Écologie et environnement : les mauvais élèves de la sécurité internationale ?

Pour Klaus Toepfer, ancien directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, « la sécurité écologique est aussi importante que la sécurité militaire »1. Depuis la conférence des Nations Unies de 1972 sur l’environnement humain, et l’émergence du principe de décroissance économique suite au Rapport Meadows du Club de Rome, la volonté internationale hésite encore à prendre le problème à bras le corps, 50 ans plus tard. S’agit-il avant tout d’obstacles systémiques, politiques, économiques ou « all of the above » ?

Par Catherine Convert

Quid de la sécurité écologique dans le monde ?

L’importance de la sécurité écologique n’est plus un débat. La menace des migrations climatiques massives se concrétise chaque année : si l’année 2019 se classait comme la deuxième année la plus chaude, elle se voit finalement détrônée par l’année 2020, selon l’Organisation Météorologique Mondiale. Faut-il attendre que 2021 en soit la quatrième championne pour appliquer des mesures concrètes ? Les Sommets pour l’environnement, les recommandations de l’ONU et les COP sont une étape. Il faut maintenant plonger dans le grand bain. Pour Dominique Bourg, il n’y a plus de doutes, les entreprises et les citoyens sont biens conscients des risques, le seul élément manquant reste le courage politique, ou plus exactement une « témérité politique ». Pour le philosophe, la COVID-19 montre l’entrée de l’humanité dans une zone de tous les dangers. Une situation qui interpelle sur l’efficacité du droit de l’environnement. « La Convention Cadre sur le climat est pleine de paradoxes et ne touche même pas le coeur de notre situation ». Le problème n’est plus politique, il devient systémique. Les textes qui régissent le climat ne peuvent pas s’adapter à un contexte économique bâti sur les succès de l’industrialisation. « Le problème, c’est le marché ouvert, où lorsqu’on achète un bien, il n’y a que le prix comme indicateur. Si les prix étaient calculés en unité de charge écologique, on aurait au moins connaissance de l’empreinte écologique du produit, l’idéal étant l’instauration d’un plafond de charge. Cela implique une réforme du système » explique t-il.

Une éthique générale pour une consommation éco-durable

Lorsque nos comportements déstabilisent l’environnement, comment agir au niveau macroéonomique et sociologique ? L’Agence de l’Environnement et de Maîtrise de l’énergie (ADEME) propose un guide anti-greenwashing pour comprendre et éviter un phénomène néfaste en aidant les entreprises à identifier de faux messages tout en informant sur la réglementation européenne ou la normes ISO 14021. À l’échelle des consommateurs, des comportements jugés écologiques peuvent avoir des répercussions sur une lutte efficace contre le réchauffement climatique. Dominique Bourg explique l’émergence d’un pathochentrisme liée à une évolution de la sensibilité envers la cause animale, qui n’est pas valide sur le plan écologique, « la viande de synthèse est un vrai champ de bataille ». L’industrie textile suit un même schéma. L’utilisation de coton bio et de fibres recyclables incite à la consommation en déportant un problème qui ne trouve pas encore de solution à grande échelle, comme le démontre le paradoxe de Jevons. « Lorsque les entreprises vertueuses se font dévaliser face à des entreprises qui font du chiffre sur un comportement sale », notamment dans l’agriculture où ce processus devient un frein écologique manifeste, « un changement de modèle devient essentiel et une réforme systémique s’impose », clame Dominique Bourg.

Carlos Tavares, PDG de Peugeot, mentionne les mêmes problèmes dans l’automobile et la démocratisation des voitures électriques lors de son intervention au salon de l’automobile de Francfort en 2019. Elles règlent le problème de l’émission de CO2 tout en laissant la question du recyclage des batteries et des terres rares en suspens. Depuis 1970, reporter les conséquences des technologies contemporaines sur les générations futures est une pratique si bien rodée qu’on semble encore hésiter à y mettre fin.

