Vers une transformation globale réussie pour les forces de sécurité

Casques augmentés, robots policiers, drones, technologie biométrique, blockchain, Intelligence Artificielle ou encore objets connectés (IoT), le monde de la sécurité n’a jamais autant été un laboratoire d’innovations technologiques. En témoigne le nombre d’initiatives à travers le monde durant la crise de la Covid-19. Dans le même temps, les institutions se questionnent sur leur organisation et leurs doctrines d’emploi. Elles souffrent parallèlement d’une frénésie médiatique et d’un apparent manque de confiance de certains citoyens alors même que la menace n’a jamais été aussi forte.

A l’heure où le livre blanc de la sécurité intérieure devrait constituer un nouveau pacte pour les acteurs de la sécurité et les citoyens, comment penser la sécurité intérieure de demain ?

Par Grégory GEDON et Karen JOUVE

Grégory GEDON est associé Secteur Public spécialisé dans la sécurité intérieure chez Wavestone

Karen JOUVE est consultante Secteur Public spécialisée sur les questions de Sécurité Intérieure et Blockchain chez Wavestone

Se transformer et répondre présent

Cybercriminalité, réseaux de passeurs, trafics illicites, fraude documentaire, terrorisme, les défis sont nombreux et représentent autant de contraintes pour se réinventer à travers une « sécurité augmentée » alliant innovation organisationnelle et technologique. La résurgence de nouveaux types de menaces amène à questionner les dispositifs à l’œuvre afin d’encore mieux prévenir les évolutions de la délinquance et les nouveaux types de criminalité. La délinquance évolue, elle est de plus en plus violente, mais elle se diversifie aussi, à l’instar de la cybercriminalité qui connaît une progression exponentielle. La société évolue également en termes d’usage numérique notamment, ce qui impacte l’approche opérationnelle des forces en central et sur le terrain. Plusieurs défis sont désormais lancés aux acteurs de la sécurité qui obligent à réinventer et à transformer en profondeur les outils et les modes opératoires.

Combattre une cybercriminalité polymorphe et en pleine expansion à travers une coopération nationale, européenne et internationale de premier plan, l’animation territoriale de la communauté cyber en garantissant la capacité d’action et en disposant d’une vision juste et fiable de la cybercriminalité.

Faciliter le travail d’enquête en renforçant l’ensemble de la chaîne pénale et en innovant dans les méthodes d’investigation : reconstitution de jumeaux numériques de scène de crime, exploitation optimale des objets connectés pour extraire les informations utiles, utilisation de nouvelles technologies pour aider l’enquête judiciaire et la recherche de preuves (drones, IA, capteurs thermiques…) seront autant d’atouts pour améliorer le taux d’élucidation des enquêtes.

Prévenir et lutter contre le terrorisme : au-delà d’un dispositif national et international intégré et coordonné, un maillage territorial des services renforcé combiné à l’implication de nouveaux acteurs est un enjeu primordial pour prévenir les actes terroristes, dénouer les filières et prendre en charge efficacement les personnes radicalisées.

Agir contre la massification de la « délinquance du quotidien » : Trafics de stupéfiants nourrissant l’économie souterraine, rodéos urbains, violences conjugales ou sexuelles, etc. sont autant d’infractions qui affectent les concitoyens dans leur quotidien et qui concourent à leur manque de confiance. Elles nécessitent des réponses judiciaires adaptées, la mobilisation de l’ensemble des organisations compétentes (ex : GIR pour les trafics) et le déploiement d’outils spécifiques (ex : bracelets anti-rapprochement).

Garantir la sécurité et l’intégrité des agents : Dans un contexte d’évolution de leurs missions et d’actes criminels de plus en plus violents, la formation et l’équipement des forces de sécurité sont indispensables pour protéger les agents y compris sur des missions de voie publique, en témoigne l’actualité.

Le contexte est tel qu’il devient désormais indispensable d’unir l’ensemble des acteurs du continuum de sécurité, et au milieu d’eux, chaque citoyen dans une logique de co-production à l’instar de ce qui est appelé des vœux dans le rapport Fauvergue-Thourot de 2018 : « Faire du citoyen le premier maillon de la chaîne de sécurité »

Conduire les innovations technologiques et organisationnelles au bénéfice de tous

La multiplication de technologies disponibles réinterroge la manière de produire la sécurité et l’ensemble des pratiques managériales. Formidable levier de transformation pour repenser le métier au quotidien et la relation à l’usager, l’alliance entre des outils technologiques de pointe et une organisation modernisée et adaptée permettra de répondre aux nouveaux enjeux sécuritaires de notre décennie.

Les acteurs de la sécurité doivent pouvoir innover et exploiter le potentiel des évolutions technologiques afin de construire une nouvelle « sécurité augmentée » à la hauteur des menaces qui s’érigent devant eux.

Tirer pleinement parti de l’Intelligence Artificielle au bénéfice de l’ensemble des domaines de la sécurité notamment dans l’automatisation de certaines actions, la détection de nouvelles menaces, l’aide à la décision, l’allocation équilibrée de ressources, la gestion des carrières et des mobilités, l’optimisation du soutien, la qualification des urgences, le traitement vidéo ou encore l’anticipation d’événements.

