Repenser la défense face aux crises du 21e siècle

Alors que la Loi de Programmation Militaire (LPM) 2019-2025 doit être révisée en 2021, l’Institut Montaigne publie, sous la co-présidence de Bernard Cazeneuve et Nicolas Baverez, un rapport invitant à repenser nos politiques et modèles de défense et de sécurité pour garantir la sécurité de la France et des Français.


En exclusivité, la rédaction de S&D revient sur les points clés et stratégiques de ce rapport.

Toute la semaine, une série de vidéos réunira les acteurs clés du domaine qui décrypteront pour nous les actions en faveur dune stratégie globale de sécurité.

Par Mélanie BENARD-CROZAT

Autour de 12 recommandations, le Think Tank revient sur les menaces stratégiques multiples qui déstabilisent les démocraties. Si la France et l’Europe figurent en première ligne, il est urgent que la relance de notre pays comme la redéfinition du projet européen passent par l’élaboration et la mise en oeuvre d’une stratégie globale de sécurité.

Parmi les grands axes développés, la LPM actuelle, avec 295 milliards d’euros prévu, qui doit être sécurisée « ce budget est adapté aux menaces croissantes et variées auxquelles notre pays est confronté. » souligne Mahaut de Fougières, chargée d’études sur les questions internationales au sein de l’Institut Montaigne. Outre la sécurisation de la LPM, la France doit préparer ses Armées et l’ensemble de son écosystème défense-industrie à des conflits plus durs, et formuler une réponse globale et agile à des menaces plus systémiques. Dernier point mis lumière, la persévérance dans la coopération européenne. « Nous navons pas dalternative » soutient Mahaut de Fougières.

Le risque majeur dune crise systémique

Crise financière, cyberattaques, terrorisme islamiste, pandémie, manipulations de l’information, investissements étrangers dans des secteurs stratégiques, retour des puissances militaires : depuis les années 2000, les risques et les menaces auxquels la France est confrontée se sont accrus et diversifiés. « Pris isolément, ces chocs, en dépit de leur gravité, ne sont pas de nature à menacer la continuité de la vie de la Nation. Mais leur enchaînement dans un bref intervalle de temps augmente en revanche le risque dune crise systémique et donc la nécessité de renforcer notre résilience. » témoigne Mahaut de Fougières. C’est avant tout dans ce scénario que se trouve la plus-value des Armées, qui engagent des moyens lourds, coûteux, limités et dont les effets sont potentiellement létaux. Si l’Armée peut être également mobilisée pour des enjeux non militaires, cela doit être conçu dans un rôle de réassurance et non de « couteau suisse ». « Nous appelons donc à engager un durcissement des Armées et de leur réactivité pour leur permettre de faire face au scénario dun conflit majeur. Pour cela, il est possible dagir sur plusieurs leviers : lambition budgétaire importante, quil convient de ne pas réduire dans les années à venir malgré le contexte économique ; la nécessité dune politique de ressources humaines afin de renforcer l’attractivité du métier des armes ; et la place plus importante à accorder à linnovation dans les Armées. » souligne Mahaut de Fougières.

Faire de la défense une priorité du plan de relance

La réorientation de la politique de défense soulève la question décisive de ses moyens, à l’heure où le PIB de la France va se réduire de plus de 10 % quand la dette publique dépassera 120 % du PIB. « Il est essentiel que la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 soit intégralement exécutée. » souligne le rapport. Compte tenu des conséquences financières de l’épidémie de Covid-19, « cela demande que la défense figure parmi les priorités des plans de relance français et européen, notamment au titre de linnovation. » ajoute Mahaut de Fougières. Si les dernières annonces gouvernementales sont rassurantes, il n’en reste pas moins deux points de vigilance : « nous venons de souligner les conséquences liées à la crise de la COVID-19. En parallèle de celles-ci, nous devons garder à lesprit que l’effort budgétaire le plus important de la LPM est prévu en 2023, et portera donc sur le prochain quinquennat… » ajoute Mahaut de Fougières.

Il est aussi appelé à faire preuve de prudence, dans un contexte où des puissances étrangères pourraient acquérir à des prix très attractifs des entreprises innovantes en grande difficulté, dans les filières aéronautiques et spatiales notamment. « Il est essentiel de préserver les compétences et les technologies qui déterminent lavenir de notre base industrielle de défense. » ajoute le rapport.