La transition numérique, porteuse de progrès environnementaux

La question environnementale ne doit pas pour autant se réduire à un défaitisme généralisé. Des entreprises et politiques tentent d’agir avec des mesures concrètes et perçoivent déjà des répercussions positives. Sandrine Fouillé, directrice RSE de Capgemini France, explique des engagements de fond sur des défis majeurs, l’impact écologique des terminaux numériques (smartphones, ordinateurs, téléviseurs) et l’empreinte carbone des bâtiments : « Au niveau groupe, nous avons atteint en janvier 2020 nos objectifs initiaux avec une réduction de 20% de nos émissions de gaz à effet de serre par salarié par rapport à l’année 2015, ce qui était un de nos objectifs à la COP21. Forts de ces résultats, nous avons pour ambition la neutralité carbone d’ici 2025 pour les opérations liées à notre activité, soit les déplacements professionnels, l’énergie ou les déchets. D’ici 2030, encore plus ambitieux, nous visons zéro émission nette pour toute notre chaîne de valeur, comprenant les achats et l’ensemble de la supply chain ». L’engagement du groupe se traduit également par des modules de formation accessibles sur le site de l’Institut du Numérique Responsable, rendu obligatoire pour les collaborateurs. Toujours dans une démarche de collaboration intersectorielle, Capgemini accompagne le programme MaPrimeRénov’, la nouvelle prime pour la rénovation énergétique2. En 2019, l’entreprise est labellisée World Most Ethical Company et certifiée ISO 14001 sur 34 de ses sites, incluant des data center grâce à son action environnementale. « Dans l’acronyme RSE, le terme de responsabilité a la première place à juste titre. La responsabilité sociale et environnementale cest le sens de ce que je fais chaque jour avec toutes les entités de Capgemini, avec nos clients, nos partenaires et nos collaborateurs. C’est ensemble que nous ferons avancer les choses dans le bon sens », conclut Sandrine Fouillé.

« Notre secteur est une petite partie du problème mais une grande partie de la solution » disait Stéphane Richard président-directeur général du groupe Orange. Une affirmation qui se confirme par les chiffres de l’Agence Internationale de l’Énergie, qui montre que l’ensemble du réseau numérique et de la télécommunication ne représente que 3,5% des émissions de carbone dans le monde. « Les questions environnementales sont un peu notre ADN, et nous avons eu la chance de commencer sur ces sujets en avance » explique Matthieu Belloir, directeur RSE d’Orange. Aujourd’hui, c’est au travers du programme Engage 2025 que le groupe se démarque. L’objectif : devenir net zéro carbone en 2040 en ayant 10 ans d’avance sur les objectifs de la Global System for Mobile Communications Association (GSMA).

Le groupe a réussi à réduire de 64,2% les émissions de CO2 par usage clients, émis par les téléphones, la télévision et internet en 2020. « Nous travaillons aussi sur la gestion optimisée de nos bâtiments et de nos véhicules ». En interne, des programmes comme Green ITN 2020 permettent des économies substantielles en électricité en s’appuyant sur des innovations technologiques pour réduire la consommation du réseau, « en utilisant des systèmes de refroidissement liquide, en virtualisant nos serveurs et en renouvelant nos équipements par des équipements moins énergivores. » ajoute Matthieur Belloir. Orange prévoit également de conclure davantage de Power Purchase Agreement en Europe, afin d’utiliser 50% d’énergies renouvelables d’ici 2025. Concernant l’économie circulaire, le groupe développe des produits éco-conçus et poursuit les programmes de recyclage et de réemploi. « La dernière iBox 5 voit son empreinte carbone réduite de 29% et on dédie 20% de nos investissements dans des équipements reconditionnés qui n’entravent en rien la qualité des services »conclut le directeur RSE.

Côté politique, le constat est le même. La transition numérique représente une augmentation de la consommation des terres rares et un accroissement de l’empreinte environnementale. Mais il peut également avoir des usages propices à l’écologie. « Le télétravail réduit nos émissions carbone, la 5G permet d’optimiser les flux et d’avoir des indications sur les capteurs. Dans l’agriculture et les espaces verts, la technologie permet également d’arroser selon des systèmes automatisés » témoigne Eric Bothorel, député de la 5e circonscription des Côtes d’Armor. Pour le député, le défi de la transition numérique concerne avant tout les terminaux, dont la fabrication et le recyclage est bien plus problématique que la pollution des datacenter.

