Ancrer les forces de sécurité dans les territoires

A quelques jours du lancement du Beauvau de la Sécurité et alors que le Sénat est saisi de la proposition de loi (PPL) relative à la sécurité globale, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales présente 10 recommandations qui visent ancrer les forces de sécurité dans les territoires.

Autour d’un éclairage qui se veut complémentaire, les rapporteurs abordent des sujets absents de la PPL : le contrôle de la police municipale, la répartition territoriale entre police et gendarmerie ou encore le dialogue entre maires et magistrats du parquet.

Un continuum essentiel

« Le maire doit rester le pivot de la sécurité dans sa commune » : cette exigence, qui figure dans le Livre blanc sur la Sécurité intérieure, rendu public en novembre 2020, est au coeur du rapport de la délégation porté par Rémy Pointereau, Premier Vice-Président de la délégation aux collectivités territoriales, Sénateur du Cher (Les Républicains) et Corinne Féret, sénatrice du Calvados (Socialiste, Écologiste et Républicain)

« Les maires constituent en effet les premiers maillons de la chaîne du « continuum de sécurité », comme lont illustré la gestion de la crise des « gilets jaunes » ou celle, en cours, de la crise sanitaire. » souligne Rémy Pointereau en début de séance. Un continuum qui s’entend donc avec les forces de sécurité nationales dont la Sénatrice Féret à souhaité souligner « le professionnalisme et le dévouement au service des Français en ces temps troublés. ».

Convaincus que « l’ancrage territorial de la sécurité intérieure » constitue, tout à la fois, un gage d’efficacité et de performance et une condition sine qua non pour restaurer la confiance entre la population et les institutions, les deux sénateurs ont néanmoins tenus à rappeler qu’il ne s’agissait pas de mêler les responsabilités mais bien de rendre les forces en présence complémentaires et ne laisser ainsi aucune zone blanche à la délinquance ou à la criminalité.

Vigilance et expérimentation

Les maires sont libres de créer une police municipale et d’en définir la doctrine d’emploi dans la limite des compétences que la loi leur accorde. « Cet équilibre répond à une logique de souplesse, faisant in fine confiance à « l’intelligence territoriale » » souligne Rémy Pointereau. Aussi, les rapporteurs invitent dans la première recommandation à aborder avec vigilance l’extension du champ de compétences de la police municipale envisagée, à titre expérimental, par l’article 1er de la PPL sur la sécurité globale. « Un tel élargissement devra en effet préserver son caractère de police de tranquillité et de proximité. » souligne le sénateur.

Les rapporteurs entendent ainsi prévenir tout désengagement de l’Etat et éviter les charges supplémentaires pour les élus locaux.

Une école nationale de la police municipale

Comme l’a souligné la Cour des comptes en octobre dernier, les polices municipales se sont professionnalisées au cours des dix dernières années grâce à une formation dispensée par le Conseil national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Les formations initiale et continue pourraient toutefois être enrichies sur les plans juridique, procédural et déontologique. « Nous préconisons ainsi la création dune École nationale de la police municipale. » détaille Corinne Féret. Une recommandation qui remet au goût du jour l’une des propositions faites initialement dans le rapport Fauvergue-Thourot sur le continuum de sécurité, qui préconisait lui aussi la création d’une école nationale de police municipale. Préconisation fustigée par le président du CNFPT, François Deluga, qui dénonçait alors une « méconnaissance totale » du dispositif de formation. Un dialogue avec le CNFPT devra être instauré pour espérer voir cette recommandation concrétisée…

Un contrôle amélioré

Les sénateurs appellent à améliorer et renforcer le contrôle externe de la police municipale rappelant que « si les manquements des polices municipales aux règles déontologiques sont limités, cela sexplique surtout par la faiblesse de leurs pouvoirs de contrainte. » C’est alors l’extension du champ d’intervention des polices municipales et la banalisation de leur armement qui soulèvent la question de leur contrôle externe par le ministre de l’Intérieur, aujourd’hui qualifié d’ « insuffisant » par les rapporteurs. Le rapport préconise de créer au sein de l’Inspection Générale de l’Administration, une mission permanente, à condition qu’elle s’adjoigne les compétences d’un collège consultatif placé auprès d’elle, composé notamment d’élus locaux disposant d’une compétence et d’une expérience particulières en matière de sécurité.

