques de Maillard, politologue et professeur de sciences politiques affilié au Cesdip (Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales). “Le risque et la tendance actuelle, c’est que la police municipale ressemble de plus en plus à la police nationale, en termes d’armement, d’équipement, de tenues, de missions que la nationale ne veut plus faire”, estime-t-il.

Recherche de transparence

Pour Aline Daillère, c’est le manque de transparence et de communication qui est préjudiciable. « Il faut établir une communication entre l’institution de police et le corps citoyen », appelle-t-elle, bien que cette ouverture ne soit pas inscrite dans la culture professionnelle policière. Et le changement pourrait venir au travers d’une réforme de l’enquête interne. « Les enquêtes sont réalisées par des policiers ou par des gendarmes. Cela pose un problème d’impartialité », estime la juriste. Un problème apparent envers la population, notamment dans les enquêtes concernant les violences policières. Le contrôle des institutions de sécurité intérieure semble, pour l’instant, opaque.

La transparence serait également bienvenue entre les unités, entre les directions, entre les forces. Pour Jacques de Maillard, nous assistons à « un problème de coordination des services et de gestion des carrières ». L’explication se trouve peut-être dans la sur-spécialisation des forces et la multiplication des unités. Et c’est sans parler de la Préfecture de police, elle-aussi mise à part de la police nationale par une coordination et des carrières différenciées.

« Chacun a voulu y aller de sa petite création de services à chaque changement de direction pour marquer son passage au ministère », ressent Denis Jacob. Le secrétaire général d’Alternative police estime qu’il faut « revenir à ce qui fonctionne bien : remettre tous les agents ensemble sur le même plan ». Une solution que tend à partager Jacques de Maillard. « Le premier enjeu d’une restructuration de la police, c’est de revaloriser le travail de policier généraliste, en uniforme et en contact avec le territoire. » Dans un rapport du think tank Terra Nova, publié en 2016, le politologue et ses collègues chercheurs appelaient déjà à re-régionaliser les forces de sécurité intérieure pour recréer du liant avec les citoyens.

Bien-être interne

Des forces plus au clair sur le travail qu’elles doivent mener et plus transparentes entre elles pourraient permettre de laisser entrer plus facilement la sécurité privée dans les missions intérieures. Et ainsi faire vivre concrètement la sécurité globale prônée dans le rapport Fauvergue-Thourot – après avoir restructuré et fiabilisé la branche privée.

Là encore, tout est question de confiance. Si les unités sont éclatées et les hiérarchies trop verticales, le courant ne passe pas. Denis Jacob souligne : “Il y a beaucoup de choses à faire en interne. Au niveau de la formation, déjà, il faudrait qu’elle soit commune aux trois corps.” Lui appelle à la création d’une « véritable académie de police pour créer du lien entre gradés et gardiens ». « Il faut remettre tout le monde au même niveau pour apprendre à se connaître. Cela règlera beaucoup de problèmes, notamment le manque d’écoute que beaucoup de policiers ressentent face à leur hiérarchie », pense-t-il.

L’écoute, les agents de police et de gendarmerie en ont besoin. Alors que les forces sont de plus en plus soumises à un stress accru lié au climat de défiance et aux nouvelles menaces sécuritaires, leur mal-être est aussi davantage criant. « Le ministère de l’Intérieur s’est employé à casser le lien humain à travers 20 ans de réformes, clame Denis Jacob. Il a déshumanisé la police nationale pour gagner en efficacité. » Pour le représentant syndical, une réforme horaire de la police permettrait « plus d’opérationnalité » et de bien-être – notamment parce qu’elle redonnerait une place à la vie de famille des agents.