Changement climatique et territoires insulaires, le droit international submergé

Le 31 décembre 2020 a sonné la fin du protocole de Kyoto, premier protocole contraignant entré en vigueur pour lutter contre le réchauffement climatique en 2005. L’accord de Paris adopté à l’issue de la COP21 prend la relève en fixant pour objectif une limite de la hausse des températures globales à moins de 2°C maximum d’ici à la fin du siècle. Un accord dont les quinze premiers signataires sont de petits Etats insulaires aux avant-postes des conséquences du changement climatique, considérant l’accord comme crucial à leur survie. Presque cinq ans plus tard, la situation critique et les périls qui pèsent sur leurs territoires matérialisent les liens entre changement climatique, enjeux de citoyenneté et sécurité.

Par Philipine Colle

Les risques environnementaux

Pour les territoires insulaires, les effets du réchauffement climatique sont démultipliés. Leur localisation dans des zones tropicales et leur dépendance à l’équilibre des écosystèmes marins font des conséquences du réchauffement climatique des réalités quotidiennes. Les récifs coralliens ainsi que les palétuviers qui composent les mangroves protègent les zones côtières des phénomènes météorologiques extrêmes. « Véritables remparts naturels contre les vagues quils atténuent à 70% et les vents les plus violents, ils sont particulièrement vulnérables à la variation des températures marines et à lacidification des océans » indique Maina Sage, Députée de la première circonscription de Polynésie. Or, les scientifiques estiment que 20 % des récifs coralliens mondiaux ont déjà définitivement disparu, 25 % sont dans un état critique et 30 % seulement demeurent dans un état satisfaisant1. Cela a pour conséquence l’intensification de la puissance de phénomènes météorologiques qui en plus des destructions conjoncturelles, ont des conséquences de long terme sur la géographie des territoires. « En raison de l’élévation du niveau des océans comme de la survenue des tempêtes et cyclones, trois phénomènes principaux menacent les territoires insulaires ; l’érosion des côtes, les infiltrations deau de mer et la salinisation des sols et la submersion marine » explique Alexandre Magnan, chercheur spécialisé dans les vulnérabilités et adaptations au changement climatique au sein de l’IDDRI et membre du GIEC. Ces risques environnementaux engendrent des pertes d’espace dans des territoires dont la taille est déjà une contrainte pour le développement.

Des conséquences socio-économiques

Les Etats insulaires concernés par les risques environnementaux sont de petits territoires au développement contrarié abritant des communautés pauvres et particulièrement dépendantes d’activités économiques basées sur les littoraux telles que l’agriculture, la pêche et le tourisme. « Ce sont les populations les plus pauvres qui subissent le plus violemment les conséquences du changement climatique ayant des difficultés à trouver des alternatives économiques. Les vulnérabilités se cumulent et les inégalités sont accrues » constate Alexandre Magnan. Cela engendre un risque pour la sécurité alimentaire des populations et le maintien des cultures ancestrales basées sur des savoirs et des pratiques en adéquation avec un milieu naturel menacé de disparition.

Si les conséquences du réchauffement climatique sur les terres émergées sont les plus visibles, les questions soulevées quant à la souveraineté maritime sont cruciales pour des populations vivant des ressources de la mer. « La disparition des récifs coraliens a des conséquences dramatiques sur la ressource halieutique vivrière. Un tiers de la pêche se fait dans les récifs et cette pêche représente le plus grand apport protéinique des insulaires. Une détérioration de la santé des populations est à craindre » alerte la Députée. Qu’il s’agisse de la détermination des eaux territoriales ou des zones économiques exclusives, les droits sur les espaces maritimes sont fonction de calculs basés sur leur trait de côte. Si le trait de côte des territoires insulaires est menacé d’un important recul à long terme, l’altération des conditions d’habitabilité que certaines îles subissent déjà sont des facteurs de modification des droits d’accès aux ressources maritimes. En effet, selon l’article 121 §3 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, seules les îles qui se prêtent à l’habitation humaine ou à une vie économique propre ont le droit de revendiquer une ZEE ou un plateau continental. L’arrêt des activités ou les mouvements de populations insulaires liés aux effets du réchauffement climatique produisent des conséquences géopolitiques lourdes dans un contexte de course aux hydrocarbures et au gaz présents dans les fonds marins. Alors que les 70% de la population mondiale qui subiront le plus fortement l’élévation du niveau des mers vivent dans les pays de l’ASEAN2, cela pourrait bouleverser l’issue des tensions en mer de Chine méridionale où la revendication des îlots et des ZEE qui leur est associée engendre une militarisation croissante. Des tensions qui ne sont pas inévitables selon Albane Geslin, Professeure agrégée de droit public au sein de Sciences Po Aix-en-Provence puisque « pour renforcer leur sécurité juridique et de garantir leur accès aux ressources halieutiques, certains Etats comme le Tulavu ou les Kiribati ont figé leurs délimitations maritimes en adoptant un système fixe de détermination des lignes de base, une solution dont la conformité avec le droit international reste ambigüe ».

La migration climatique, dernier recours incitant à la réflexion

Des politiques d’atténuation des conséquences du changement climatique sont mises en place sur les territoires insulaires où il est nécessaire de bâtir une résilience littorale. En Polynésie, des campagnes de plantation de corail ont été couplées à une interdiction du dragage des plages afin de préserver le sable qui participe à la lutte contre l’érosion. Des mesures nécessaires mais qui ne suffisent pas. « Les initiatives locales nont aucun sens si des changements de comportement de consommation ne sont pas opérés ailleurs dans le monde » assène Maina Sage.

La combinaison des multiples conséquences climatiques tend à rendre le milieu insulaire inhabitable avant même qu’il ne soit submergé. Malgré la construction d’abris de survie, la question du repli stratégique et des migrations internationales se pose. « Il sagit dune option de dernier recours qui nest ni désirable en raison du déchirement identitaire et culturel quelle provoque, ni prête à être mise en œuvre concrètement » explique Alexandre Magnan. De telles migrations seraient, en effet, sources de nouvelles tensions puisqu’il n’existe « aucun exemple concret de pays se déclarant prêt à accueillir la population dun autre » continue-t-il. Par ailleurs, le statut des populations déplacées pose d’importantes questions sur la capacité du droit international à faire face aux enjeux posés par le réchauffement climatique. Selon la Convention de Montevideo de 1933, un Etat est un territoire défini occupé de façon permanente par une population. La submersion d’une île et le déplacement de sa population contrevenant à la pérennité des éléments de cette définition, les populations déplacées deviendraient apatrides. Cette situation inédite questionne le droit d’asile et la sécurité des populations privées de citoyenneté. « Aucun statut juridique de réfugié climatique ou d’apatride climatique n’existe actuellement en droit international », confirme Albane Geslin.

« Si aujourdhui les îles sont les premières touchées, il est impensable de continuer à croire que des territoires seront épargnés par les conséquences désastreuses du réchauffement climatique et que ce dernier pourrait être une opportunité » s’alarme Maina Sage. Afin de faire face aux enjeux environnementaux globaux de demain, les politiques climatiques internationales doivent être couplées à une réflexion de fond sur le statut des populations menant à une adaptation du droit international humanitaire.

Iles des Maldives. (© Rayyu Maldives photographer – Unsplash)

1 Source : Les Echos Planète, 2020.

2 Source : ONU, 2019