FantasIA, la fiction au service de la prospective technologique de l’armée suisse.

« N’investissez jamais dans une technologie sans l’avoir d’abord vue à l’œuvre dans un jeu vidéo »1 déclare, un brin provocateur, Quentin Ladetto,directeur du programme de prospective technologique de l’armée suisse deftech. Une maxime à l’origine du projet Technocast visant à expérimenter de nouvelles formes d’études statistiques en privilégiant le recours à la fiction et à l’immersion et dont le podcast interactif FantasIA, développé par le collectif Le Coup d’Après, est la première étape. A un moment où l’humanité a pris conscience de l’étendue des conséquences, positives comme négatives, induites par l’usage de l’intelligence artificielle, FantasIA dépasse le constat de notre omnipotence technologique pour questionner nos seuils d’acceptabilité et de responsabilité.

Par Philipine Colle

L’acceptabilité des usages technologiques, un élément clé.

Le domaine de la sécurité est avide de technologies de pointe. En matière d’intelligence artificielle, des briques technologiques déjà existantes et opérationnelles ouvrent la porte à de nombreux usages futurs. Or, la porosité accrue entre les domaines d’application civils et militaires des technologies engendre de nouvelles menaces. L’accélération du développement des innovations civiles permet à de potentiels adversaires non étatiques de rivaliser avec les forces armées conventionnelles dans des domaines où leur supériorité était jusqu’à présent incontestée. C’est la volonté de comprendre les opportunités, les menaces mais aussi les craintes que génèrent les nouvelles technologies qui est à l’origine de la création du programme de prospective lancé par l’armée suisse.

Afin de développer les meilleurs outils technologiques, le programme de prospective technologique suisse souhaite mieux comprendre les facteurs d’acceptabilité. « En plus de la porosité croissante des usages, les tensions grandissantes et les débats cristallisés autour des notions de liberté, de propriété des données personnelles et des usages sécuritaires des technologies comme l’intelligence artificielle ou les drones ont également été moteurs de la volonté d’intégrer le grand public dans un projet d’étude sur l’acceptabilité technologique » explique Pamela Bellier, responsable Design Fiction pour le collectif Le Coup d’Après.

FantasIA plonge ses auditeurs dans un univers parallèle et leur propose d’assister Anna, une IA responsable de la sécurité d’un parc d’attraction, en les mettant face à des cas d’usage technologique tel l’envoi d’un robot à la place d’un humain pour réparer un manège sur lequel des enfants prendront place. Les choix faits par les auditeurs dans différentes situations relèvent de leur niveau d’acceptabilité. « Les données statistiques concernant la dispersion des répondants, recueillies en toute transparence, sont dès maintenant consultables sur le site du deftech. Une grande enquête concernant leur rapport aux technologies sera réalisée et leur sera envoyée » continue Pamela Bellier. Ainsi, le podcast permet aux auditeurs de s’interroger sur leur propre sensibilité aux usages des IA. Outil de sensibilisation déclenchant des prises de conscience et élément substantiel du programme de prospective de l’armée suisse, FantasIA fait de ses utilisateurs des acteurs du développement des usages technologiques de demain.

La fiction au service de la réflexion

Si les raisonnements produits par les auditeurs face aux dilemmes qui leurs sont proposés sont bien réels, c’est par le recours à la fiction qu’ils sont induits. Un recours à l’anticipation et à l’immersion plébiscité comme un outil de prospective stratégique par les armées européennes en quête des innovations à la hauteur des défis futurs. Emmanuel Chiva, directeur de l’Agence de l’innovation de défense française déclarait que le fictif permettrait de « challenger les agents dont le métier est déjà de faire de la prospective stratégique et technologique au sein du ministère »2.

C’est dans le cadre d’un travail itératif et après le succès mitigé d’un premier sondage au format classique que la fiction a été choisie. Quentin Ladetto explique « La réponse à la question « Etes-vous pour ou contre les robots tueurs ? » semble être unique. Ce genre de question biaise toute réflexion dès le départ et polarise l’opinion. Posée comme cela, elle a donc peu de valeurLa fiction et l’immersion ont pour rôle d’extirper l’auditeur de ses représentations antérieures, des visions manichéennes plus classiques. FantasIA, est une expérience, elle permet la construction d’imaginaires beaucoup plus larges et dans lesquels la nuance a toute sa place » déclare Paméla Belier. Dans la continuité, l’utilisation du son et de la voix plutôt que de l’image est un choix basé sur la volonté de donner la plus grande liberté d’interprétation et d’abstraction aux auditeurs. La fiction devient un outil pour la réflexion et lui donne ainsi un cadre.

Le recours à l’immersion est également un moyen de toucher un public plus large, n’ayant pas de compétences pointues ou d’attrait pour le sujet de la technologie. « L’interface ludique et non anxiogène est également un alibi pour l’étude statistique, elle permet une certaine attractivité sur des sujets complexes » continue-t-elle. Une stratégie gagnante puisque le projet lancé à la mi-décembre en quatre langues semble être accueilli avec enthousiasme par le grand public et a déjà permis de recueillir des données de plus de 200 participants. En outre, le nombre estimé de participations sans partage de données est deux à trois fois supérieur.

S’il est trop tôt pour prédire le développement futur du projet FantasIA, déjà connu et salué par l’armée française, son format pourrait être décliné à des environnements militaires plus opérationnels afin d’évaluer la possibilité de stimuler les échanges entre experts scientifiques, industriels et professionnels des forces armées.

1 Source : deftech.ch

2 Source : la Tribune.fr