Faire de 2021 une année pour la souveraineté européenne

Lannée 2021 sera, pour l’Union européenne, celle de la fin de la naïveté. Si les défis relevés collectivement l’année passée ont mis en évidence la puissance de la solidarité européenne, la nécessité d’atteindre une autonomie stratégique continentale est plus prégnante que jamais. A l’heure de l’avènement des rapports de force et des tentatives d’influence sur la scène internationale, l’Europe doit se doter d’une voix unique. Sans nier les partenariats et les alliances qui font sa force, elle doit imposer le respect de ses règles pour assurer son futur. Thierry Breton, Commissaire européen au Marché intérieur et au Numérique revient sur les mesures mises en place pour que l’Europe redevienne maîtresse de son destin.

Par Philipine Colle

L’Europe agit pour un numérique de valeur

L’actualité internationale prouve la nécessité d’agir pour la mise en place d’un numérique de valeur. Les évènements du Capitole et la décision prise unilatéralement par Twitter quant à la fermeture du compte du président Trump sont historiques. Alors que les dangers que les dérives numériques représentent pour la démocratie et l’ordre public ont été tristement mis en lumière, les réactions aux violences de Washington constituent une avancée majeure pour la régulation de l’espace informationnel. De fait et alors qu’elles avaient fondé leur puissance sur leur statut d’hébergeur passif, les plateformes ont reconnu, pour la première fois, leur responsabilité éditoriale sur les contenus qu’elles diffusent. Cette reconnaissance va dans le sens des mesures que l’Europe avait déjà décidé d’implanter dans le cadre du Digital Service Act et du Digital Markets Act. Ce paquet législatif fonctionnera selon un principe : tout ce qui est autorisé dans l’espace physique doit l’être dans l’espace numérique, mais tout ce qui est interdit dans l’espace physique doit également l’être numériquement. Le DSA imposera aux plateformes des obligations de moyens et de résultats. Si une infraction est commise sur un réseau social, l’opérateur devra être en mesure d’y remédier dans un temps imparti, qui serait, à titre d’exemple, d’une heure pour les messages de soutien au terrorisme, sous peine de sanctions financières allant jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires. Par le DSA, l’Union européenne s’engage et se donne les moyens de vérifier l’application des règles par la réalisation d’audits réguliers et la nomination d’un régulateur dans chacun des pays membres. Le DMA permettra, quant à lui, la mise en place d’un marché du numérique équitable où la libre concurrence et la compétition seront garanties.

Les plateformes numériques devront s’adapter au marché européen et auront à se préoccuper de l’impact qu’elles peuvent avoir sur le fonctionnement des démocraties, sur le respect des valeurs qui sont celles de l’Europe ainsi que sur ses règles de concurrence.

L’objectif de la souveraineté numérique pour 2021

Lors de l’arrivée de la Chancelière Allemande à la Présidence tournante de l’Union, la question de la définition de la souveraineté européenne a été très rapidement posée et c’est par la maîtrise autonome des infrastructures numériques que l’Union a choisi d’y répondre. La guerre des données se passera en Europe, et le vieux contient en sera le champ de bataille puisqu’en tant que premier continent industriel au monde, il sera le territoire qui générera le plus de données industrielles à l’avenir. Si les données personnelles ont fait l’objet d’une première vague de régulations, les données industrielles doivent maintenant être abordées. Les enjeux liés à ces dernières sont colossaux car leur développement est exponentiel. Dans les quatre ans qui viennent, leur nombre sera multiplié par plus de quatre passant de 40 000 milliards de milliards à 180 000 milliards de milliards. L’Europe doit donc définir ses propres moyens. Les infrastructures nécessaires à la gestion des données industrielles n’existent pas encore, c’est pourquoi une Alliance du cloud industriel a été lancée. Pilier de la stratégie de souveraineté, cet outil de financement permet de respecter les règles de la concurrence internationale tout en combinant les fonds communautaires et les financements d’entreprises.

Une Alliance dans le domaine des processeurs de puissance constituera le deuxième pilier stratégique européen. Un travail d’augmentation de la puissance de ces processeurs est nécessaire pour éviter les back doors représentant des failles de sécurité mais aussi parce que des applications diverses pourront en être faites dans le domaine des supercalculateurs ou du Edge Computing.

Enfin, le troisième pilier stratégique que représente la connectivité devra également être adapté à l’augmentation des besoins. Il faut penser à une infrastructure réseau qui couvre l’entièreté du continent et qui supporte d’éventuelles crises à venir. Le confinement et l’avènement de la digitalisation du travail, de l’apprentissage et des loisirs ont montré les vulnérabilités des réseaux et les besoins de redondance en matière d’infrastructure auxquels l’utilisation d’une constellation satellitaire européenne peut répondre.

L’Europe, une puissance spatiale

L’Europe est aujourd’hui la deuxième puissance spatiale et elle souhaite bien le rester. Cette position stratégique résulte des engagements historiquement pris par les Etats membres. L’Union œuvre au maintien de son avance technologique notamment en termes d’observation de la terre et de système de positionnement par satellite qui ont des applications très importantes pour la sécurité des citoyens comme pour la surveillance climatique. Aussi, le premier lancement de la nouvelle génération de système Galileo sera avancé à 2024.

Penser la puissance spatiale européenne de demain demande alors la mise en place de garanties quant à l’autonomie d’accès à l’espace. Dans un marché des lanceurs en pleine évolution, l’adoption d’une direction européenne unique est une priorité. L’idée d’une Alliance pour les lanceurs fonctionnant sur la mise en place de contrats pluriannuels permettrait à l’Europe de s’adapter au marché et de se positionner dans la course au développement des petits lanceurs et des lanceurs réutilisables. Au-delà, les bouleversements du marché spatial nécessitent une prise en compte par les acteurs de l’écosystème industriel européen. Si l’Europe souhaite rester compétitive, elle doit encourager et soutenir financièrement ses start-up et ses chercheurs. C’est pourquoi le fond Cassini sera mis en œuvre et permettra d’accéder à un lanceur afin de tester des prototypes.

La massification de l’envoi de satellites et l’acquisition de capacités de destruction satellitaire par de potentiels adversaires représentent de nouveaux enjeux en matière de sécurité spatiale. Les risques de collision sont démultipliés, créant de nombreux débris extrêmement dangereux. Aucune régulation n’existe actuellement concernant ces débris en orbite. Il est donc important pour l’Europe de développer une vision en temps réel du mouvement de ces objets spatiaux. La surveillance des débris participe à la préservation des constellations satellitaires en fonctionnement et donc de l’autonomie stratégique qui en dépend.

Le numérique comme le spatial, domaines clés de la souveraineté, sont propice aux partenariats. L’Europe autonome sera une Europe forte de ses valeurs, de ses règles et de ses alliances pour mener des projets aussi ambitieux que celui de l’homme dans l’espace.