Adopter une approche globale et plus agile

Face à des crises de plus en plus complexes et à des menaces hybrides, il n’est de stratégie que globale. Le politique, le militaire, le diplomatique et l’économique doivent être mis en cohérence et articulés pour obtenir des résultats. Afin de répondre à la multiplication des crises, la réponse globale apportée par la France doit gagner en agilité. Cela passe par une meilleure anticipation des risques, qui repose sur une action concertée des acteurs publics et privés naturellement tournés vers le long terme : l’État stratège, mais aussi les centres de recherche et les think tanks, les assureurs, les ONG. « Il nous faut aussi améliorer notre préparation, en nous assurant de lexistence des stocks stratégiques nécessaires, et en sentraînant. Enfin, la nature de plus en plus multidimensionnelle des crises nécessite davantage de coordination, interministérielle, et entre l’État central et ses échelons déconcentrés. » ajoute Mahaut de Fougières.

La réponse européenne : aucune alternative possible !

Dans un contexte de militarisation de la mer, de l’espace, des pôles ou du cybermonde ainsi qu’une relance de la course aux armements qui a mobilisé 1 920 milliards de dollars en 2019, nul ne peut exclure que la prochaine crise majeure soit militaire et stratégique. Aussi, l’Europe n’a d’autre choix que de se redéfinir en termes de souveraineté et de sécurité. Mais l’Union se trouve écartelée par le Brexit comme par les divisions entre pays du Nord et du Sud autour de la gestion de l’euro, de l’Est et de l’Ouest autour de la démocratie illibérale et de la place de l’État de droit… « Ces divergences doivent être résorbées pour répondre aux défis collectifs qui nous font face. » souligne Mahaut de Fougières.

S’ajoute à cela le retour de confrontations entre puissances, au premier rang desquelles figure la compétition entre les États-Unis et la Chine, et la France seule ne fait pas le poids. La réponse réside alors dans la construction européenne : il n’y a pas d’alternative. Cela nécessite de bien faire la distinction entre les domaines relevant de l’autonomie stratégique nationale et de ceux qui relèvent de l’Union européenne. Certains nouveaux défis, tels que le numérique et l’espace, débordent d’emblée du cadre national et nécessitent donc une articulation fine entre les deux niveaux. L’autonomie stratégique européenne, que la France appelle de ses voeux depuis plusieurs années, doit être approfondie dans ses trois composantes traditionnelles – politique, opérationnelle, et technologique et industrielle – et élargie aux domaines économique, financier et commercial.

Le FED très nettement revu à la baisse

En matière industrielle, le Fonds européen de défense (FED) affiche l’ambition pour la période 2021-2027, de jouer un rôle dans la consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne. Mais son budget, revu nettement à la baisse à la suite des négociations sur le plan de sauvetage européen, ne rassure pas les acteurs européens. Le fonds devrait être finalement doté de 7 milliards d’euros pour la période 2021-2027, au lieu des 13 milliards initialement prévus ! « Cette réduction du budget est évidement un très mauvais signe et la crise qui va toucher tous les pays européens pourrait bien impacter plus encore ces dotations. » témoigne Mahaut de Fougières.

UE, OTAN, coopérations : fédérer pour mieux régner

La position de la France est souvent incomprise de nos alliés européens. C’est en particulier le cas sur la question de l’OTAN, qui est aujourd’hui un point de blocage majeur. « Il convient de préciser, clarifier notre discours et également mieux le porter à Bruxelles et dans les capitales européennes, afin de fédérer davantage. Cela passe également par une meilleure prise en compte des sensibilités de nos partenaires sur ces sujets, au premier rang desquels lAllemagne, car seule une ambition commune franco-allemande entraînera le reste de lUE. Notre rôle est de fédérer, et pour cela, il faut savoir écouter. » détaille Mahaut de Fougières.

Des actions de coopération plus spécifiques, sur des sujets comme le numérique par exemple, pourraient être renforcées avec des Etats de plus petites tailles, mais dont l’état d’avancement est significatif. « Cest une Europe à géométrie variable qui doit se développer, avec une approche des enjeux et des actions à entreprendre plus souple et pragmatique. » ajoute t-elle.