Prendre le virage de la transformation numérique sur le terrain et dans les salles de commandement afin de rationaliser les moyens, de gagner en efficacité pour permettre in fine une plus forte présence sur la voie publique tout en améliorant la qualité de vie des agents.

Profiter du potentiel permis par l’arrivée de la 5G et des objets connectés (drones, montres connectées…) pour ancrer les forces de sécurité dans l’ère du numérique grâce à des outils de communication haut débit, sécurisés et résilients comme le Réseau Radio du Futur.

Pour autant, l’ensemble de ces évolutions technologiques ne pourront offrir tout leur potentiel sans une optimisation et une ré-interrogation des modes d’organisation et de gouvernance des acteurs de la sécurité. Les défis humains et organisationnels sont nombreux. Ils doivent s’appréhender dans leur globalité. Il va donc falloir assurer une meilleure coordination entre les différents acteurs du continuum de sécurité (Police, Gendarmerie, Polices Municipales et Sécurité Privée). Même si les polices municipales et les forces de l’ordre ont des missions communes, notamment en matière de surveillance et de respect de l’ordre public, leurs domaines d’intervention restent différents. Ils nécessitent donc une bonne coopération pour éviter la confusion et les doublons. Pour ce faire, il est important que, sur le terrain, la culture de la sécurité se partage sur la base d’un renforcement mutuel, sans accaparement au profit d’une force ou d’une autre et en favorisant le croisement d’expériences.

Définir précisément les ambitions et les prérogatives de la police municipale au regard de celles des forces étatiques est indispensable. Pour faire face à des besoins ponctuels de renfort sécuritaires et pallier le manque de ressources qui peut en découler, tels que pour assurer la sécurité d’événements majeurs (festival, événement sportif, etc.), les décideurs publics sont amenés à faire appel à des sociétés privées qui viennent élargir le continuum de sécurité. Il faut alors que le recours à la sécurité privée s’inscrive dans un cadre clair et formalisé, aligné sur les missions des services nationaux ou locaux. En parallèle, il devient incontournable d’accompagner la gestion des projets de transformation numérique et organisationnelle grâce à des méthodologies agiles qui permettront de faire face à l’évolution permanente des réglementations, aux attentes politiques et citoyennes de résultats tangibles ainsi qu’à l’explosion du vivier technologique tout en assurant une acceptabilité sur le terrain de l’ensemble des agents.

Il s’agit également de renforcer et harmoniser la filière numérique au sein des institutions dans le but de créer des filières attractives, de former les agents, d’être à l’affût des dernières tendances du marché et de permettre le partage de bonnes pratiques, de retours d’expérience terrain qui permettront de répondre aux enjeux RH d’attractivité et de fidélisation.

La gestion de l’usager, notamment à l’aune de la crise sanitaire que nous traversons, questionne et exige une adaptation face aux nouvelles attentes de la population. Renforcer la confiance des citoyens et propulser les agents dans une nouvelle ère permise grâce aux outils en mobilité (Néo) et aux dispositifs numériques sont au coeur des enjeux.

Cela implique d’accélérer l’usage du numérique et de concevoir de nouveaux outils au bénéfice des usagers permettant d’accéder à certains services de Police sans avoir à se déplacer physiquement (Tchat ou visioconférence avec un policier ou un gendarme, démarches en ligne, géolocalisation des points de contact les plus proches et temps d’attente en temps réel, information personnalisée, etc.).

Mais aussi de repenser le contact usager. Il s’agirait de permettre aux agents d’effectuer les mêmes tâches en mobilité qu’en commissariat ou brigade à travers par exemple des fonctionnalités équivalentes à celles accessibles en commissariat sur un terminal mobile pour les agents en mobilité (sorte de Neo augmenté permettant par exemple : enregistrement de plaintes, mains courantes, procuration, prise d’empreinte, etc.). Des dispositifs de commissariat itinérant pour aller à la rencontre des usagers en zones reculées pourraient aussi être étudiés.

Étant donné leur maillage territorial sans équivalent et leur contact avec les populations, les forces de sécurité pourraient également contribuer à la réduction de la fracture numérique en exerçant un rôle de soutien et de conseil dans les zones les plus reculées. En somme, l’objectif est de simplifier le quotidien des acteurs de la sécurité et leur dégager du temps pour être au plus près des usagers et se focaliser sur leur cœur de métier.

Les nouvelles technologies que sont l’IA, l’IoT, les Robots, la 5G, ou la Blockchain représentent de nouvelles opportunités dont les acteurs de la sécurité intérieure doivent pleinement se saisir afin d’être en capacité de répondre aux nouvelles menaces et aux attentes des citoyens. Pour autant, cela impose de réinterroger les doctrines d’emploi et nécessite de ce fait un accompagnement managérial fort pour que les technologies puissent être appréhendées par les agents et pleinement inscrites dans les nouveaux modes d’organisation des acteurs de la sécurité intérieure.

Cette nécessité d’évoluer à la fois sur le plan technologique et organisationnel amène également à interroger l’évolution de certaines réglementations eu égard aux limites législatives concernant par exemple l’usage de la vidéo, des drones ou encore de technologies de reconnaissance sur la voie publique, dans le but d’accélérer l’adoption technologique nécessaire à la construction de la « sécurité augmentée ». Enfin, véritable pierre angulaire de la sécurité, la formation associée aux nouveaux outils, équipements et dispositifs constitue un défi majeur à ne pas rater.