Des progrès dans la Défense

Michel-André Bouchard, professeur à l’École Polytechnique de Montréal, conseiller régulier auprès de la Banque Mondiale, des Nations Unies et de la Société Financière Internationale et ancien conseiller scientifique auprès du gouvernement du Québec dans le cadre des Évaluations Environnementales Stratégiques alerte sur les ravages environnementaux pendant et après les conflits. La destruction de l’environnement prend une place non négligeable dans l’histoire de la stratégie militaire. La canopée submergée de napalm pendant la guerre du Vietnam, les techniques de déclenchement de séismes, abattage de gorilles pour dissuader l’ennemi au Rwanda, les déviations des cours d’eau sans compter les éléments de droit qui ne sont jamais appliqués en temps de guerre devraient inciter à repenser les conflits, en prévoyant les infrastructures à risques. « Pour les zones potentiellement dangereuses, il faudrait établir une carte stratégique d’intelligence environnementale, qui serait très utile au Sahel pour renforcer les aires protégées, les infrastructures d’énergie et d’assainissement. Une carte de dangers regroupant les produits dangereux, les risques d’effondrement ainsi que les dégâts causés par les déplacements de population permettrait de prévoir des couloirs de migration et d’adapter les stratégies et effectifs militaires ». Cette « intelligence environnementale » comme la présente Michel-André Bouchard, permettrait de prévenir les dégâts causés à l’environnement. Pourtant, elle est rapidement confrontée au principe de souveraineté et aux réticences liées au néocolonialisme. Comment aurait-il été possible d’éviter le drame libyen ? « Si la France, la Russie et les États-Unis avaient le droit de préintervenir, le feraient-elles ? ». L’application d’une intelligence environnementale est difficile mais pourtant essentielle, puisque l’environnement est un élément vital pour la reconstruction post-conflit. L’intelligence environnementale devrait bientôt faire partie de la stratégie militaire de l’armée canadienne grâce à des formations, notamment sur la question de l’approvisionnement en eau pour les troupes concernant l’exploitation de ressources locales ou de bouteilles d’eau rapportées en zone de confits depuis le Canada. L’armée suédoise intègre également cette notion dans son armée pendant que les Nations Unies tardent à l’implanter.

La dégradation environnementale est également due aux déchets liés aux interventions militaires. « L’industrie militaire devrait adopter une économie circulaire pour régler la question des têtes d’obus en uranium appauvri », qui sont généralement recyclées par les populations locales dans une économie souterraine, vendant du métal contaminé par la suite réutilisé dans des objets du quotidien.

Le ministère des Armées français se préoccupe de plus en plus de l’empreinte environnementale de ses armées. Le Service d’Infrastructure (SID) s’empare du sujet lors du Digital Forum Innovation Defense de décembre 2020 pour présenter DataNRJ, un outil permettant d’analyser la consommation énergétique. En février 2020, le service s’implique également dans l’appel à projets « TIGRE » de la Direction de l’Immobilier de l’Etat et la Direction de l’habitat et de l’urbanisme public visant à rechercher des « opérations à gains énergétiques rapides au sein des administrations centrales de l’État »3

Il aura fallu de la patience pour voir enfin émerger ces quelques initiatives, depuis 1972, et cette conférence sur l’environnement humain qui s’est tenue aux Nations Unies. Alors que de nombreux acteurs stratégiques semblent enfin s’engager, il est temps que cette volonté de repenser un nouveau monde durable se transforme en un véritable enthousiasme politique inclusif. Le référendum proposé en décembre dernier par le président de la République française pour inscrire la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique dans l’article 1 de la Constitution, sera donc une nouvelle étape à suivre en 2021. Risqué avec un intérêt limité pour certain ; un enjeu qui vaut bien de prendre le risque pour d’autres, c’est avant tout sur l’ensemble des mesures concrètes et complémentaires qui seront prises en 2021 que l’action et le bilan du gouvernement français sera jugé.

1 Klaus Toepfer, Le Temps, « La sécurité écologique est aussi importante que la sécurité militaire », mars 2003, https://www.letemps.ch/opinions/securite-ecologique-importante-securite-militaire

2 https://www.economie.gouv.fr/particuliers/prime-renovation-energetique

3 https://www.defense.gouv.fr/sga/rubrique-actualites/decouvrez-comment-le-ministere-concilie-energie-et-developpement-durable