La sécurité : la clé dune Europe politique

L’Europe de la sécurité, quels que soient les obstacles qu’elle rencontre, reste un pari indispensable que la France doit continuer à porter et autour duquel elle doit rassembler. « Elle est en effet la seule réponse possible à la restructuration de la mondialisation autour de blocs régionaux, à la montée des menaces et à la priorité donnée par les États-Unis à lAsie-Pacifique. » souligne le rapport. De même que la crise financière a imposé la transformation de la BCE en un prêteur de dernier ressort, de même que la récession provoquée par l’épidémie de Covid-19 a donné naissance à une union économique avec le plan de relance, la montée des menaces stratégiques conduira tôt ou tard les Européens à prendre en main leur sécurité. Il revient à la France de rendre ce choix possible, en continuant à incarner et à déployer une conception globale de la stratégie. « Le principe dune préférence européenne dans les achats militaires doit être promu afin de préserver la base industrielle sans laquelle lUnion ne pourra prétendre à une autonomie stratégique. La sécurité est plus que jamais la clé dune Europe politique. » déclare Mahaut de Fougières.

Choisir notre projet de société

Plusieurs décennies d’un confort stratégique en matière de défense ont pris fin. La France doit durcir son appareil militaire face à la montée en gamme de ses adversaires. Un durcissement est également requis sur le plan de la sécurité nationale au sens large.

La France doit être suffisamment agile face à ses adversaires qui conjuguent de manière hybride des leviers économique, militaire, informationnel, diplomatique. « Il serait donc intéressant dapprofondir linterpénétration des leviers militaires et économiques dune part, étatiques et de la société civile dautre part. » souligne Mahaut de Fougières.

La défense et la sécurité de la France ne peuvent être examinées qu’à l’aune des ressorts internes de la société française. Aussi, une doctrine de gestion de crise nationale renouvelée s’impose comme pré-requis.

Enfin, l’autonomie stratégique demeure primordiale, en particulier sur le plan industriel et technologique. Pour répondre au besoin de masse critique, il importe de concentrer les efforts sur les briques de souveraineté les plus indispensables et d’exploiter les leviers européens. La France a donc besoin d’alliés, en particulier face au retour des politiques de puissance. Le destin des Français et des Européens semble plus que jamais lié. Si la France dispose de caractéristiques propres et complémentaires de ses alliés et peut développer une école stratégique française, elle doit les mettre à profit pour contribuer à une culture stratégique commune et dépasser les antagonismes comme entre l’UE et l’OTAN.

Dans un monde en recomposition, un positionnement défensif n’est pas suffisant. « Il importe dassumer un rôle fédérateur avec des alliés choisis et de ne pas se laisser imposer un projet de société. » conclut Mahaut de Fougières.

12 recommandations pour être mieux armés face aux crises à venir

Recommandation n° 1 : aller vers une organisation militaire spécifique et mieux intégrée.

Recommandation n° 2 : améliorer la réactivité des Armées face à la volatilité du contexte stratégique.

Recommandation n° 3 : ajuster les capacités et le format pour plus d’impact et d’endurance.

Recommandation n° 4 : sécuriser la Loi de Programmation Militaire.

Recommandation n° 5 : renforcer l’attractivité du métier des armes.

Recommandation n° 6 : diffuser la culture de l’innovation au-delà de l’Agence d’innovation de défense.

Recommandation n° 7 : renforcer l’agilité de l’approche globale française face à l’hybridité avec une coordination plus poussée.

Recommandation n° 8 : anticiper des scénarios plus durs et multidimensionnels avec un rôle renforcé du SGDSN.

Recommandation n° 9 : impliquer le secteur privé dans les réserves et la mobilisation générale, s’entraîner.

Recommandation n° 10 : coordonner l’action des ministères au niveau central, faciliter la subsidiarité, assurer la survie des fonctions essentielles de la Nation.

Recommandation n° 11 : renforcer l’autonomie stratégique européenne dans les domaines clés.

Recommandation n° 12 : renforcer le rôle fédérateur de la France pour la défense européenne et dans l’OTAN

Pour consulter l’intégralité du rapport :

https://www.institutmontaigne.org/publications/repenser-la-defense-face-aux-crises-du-21e-siecle