La « boussole numérique européenne » : la Commission prend le chemin de l’autonomie numérique à l’horizon 2030.

« La pandémie a révélé à quel point les technologies et les compétences numériques sont essentielles pour travailler, étudier et communiquer, ainsi que les points sur lesquels nous devons nous améliorer. Il nous faut maintenant réaliser cette décennie numérique de l’Europe afin que tous les citoyens et toutes les entreprises puissent accéder à ce que le monde numérique peut offrir de mieux »a déclaré, le 9 mars dernier, Ursula Von der Leyen, Présidente de la Commission Européenne, à l’occasion de la publication d’une communication sur l’avenir numérique de l’Union. La démarche européenne en matière de transformation numérique vise à remédier aux vulnérabilités et aux dépendances pour améliorer la résilience des citoyens et à accélérer les investissements afin de renforcer l’influence mondiale de l’UE. Retour sur les ambitions et des orientations de la boussole numérique européenne à lhorizon 2030.

Par Philipine Colle 

Des objectifs clairs pour une décennie numérique

Cette communication proposant la mise en place d’une boussole numérique pour traduire les ambitions de l’UE en quatre principes concrets fait écho au discours sur l’état de l’Union, lors duquel Ursula von der Leyen avait appelé l’Europe à faire preuve de davantage de leadership numérique grâce à des objectifs clairs.

L’Union européenne entend procéder à la transformation numérique des sociétés par la numérisation des entreprises et des services publics. La croissance du e-commerce, boostée par la crise sanitaire, a été révélatrice d’un certain retard pris dans ce virage numérique, par les PME exerçant notamment dans le domaine du commerce, qui avaient jusqu’alors une présence en ligne limité. Ainsi, prévoit-elle que, d’ici à 2030, plus de 90 % des PME aient atteint au moins un niveau basique d’intensité numérique et que trois entreprises sur quatre utilisent des services tels que le cloud, le big data et l’intelligence artificielle. Par ailleurs, l’accélération du développement des solutions d’identité numérique régalienne nationale et le projet de création d’une identité numérique pan-européenne devraient permettre à l’Union d’atteindre un objectif de 100% des services publics clés et des dossiers médicaux électroniques accessibles en ligne.

Ces mutations d’ampleur sont portées par le développement de technologies de pointe et d’une connectivité gigabit renforcée. L’ambition d’une couverture 5G dans toutes les zones d’activité est avancée. L’Europe souhaite se doter d’infrastructures sûres et innovantes tel qu’un premier ordinateur avec accélération quantique. Les microprocesseurs étant essentiels au développement de telles technologies stratégiques, il faudra pour cela combler des lacunes dans la conception des puces qui exposent l’Europe à des dépendances et donc des vulnérabilités. La commission souhaite que l’UE produise des semi-conducteurs durables de pointe, qu’elle devienne un acteur de taille sur le secteur et représente au moins 20% de la production mondiale en valeur. Une stratégie également adoptée outre Atlantique, où la nouvelle administration Biden a promis de tenter de parer à la pénurie mondiale de processeurs, en identifiant dans un premier temps les goulets d’étranglement des chaînes d’approvisionnement de l’industrie. « L’Europe, en tant que continent, doit faire en sorte que ses citoyens et ses entreprises aient accès à un éventail de technologies dernier cri qui rendront leur vie meilleure, plus sûre, et même plus écologique, à condition qu’ils disposent aussi des compétences pour les utiliser. C’est cela, la décennie numérique de l’Europe » a réaffirméle commissaire au marché intérieur, Thierry Breton. En effet, la formation de 80% des citoyens aux compétences numériques de base ainsi que la montée en capacités de 20 millions de spécialistes des TIC, dont un plus grand nombre de femmes, sont des conditions à la réussite des autres ambitions numériques. Ces grandes orientations feront l’objet d’un suivi par une structure de gouvernance commune européenne.

Des projets multinationaux pour répondre à des ambitions mondiales

Pour être à la hauteur de ses ambitions, la Commission européenne mise sur la construction de projets plurinationaux, agrégeant des financements provenant de l’Union, de ses Etats membre comme du secteur privé afin de développer des infrastructures pan-européennes interconnectées dans le domaine du traitement de données ou du déploiement d’une nouvelle génération de processeurs. Ainsi, chaque pays devra s’engager à consacrer à la transition numérique 20 % des fonds alloués par l’Union dans le cadre du plan de relance. Des fonds qui s’ajoutent à l’enveloppe de 7,5 milliards d’euros accordés à la composante numérique au sein du budget européen voté pour 2021-2027.

Cette feuille de route numérique est selon Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive pour une Europe adaptée à l’ère du numérique, « le début d’un processus inclusif. Avec le Parlement européen, les Etats membres et les autres parties prenantes, nous travaillons à ce que l’Europe devienne le partenaire prospère, confiant et ouvert que nous voulons être dans le monde ». L’Union Européenne entend, en effet, associer les investissements internes avec les fonds importants disponibles au titre des nouveaux instruments de coopération extérieure pour concrétiser des projets faisant rayonner ses valeurs dans le monde. La Commission a ainsi affirmé sa volonté de nouer un dialogue privilégié avec les Etats-Unis afin de construire un cadre de coopération et sur les questions numériques en proposant, notamment, la mise sur pieds d’un nouveau Conseil du commerce et des technologies UE – États-Unis.

La voie d’un numérique de valeur

Les ambitions européennes en matière de transition numérique visent à accroitre et renforcer les droits des citoyens. C’est donc une voie centrée sur l’humain que la Commission souhaite dessiner en élaborant un cadre de principes numériques basé sur l’accès à des services en ligne équitables et non discriminatoires pour faire en sorte que les droits applicables hors ligne puissent être exercés pleinement au sien du cyberespace. La Commission souhaite co-construire ces principes avec les citoyens dans le cadre d’un grand débat sociétal puis les officialiser via la rédaction d’une déclaration inter-institutionnellesolennelle du Parlement européen, du Conseil et de la Commission d’ici la fin de l’année 2021. La réalisation d’un exercice Eurobaromètre annuel spécifiquement dédié au suivi de la perception des Européens quant au respect de leurs droits, valeurs et aspirations en ligne est envisagé comme un moyen d’évaluation et d’adaptation sur le long terme de ce cadre de principes numériques. Par ailleurs, en tant qu’outil de modération des contenus illicite et de renforcement de la transparence des servies numérique, le Digital Services Act porté par Thierry Breton participera à la promotion des valeurs européennes de démocratie et de dignité humaines en ligne.

La concertation sera au cœur des prochaines étapes de construction de la décennie numérique européenne. La Commission lancera dans les mois à venir un processus de discussion et de consultation portant sur des éléments spécifiques de la communication entre les États membres, le Parlement européen, les autorités régionales, les partenaires économiques et sociaux et les entreprises afin de proposer un programme de politique numérique concrétisant les orientations de la boussole d’ici la fin de l’été.