Travailleurs humanitaires : un équilibre fragile entre risques et idéaux

Le meurtre de 6 salariés de lONG Acted, du chauffeur et du guide en août de l’année dernière, a mis en exergue la nécessité d’améliorer la sécurité des travailleurs humanitaires, qui peuvent exercer leurs missions dans des zones particulièrement dangereuses. Si laction humanitaire et ses objectifs restent intacts, les ONG tentent de répondre au défi sécuritaire qui leur est imposé. Désormais, ces dernières doivent combiner leurs principes fondamentaux d’indépendance avec un contexte tendu dans lequel les humanitaires doivent réaliser leurs missions. Retour sur le travail humanitaire dans un monde en pleine mutation.

Par Hugo CHAMPION

Des travailleurs humanitaires plus exposés au danger?

Selon la base de données du centre de recherches Humanitarian Outcomes d’août 2020, les attaques envers les travailleurs humanitaires ont augmenté en 2019, de 18% par rapport à l’année précédente. Au total, on compte 483 travailleurs humanitaires attaqués, 125 tués, 234 blessés et 124 kidnappés lors de 277 incidents distincts. Depuis le début de la pandémie de la Covid-19, de nombreux travailleurs – notamment de santé – ont été attaqués dans le monde entier, selon l’ONU. Les cibles privilégiées sont les médecins en Syrie et des humanitaires engagés dans la lutte contre l’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo. La résolution 2175 du Conseil de sécurité d’août 2014 fait déjà état « (…) d’une augmentation des actes de violence perpétrés () contre le personnel national et international des organisations humanitaires (…) ». Le Conseil ajoutait en 2016 « (…) les agents humanitaires () sont de plus en plus souvent la cible dactes de violence () contre les blessés et les malades, le personnel médical et les agents humanitaires ».

Pour répondre à cette recrudescence des violences, des mesures sont prises en amont pour minimiser les risques de tensions et assurer le bon déroulement des missions. Les enjeux de communication avec la population locale et l’acculturation sont primordiaux. « Les Health promoteurs servent précisément à communiquer auprès de la population les objectifs et le statut de lONGcomme ce fut notamment le cas en République démocratique du Congo », indique Clément Locquet, responsable RH et Financier chez MSF. L’acceptabilité est usuellement répandue. Néanmoins, en février 2019, un centre de traitement Ebola (CTE) de MSF à Butembo en RDC, dans le Nord Kivu, avait été incendié par des assaillants armés. Ces derniers se révoltaient contre la mise en isolement de force des patients confirmés et la mise en place de personnel armé dans les établissements de santé.

La mutation des types de violence auxquels les travailleurs humanitaires font face est aussi une nouvelle donne à prendre en compte. La prolifération de groupes terroristes comme al-Qaïda ou Daech ont changé la nature du danger, ne considérant pas les organisations humanitaires comme neutres, impartiales et indépendantes. Aussi, prise d’otages pour financer leurs activités ou exécution barbare des travailleurs humanitaires sont désormais légion comme ce fut le cas avec la décapitation du volontaire humanitaire de l’ONG ACTED, David Haines, par Daech à Raqqa (Syrie), en septembre 2014.

Un tournant dans le paradigme humanitaire?

La nature de l’action humanitaire n’a pas changé. L’impartialité et l’indépendance demeurent les principes cardinaux des ONG. Ces dernières gagnent en expérience et tentent d’améliorer sans cesse la sécurité de leurs travailleurs. « Au Yémen, nous déclarions à l’Arabie Saoudite ainsi quaux autorités Houthis nos positions géographiques et nos déplacements pour ne pas être pris pour cible », indique Clément Locquet. Les ONG font désormais signer un document intitulé « consentement éclairé » et d’un formulaire intitulé « preuve d’identité », en cas notamment de prise d’otage. Le travailleur humanitaire prend connaissance des risques auxquels il s’expose sur le terrain.

