Dynamiques de développement et nouveaux enjeux sécuritaires en Afrique

La stabilité et la sécurité du continent africain conditionnent son développement socio-économique. Alors qu’elle connaît depuis plusieurs décennies des taux de croissance économique et démographique exponentiels, lAfrique doit maintenant faire face aux nouveaux défis sécuritaires liés à l’émergence de ses métropoles. Etat des lieux des problématiques associées à la gouvernance des grandes villes et aux menaces climatiques, criminelles et sanitaires qui planent sur ces zones urbaines et portuaires.

Par Philipine Colle

Les enjeux dune métropolisation rapide et mal maîtrisée

La mutation des enjeux sécuritaires en Afrique est intrinsèquement liée aux dynamiques territoriales d’urbanisation. La population africaine urbaine devrait doubler d’ici à 2030 atteignant ainsi un milliard d’habitants urbains. Cette dynamique se matérialise par l’émergence de métropoles très concentrées. Les dix plus grandes villes africaines devraient rassembler 107 millions d’habitants en 2025. Six grandes métropoles, Le Caire, Lagos, Kinshasa, Luanda, Dar es Salam, et Johannesburg dépassent déjà les 10 millions d’habitants. Extrêmement rapide, le phénomène de croissance urbaine est informel et mal appréhendé. « L’initiative d’aide au développement Club du Sahel créée par l’OCDE a pris conscience, grâce à l’utilisation d’imagerie satellitaire, de l’ampleur de la conurbation très informelle de la métropole d’Onitsha au Niger pourtant peuplée de 8 millions de personnes. Cela démontre la méconnaissance et la maîtrise limitée du phénomène de métropolisation » illustre Michel Foucher, Président du Comité Scientifique de la conférence ShieldAfrica. Pour Aurore Garnier, Directrice Associée ISAO et Vice-Présidente du Club Abidjan Ville Durable, l’Afrique de l’ouest connaît « une urbanisation explosive sous forme de ghettoïsation des périphéries par l’extension de la ville sur les périphéries, créant de nouveaux territoires qui bien qu’urbains sont éloignés des centres économiques et politiques et attirent des populations défavorisées, précaires et confrontées à des problématiques de mobilité et de salubrité ».

La croissance exponentielle de ces territoires, atteignant par exemple jusqu’à 10% par an à Abobo dans le district d’Abidjan, est plus rapide que celle des moyens de l’Etat en termes de sécurité. Les enjeux de sécurité sanitaire sont très présents dans des territoires où les taux de pollution sont importants et où des épidémies persistent en raison d’infrastructures de soins d’urgence et d’investissements dans la sécurité civile insuffisants.

Par ailleurs, l’insécurité liée à la criminalité connaît également des mutations en raison des dynamiques d’urbanisation. Une baisse des homicides est notable en conséquence de l’apparition des classes moyennes, de l’amélioration de la sécurité résidentielle et de l’essor de la bancarisation. Cependant, de nouvelles formes de violences se développent dans les villes, « d’une part la criminalité organisée en réseau de contrebande fait irruption dans ces territoires. En Côte d’Ivoire, 1 tonne de cocaïne et 7 tonnes de cannabis ont déjà été saisies depuis le début de l’année 2021. D’autre part, des violences politiques exercées par des jeunes en situation de grand malaise se multiplient » observe Aurore Garnier. Des groupes tels que les « Microbes » composés de mineurs déscolarisés et issus des milieux défavorisés d’Abidjan font régner la terreur dans les rues. En errance, ils avaient été recrutés comme enfants-soldats lors de la guerre post-électorale de 2010-2011 puis livrés à eux-mêmes ne pouvant pas bénéficier du programme de DDR porté par l’ONU. La cybercriminalité est également une menace émergente dans les territoires urbains.

