2021 : l’année consacrée de l’identité numérique

Dans un monde frappé par la pandémie de la Covid-19 et suite aux diverses mesures de fermeture temporaire des guichets administratifs, l’identité numérique est la pierre angulaire d’une offre de services publics en ligne de plus en plus étendue et novatrice. Les États ont pris conscience de l’utilité de schémas didentité digitale et une accélération du développement des projets d’identité numérique régalienne est attendue en 2021. S’il n’existe pas un système unique d’identité numérique à reproduire partout dans le monde, de bonnes pratiques et des usages innovants mis en œuvre dans les systèmes les plus avancés peuvent être partagés. Mise en perspective de la feuille de route et des ambitions portées par la France au regard des solutions déployées par ses voisins à l’occasion de la publication du rapport « L’expression des identités numériques dans le monde » par OnePoint et la Secure Identity Alliance (SIA).

Par Philipine Colle

Lidentité numérique facteur d’inclusion et de dignité

Selon la Banque Mondiale près d’un milliard de personnes à travers le monde ne dispose pas d’une forme d’identification reconnue légalement. Cette situation les prive de leurs droits fondamentaux et les marginalise. Sans identité reconnue, l’accès à l’éducation, au logement, à l’emploi comme à la participation démocratique est impossible. En permettant à tous un accès sécurisé et rapide aux services publics et privés en ligne à tout moment, l’identité numérique tend à être perçue comme un outil d’inclusion. Frédéric Pichon, directeur adjoint du programme interministériel France Identité Numérique confirme « L’identité numérique elle-même est un facteur d’inclusion et de dignité ». Des propriétés illustrées dans le Queensland en Australie, où, un portefeuille d’identité numérique mobile permet aux victimes de violences intra-familiales qui ont quitté leur logement sans leurs papiers d’identité d’accéder aux services sociaux pour lesquels une identification est nécessaire en une seule journée, contre près de 4 mois si elles avaient dû renouveler leurs documents. Afin que le potentiel intégrateur de l’identité numérique puisse être pleinement mis en œuvre, cette dernière doit s’adresser à l’ensemble de la population et particulièrement aux plus fragiles et plus éloignés du numérique. Ainsi, il est possible de réaliser des démarches administratives suite à une identification verbale par voie téléphonique en Azerbaïdjan. « En France, l’expérimentation du nouveau service Aidants Connect permettant à des professionnels de réaliser les démarches en lignes au nom des personnes en difficultés avec le numérique répond à ces valeurs » ajoute Christine Balian, Directrice du programme France Connect et de la mission IDNUM.

L’inclusion par la simplicité de l’expérience utilisateur

L’inclusion des systèmes passe également par la simplification maximale du parcours des utilisateurs finaux et la confiance de ces derniers dans les solutions développées. En France, les appréhensions suscitées par le développement de technologies de reconnaissance faciale comme Alicem, ont orienté les réflexions sur d’autres moyens d’inscription suscitant moins de craintes telle que la remise du titre en mairie. « Le développement de solutions d’identité numérique ne signifie pas la fin de l’accueil physique mais plutôt la multiplication des points de contacts » rappelle Frédéric Pichon. Par ailleurs, l’intégration des collectivités territoriales au développement du projet est saluée par Christine Hennion, députée, membre de la commission des affaires économique et co-rapporteure de la mission d’information sur l’identité numérique « D’une part les collectivités connaissent les personnes en difficultés avec le numérique via leur CCAS, d’autre part elles pourront s’emparer des solutions d’identité numérique et développer des applications pour le quotidien. Alors que la force des solutions d’identification proposées par les GAFAM tient à la simplicité et la multiplicité des usages, c’est sur ces terrains-là qu’il faut rivaliser ! ». C’est aussi pour cette raison que le principe de gratuité des services est privilégié en France.

La protection des données personnelles, clé de la confiance

Trouver le bon équilibre entre une expérience utilisateur sans faille et des normes de sécurité élevées est essentiel pour garantir l’adoption massive de l’identité numérique et sa pérennité. Cet enjeu gage de confiance est, dans le monde, encore sous-estimé. « Alors que 103 pays parmi les 168 ayant développé un programme d’identité numérique, récoltent des données biométriques, la protection des données n’était malheureusement pas une préoccupation majeure à l’origine du développement des programmes » regrette Peter Kimpian, représentant de l’unité protection des données du Conseil de l’Europe.