Des coopérations renforcées

Suite au succès des coopérations initiées entre polices municipales et forces de sécurité nationales, observées dans la crise sanitaire, les rapporteurs appellent à capitaliser sur cette réussite et au renforcement des coopérations grâce aux conventions de coordination entre la police municipale et les forces de sécurité nationales. Le champ de celles-ci a été étendu par la loi « engagement et proximité » du 27 décembre 2019, pour en faire de véritables instruments de pilotage opérationnel obligatoires dans les communes à partir de trois policiers municipaux. La quasi-totalité des communes concernées auraient conclu cette convention. Pour les collectivités dont le service de police municipale compte moins de trois agents, il est également possible, à leur demande, de conclure une convention. Les rapporteurs invitent les maires « à faire un usage actif de cette faculté. » et ajoutent que si les agents de police municipale disposent depuis le 1er juillet 2019, d’un accès direct aux fichiers du système national des permis de conduire (SNPC) et du système d’immatriculation des véhicules (SIV), « des difficultés persistent. Des solutions doivent être apportées pour faciliter les accès à ces informations. »

Des « synergies d’information »

Le couple maire-préfet répond à une attente forte des élus locaux. Si la communication systématique aux maires des « fiches S » « est une fausse bonne idée, que nous ne souhaitons pas encourager » souligne Corinne Féret, les rapporteurs sont en revanche favorables, sous certaines conditions, à la communication aux élus des seuls profils des personnes dont les maires ont la responsabilité. Les rapporteurs appellent aussi à une bonne communication entre les maires et les agents du renseignement territorial et soulignent le rôle majeur joué par le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), présidé par le maire. Ils jugent pertinente la la désignation, au sein de la Mairie, d’un coordonnateur territorial pour chaque CLSPD, sans pour autant la rendre obligatoire.

Enfin, « les relations maires-parquet sont fondamentales. » rappellent les sénateurs. « La rencontre entre les élus locaux et les magistrats du parquet, soucieux de se rendre accessibles et de coopérer avec les maires pour la sécurité du quotidien est essentielle. »Dans une circulaire du 15 décembre 2020, le garde des Sceaux a appelé les procureurs à renforcer les relations institutionnelles avec les élus locaux. « En la matière, laction engagée par le parquet de Valenciennes fait figure de modèle. » ajoute Corinne Féret.

Mutualisation des polices municipales

En 2018, selon la Cour des comptes, seuls une quarantaine de dispositifs de mutualisation existaient. Une évaluation est indispensable et « nous recommandons la suppression du seuil de 80 000 habitants au-delà duquel les communes ne peuvent pas mettre en commun des agents de police municipale, qui nous paraît inutilement contraignant. » détaillent les deux rapporteurs.

Les citoyens, acteurs de la sécurité

Les citoyens doivent devenir des « acteurs » à part entière de la sécurité. Si plusieurs démarches y concourent déjà, à l’image de la démarche dite « participation citoyenne », les réserves de la gendarmerie et de la police nationale sont un autre dispositif à renforcer. « La réserve mérite d’être développée, en particulier dans la police, pour permettre davantage douverture à la société civile et renforcer le lien avec la population. Une évolution législative pourrait par ailleurs être envisagée pour permettre comme dans la gendarmerie aux réservistes de la police nationale d’être armés. » déclarent Rémy Pointereau.

Des réformes attendues

« L’organisation territoriale de la police nationale est actuellement trop cloisonnée, ce qui pénalise les contacts avec les élus locaux. Aussi, nous invitons le ministère de l’Intérieur à poursuivre la réflexion engagée à travers la création expérimentale dune direction territoriale unifiée de la police nationale. » déclarent les deux sénateurs.

Dernier sujet brûlant, celui de la nouvelle répartition de police-gendarmerie. La compétence de la police représente aujourd’hui entre 40 et 50 % de la population sur seulement 5 % du territoire.

Les Sénateurs préconisent donc de raisonner de manière pragmatique selon des « bassins de vie et de délinquance ». Une approche bien plus efficace que la seule application d’un critère démographique, selon eux. Pour mener à bien la réforme du maillage territorial, la réorganisation pourrait être supervisée, sur le plan local, par le préfet, en étroite concertation évidemment avec les élus locaux.

Enfin, se pose la question de la compétence de la gendarmerie dans les zones urbaines sensibles.

Les atouts de proximité, de disponibilité et de polyvalence de la gendarmerie semblent décisifs pour répondre au « défi périurbain » avec efficacité. « Le Gouvernement doit, sans tabou, répondre à la question de savoir si la gendarmerie ne devrait pas intervenir dans les zones urbaines qui enregistrent un fort taux de délinquance. »

Cette interrogation posait par les rapporteurs devrait être soulevée dans le cadre du « Beauvau de la sécurité » qui doit être lancé ce lundi 1er février, sous l’égide du ministre de l’Intérieur.
Un rendez-vous éminemment clé en ce début d’année 2021 pour la sécurité nationale et territoriale lors duquel le sénateur Henri Leroy défendra les 10 recommandations des sénateurs Pointereau et Féret.

Le rapport d’information sera remis au Président de l’Association des Maires de France, François Baroin et présenté au ministre de l’Intérieur en mars prochain.