Des façades sur la mer nécessitant une solide sécurisation

La grande majorité des métropoles africaines sont territorialisées sur les littoraux, leur sécurité se trouve donc tributaire des enjeux de sécurité maritime. En effet, « si 38 des 54 Etats africains disposent d’une façade maritime, tous dépendent de l’économie bleue. 200 millions d’Africains vivent aujourd’hui des produits de la mer. La sécurité maritime n’est pas seulement une question de stratégie majeure mais également un moyen de survie pour certains Etats » déclare Jean-Marie Dumon, Délégué Général Adjoint, Délégué à la Défense et à la Sécurité au GICAN. Les enjeux et les facteurs d’insécurité sont nombreux. Bien que les biais satellitaires se multiplient, le bon développement numérique d’un pays est induit par sa connexion au réseau de fibre optique sous-marine. Or certains pays tels que l’Erythrée, la Mauritanie, le Liberia, le Togo et le Benin sont encore déficients sur ce plan.

Par ailleurs, les atteintes à l’environnement et la dégradation des écosystèmes marins sont des freins majeurs au développement de l’Afrique. L’ONU chiffre ces pertes de biodiversité à hauteur de 13 milliards de dollars, auxquels s’ajoutent 1,5 milliard de dollars de perte sèche pour les Etats en raison de la pêche illicite. La persistance des activités de braconnage ou de brigandage laisse présager la survenue de crises alimentaires majeures en raison de la concentration de population dans les zones côtières.

L’importance de la coopération face à ces enjeux sécuritaires majeurs

Pour répondre à ces nombreux enjeux, une coopération et une harmonisation des actions mises en œuvre par les Etats est nécessaire. « Les effets de l’insécurité sont régionalisés, ils demandent donc une réponse régionale adaptée » explique Jean-Marie Dumon. Et de poursuivre « Ce qui s’est passé au large de Lagos en 2016 a impacté négativement le trafic commercial vers Porto-Novo engendrant une baisse de 25% des recettes de l’Etat du Benin. Il existe un continuum terre-mer de problématiques sécuritaires qui nécessite une coopération accrue ». Afin que les Etats puissent assurer leur souveraineté, la lutte contre la criminalité doit être la plus commune possible. Ainsi, l’architecture de Yaoundé établie en 2013 est une base légale incitative pour la coopération des organisations régionales et nationales. Elle a permis la création du Centre inter-régional de coordination maritime pour la zone Afrique de l’Ouest ainsi que l’émergence de projets internationaux tels que WeCAPs, un projet dédié à l’assistance technique dans la sécurisation des infrastructures portuaires du Togo et de la Côte d’Ivoire, porté par Expertise France et la Commission européenne. « Une bonne coopération internationale qui tient compte de la culture des pays est essentielle dans un contexte de numérisation croissante. En effet, 90% des preuves digitales, essentielles à l’investigation et la poursuite des criminels se trouvent sur des serveurs en dehors du continent africain » ajoute le Colonel Guelpetchin Ouattara, Directeur DITT Côte d’Ivoire. Pour David Boisseau, Directeur Export du Groupe Deveryware la coopération internationale est également un moteur de la formation à la bonne utilisation des technologies : « Les outils techniques existent et sont à disposition des acteurs de la sécurité, la mise en œuvre de partenariats tel que celui passé avec l’école ENVR de Dakar permet le développement des moyens locaux d’investigation numérique et de résilience en matière de cybersécurité ».

A la coopération internationale s’ajoute la construction de partenariats publics-privés. Bien que les actions terroristes soient concentrées dans les zones rurales où semi-rurales les actes de guerre pénètrent les centres villes. Ces nouvelles formes de violences ont précipité le développement des compagnies privées de sécurité posant de nouvelles problématiques de gouvernance sécuritaire. « Ce fut le cas à Nairobi où des violences de guerre ont eu lieux en 2013. Aujourd’hui on y compte 300 000 agents privés pour 40 000 policiers avec toutes les problématiques de gouvernance que cela pose. » illustre Michel Foucher. Parallèlement à la montée de ces nouveaux risques, l’intégration des questions sécuritaires dans les classements économiques internationaux, transforme la sécurité en investissement pour les pouvoirs publics.

Faire des nouveaux territoires urbains des territoires de confiance, valoriser les compétences humaines, les ressources naturelles, l’environnement et combattre le terrorisme, la piraterie et la fraude par le renforcement des acteurs institutionnels et privés de la sécurité, voilà les enjeux qui seront développés lors de la conférence Shield Africa 2021 organisée à Abidjan le 7 juin prochain.