La France fait plutôt figure de bonne élève en la matière, et mise sur la sécurité des données pour le développement d’une identité numérique régalienne. Frédéric Pichon détaille « Le consentement du partage des données est au cœur du système. La carte électronique d’identité qui sera diffusée comportera un code pin qui pourra être utilisé en ligne par les utilisateurs afin de matérialiser leur consentement au partage des données ». Un pari gagnant puisqu’une « étude a montrée que 65% des français ont confiance en FranceConnect contre 33% pour les solutions proposées par les GAFAM » annonce Christine Balian.

La sécurité des échanges de données en question

Dans un monde où l’interconnexion est croissante, et alors que la France a déposé un dossier pour devenir le quinzième pays à disposer d’un nœud d’interopérabilité eIDAS, la question de la protection des données ne peut faire abstraction des données échangées internationalement, entre des Etats aux législations différentes. « En Europe, disposer d’un schéma d’identification d’un niveau substantiel ouélevé notifié à la commission sera un impératif pour bénéficier d’une reconnaissance mutuelle. Par ailleurs, les nœuds eIDAS ne pourront stocker aucunes données personnelles » rappelle Eric Caprioli, Avocat à la cour et représentant de la France au sein de la commission des Nations Unies pour le droit commercial international.

Concernant les transferts avec des pays tiers, la Convention 108 modernisée, outil multilatéral juridiquement contraignant sur la protection des données à caractère personnel portée par le Conseil de l’Europe est mis en avant dans la formation d’un cadre sécurisé. « 55 Etats sont d’ores et déjà signataires et des pays qui géraient la protection des données unilatéralement comme la Chine regardent actuellement vers l’Europe afin de refondre leur règlementation » explique Peter Kimpian. « A la mise en place d’un cadre juridique permettant de coordonner les différents référentiels de protection des données, le développement de standards technologiques garantissant une conformité par défaut ainsi que la création d’un cadre de communication permettant la pédagogie sont essentiels » conclut Yannick Ragonneau, partenaire One Point.

Les intérêts du partenariat public-privé

Pilier pour le financement du développement des solutions d’identité numérique, comme en Italie où le programme d’identité nationale est soutenu intégralement par des fonds privés, le partenariat public-privé est également essentiel à la mise en place de services innovants. « De nouvelles solutions didentité mobiles permettant d’agréger différents types de documents numérisés émergent notamment aux Etats-Unis et en Australie. Basées sur les normes appliquées au permis de conduire, ces applications garantissent l’accès à de nouveaux usages dans le monde physique, comme lors d’un contrôle de police ou pour accéder à des services bancaires » constate Kristel Teyras, présidente du groupe de travail SIA digital ID.

La signature d’un contrat de filière en janvier 2020 en France a initié la sollicitation des acteurs privés nationaux, qui jouissent d’une réputation d’excellence à l’international, afin de bâtir la solution régalienne d’identité numérique française. Le partenariat est à poursuivre et à renforcer. Ainsi, si « l’Etat reste à la manœuvre, il s’agira d’une co-construction entre le public et le privé » explique Frédéric Pichon.

Une multiplicité d’usages et de services

Si le bouton FranceConnect intègre déjà 800 services en ligne dont 50 services privés fournis par des grands facturiers ayant une obligation réglementaire de vérifier l’identité des personnes via des procédures administratives lourdes, la montée en sécurité du système permettra l’ouverture à de nouveaux usages. « Les solutions techniques sont là, FranceConnect a reçu l’attestation de conformité de l’ANSSI pour des identités substantielles et élevées au sens eIDAS du terme, cela va permettre aux opérateurs des services de santé privés de rejoindre la galaxie FranceConnect + ».

Pour favoriser l’adoption des services à usage plus fréquent sont intégrés dans l’écosystème de FranceConnect les aides au logement (CAF), les allocations chômage (Pôle Emploi) ou l’accès aux bulletins scolaires en ligne. L’intégration de nouveaux services privés avec des réglementations sectorielles spécifiques telles que les consultations médicales en ligne, les plateformes de covoiturage ou les agences immobilières est à la fois un défi à relever et une priorité pour l’avenir de FranceConnect.

Saut technologique en passe de bouleverser le quotidien des citoyens, le développement de l’identité numérique devra aussi consacrer un travail essentiel en matière de communication et de pédagogie adapté aux populations et à leurs craintes. « Cette dimension est nécessaire pour éviter les phénomènes de rejets liés à la méconnaissance des outils » rappelle Christine Hennion.

Alors que la compatibilité des systèmes nationaux d’identité numérique a connu une forte progression, les 27 chefs d’Etat et de gouvernement européen, veulent aller plus loin et ont fait part lors du sommet européen du 25 septembre dernier, de leur volonté de voir associé au plan de relance la création d’identité numériques transfrontalières. En réponse, la commission devrait proposer un système paneuropéen d’identification électronique d’ici à mi-2021.