L’ONG MSF-France s’est dotée d’une politique spécifique pour guider cette réflexion – à savoir la « Politique de prise de risque et de gestion de la sécurité pour le personnel MSF OCP » -, approuvée en 2015 par son conseil d’administration et les sections partenaires. Le risque zéro n’existe pas, mais MSF veille à former les expatriés aux enjeux sécuritaires et géopolitiques. « Le briefing sécurité s’effectue en trois étapes : au siège, dans la capitale du pays où l’on se rend, puis dans la localité où est établie le projet MSF », explique Clément Locquet. La dangerosité des missions de MSF est clairement reconnue dans sa charte, qui consacre l’un de ses quatre paragraphes à la reconnaissance de ce danger : « en tant que volontaires, les membres comprennent les risques et les dangers des missions qu’ils accomplissent et ne réclament pour eux-mêmes ou leurs ayants droit aucune forme de compensation autre que celle que l’association pourrait leur offrir». Un équilibre doit cependant être trouvé entre une sécurité optimale et la garantie de l’indépendance des ONG. Un mauvais dosage des mesures sécuritaires au regard du contexte local pourrait devenir contre-productif. Les ONG s’adaptent alors au contexte local. Les travailleurs humanitaires sont soumis à des restrictions établies par les différentes ONG : couvre-feu, lieux interdits à la fréquentation. « Certaines missions peuvent même être soumises à un profiling en fonction des zones. Dans la bande sahélienne, certaines missions sont devenues interdites aux personnes de type caucasienne», souligne Clément Locquet.

L’engagementhumanitaire: une volonté croissante?

En 2019, on compte 569 600 humanitaires, contre 570 000 en 2017. Si on note ici une légère diminution, ce nombre a néanmoins augmenté de 27% par rapport à 2015. Malgré les risques, la vocation reste intact. Le nombre de travailleurs humanitaires ne décroit pas et les étudiants se destinant à des carrières dans l’humanitaire sont toujours aussi nombreux à suivre des formations. « Il y a trente ans, les hommes et les femmes qui partaient en mission humanitaire dans des zones en conflit étaient des têtes brûlées, sans formation adaptée », affirme Christine Aubrée, directrice du pôle formations de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) à nos confrères de France culture. Aujourd’hui, les formations permettent de faire une analyse de risque du territoire mais aussi à comprendre « les crises quont traversées les pays dans lesquels ils vont débarquer, appréhender la culture et les antagonismes qui se sont créés, maîtriser lhistoire des ethnies pour être en capacité d’entrer dans la logique des personnes quils veulent aider », explique Johan Glaisner, directeur de l’Ircom.1 Altruisme, solidarité, conscience d’un monde qui va mal, l’engagement de chaque travailleur humanitaire répond à des valeurs, des idéaux et la volonté « de ne plus être spectateur de notre monde mais devenir acteur », confie Clément Locquet. L’immersion culturelle est alors indispensable et l’approche humaine de cet engagement s’impose tout naturellement. « J’ai gardé de nombreux contacts au Yémen. Durant ma mission, jai effectué le ramadan et pris des cours d’arabe », souligne Clément Locquet. Les missions sont plurielles et s’exercent partout dans le monde. Clémence, après une licence de droit, a passé une année en République démocratique du Congo dans un centre d’alphabétisation. Clothilde, 24 ans, est allée en Jordanie pour venir en aide aux familles qui fuyaient l’Organisation Etat islamique tandis que Bastien, à 21 ans, a passé deux ans au Népal et aux Philippines, pour secourir des enfants démunis… Wendy, après des études dans l’humanitaire, est arrivée chez Première Urgence Internationale en 2014 en tant qu’assistante chef de mission en Centrafrique. Cheffe de projet urgences au Cameroun puis coordinatrice de zone au Liban avant de devenir cheffe de mission au Mali, elle est aujourd’hui chargée des urgences au Service des Urgences et du Développement Opérationnel et des Partenariats (SUDOP) « La vie dans lhumanitaire est très riche et intense : ça passe par des hauts, des bas, par des émotions intenses, par beaucoup de joies, et parfois des moments très déprimants suite à certaines choses quon voit sur le terrain. Mais on en apprend tout le temps: entre ma première mission chez Première Urgence Internationale et aujourdhui, je ne suis pas la même. Je pense que je suis devenue une meilleure personne en étant une humanitaire. » confie t-elle.2

1 https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/le-journal-des-idees-emission-du-jeudi-17-septembre-2020

2 https://www.premiere-urgence.org/travailler-dans-lhumanitaire-je-suis-devenue-une-meilleure-personne-en-etant-une-humanitaire/