L’insécurité alimentaire : un fléau à endiguer

De nombreuses ONG ont récemment alerté sur lexplosion de l’insécurité alimentaire à venir. La crise sanitaire favorise la propagation de la « pandémie de la faim », ce qui viendra ajouter aux malheurs des régions du monde qui font déjà face à des crises protéiformes. Les indicateurs sont passés au rouge. Même dans les pays développés comme la France, la faim est une réalité contre laquelle il faudra significativement lutter. Selon lONG Oxfam, « 8 millions de personnes ont eu besoin fin 2020 dune aide alimentaire, soit 2,5 millions de personnes en plus ». Retour sur le fléau endémique de la faim.

Par Hugo CHAMPION

L’explosion mondiale de l’insécurité alimentaire.

Ces derniers mois ont précipité les populations vulnérables dans une phase d’urgence d’insécurité alimentaire. Une analyse conduite conjointement par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM), publiée en novembre dernier, indique un risque significatif de famine dans des régions qui connaissent une superposition de crises (conflits, sécheresse, pandémie de covid etc.). « La situation prend un tournant catastrophique. De nouveau, nous sommes confrontés à une famine dans quatre régions du monde différentes de manière simultanée. Lorsque nous déclarons une famine, cela signifie que de nombreuses vies ont déjà été perdues. Si nous attendons d’être sûrs quelle soit là, des personnes ont déjà perdu la vie », déclare Margot van der Velden, Directrice du Bureau des urgences du PAM. Le Programme alimentaire, au front de la lutte contre la faim, s’est d’ailleurs vu décerner le Prix Nobel de la paix 2020.

Le « Global Humanitarian Overview » publié par de l’ONU en décembre 2020, alerte sur l’état général de l’insécurité alimentaire. L’augmentation du nombre de personnes concernées est alarmante. D’ici à la fin 2020, 270 millions de personnes pourraient souffrir d’insécurité alimentaire aiguë, soit plus de 80% de plus qu’avant la pandémie. Cette explosion est étroitement liée à la pandémie du coronavirus selon l’ONU.

« Les problèmes économiques liés à l’épidémie mondiale de la covid-19, accentueront la crise de la faim », indique Marion Guillou, ancienne présidente-directrice générale de l’INRA. Dès lors, il est opportun de souligner que le virus est encore vivace, ce qui laisse présager une accentuation de l’insécurité alimentaire. « Lextrême pauvreté a augmenté pour la première fois en 22 ans », souligne le rapport, avertissant que « de multiples famines se profilent à lhorizon ». C’est dans ce contexte d’extrême tension que l’ONU lance un appel record de 35 milliards de dollars – soit plus du double du record de 17 milliards de dollars levé en 2020 – pour venir en aide, sur l’année 2021, à plus de 200 millions de personnes dans le monde.

Quelles réponses structurelles ?

Selon la FAO, l’insécurité alimentaire prendra fin lorsqu’il y aura un « accès pour tous à une alimentation de qualité en quantité suffisante », rappelle Jean-Louis Rastoin, professeur honoraire à Montpellier SupAgro, fondateur de la chaire UNESCO en « Alimentations du monde » et membre de l’Académie d’Agriculture de France. Pour atteindre cet objectif, il faudrait revoir le modèle agroindustriel, dont « la production n’est pas conforme aux besoins nutritionnels, sociaux et environnementaux », souligne le professeur. Pour nourrir demain 10 milliards de personnes, il faudra nécessairement choisir un modèle qui garantira la pérennité de l’écosphère tout en assurant une bonne alimentation aux consommateurs. Ces derniers doivent également rééquilibrer leur apport calorique quotidien. « Une personne en moyenne a besoin d’accéder à 3000 kilocalories par jour. Aujourdhui, en France, nous avons accès à près de 4000 kcal/jour. Il y a un vrai besoin dattention à une alimentation modérée et à une diminution des gaspillages », souligne Marion Guillou. Pour sensibiliser chaque citoyen, il faudrait commencer par réintroduire « l’éducation domestique, qui consiste à enseigner aux élèves, depuis l’école élémentaire jusqu’à luniversité, la bonne façon de se nourrir et à sélectionner les produits respectueux de lenvironnement », préconise Jean-Louis Rastoin. Bien que de plus en plus de consommateurs sont en demande d’une alimentation saine, « les États ont du mal à prendre le virage socio-écologique du fait de leur organisation en silos et de certains lobbys. Ainsi, dans beaucoup de pays, dont la France, les ministères de la Santé et de l’Environnement appuient une telle transition, alors que les ministères de l’Agriculture la freinent », ajoute le professeur. Ainsi, il devient indispensable pour assurer la sécurité alimentaire de « mettre en place un modèle dagriculture durable, tout en diminuant le gaspillage et en luttant contre la pauvreté », indique Marion Guillou. Le schéma d’aujourd’hui pour demain doit être global et préparer l’avenir sur le long terme.

L’insécurité alimentaire en France: la solidarité en première ligne

Les pays les plus touchés par la famine sont naturellement ceux qui connaissent des crises protéiformes et des conflits comme le Nigéria où fin novembre, 16 ouvriers agricoles ont été égorgés par le groupe Boko Haram, en pleine saison de récolte du riz. Là où sévissent des groupes armés, la faim et la misère s’accentuent incontestablement. La France, bien qu’elle représente un pays développé, connaît également son lot d’insécurité alimentaire. Selon un rapport de l’Inspection générale des Affaires sociales publié fin 2019, le public de l’aide alimentaire a presque été multiplié par deux en 10 ans et 335 000 tonnes de nourriture ont été distribuées en 2018. La pandémie à laquelle l’Hexagone fait face depuis mars 2020 exacerbe les besoins des Français les plus démunis. Cette hausse critique provient notamment de la crise socio-économique dont les conséquences sont encore difficilement mesurables. Les premières prévisions d’Action contre la Faim (ACF) rendent compte de cet état des lieux alarmant. « Si avant la crise, près de 5,5 millions de personnes étaient déjà dépendantes des mécanismes daide alimentaire, les prévisions actuelles portent ce chiffre à plus de 8 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire pour des raisons financières » peut-on lire sur un post d’ACF, publié en novembre dernier. L’ONG collabore depuis le début de la crise avec l’Armée du Salut afin de lutter efficacement et collectivement contre la précarité alimentaire des citoyens français. La France peut néanmoins compter sur son large tissu associatif et ses 200 000 bénévoles ainsi que sur les réseaux de solidarité spontanés. A Marseille, c’est un ancien fast food des quartiers Nord qui a été réquisitionné par des bénévoles et transformé en plateforme d’aide alimentaire. Lors du premier confinement, ils avaient plus de 3500 colis alimentaires chaque semaine, touchant près de 14 000 personnes.

L’aide apportée aux personnes vulnérables est nécessaire mais difficile à long terme. C’est pourquoi il apparaît urgent de refaçonner notre modèle agricole et la répartition des ressources alimentaires produites. Nous avons les compétences. A nous désormais d’accélérer la transition, au plus tôt, afin de remédier aux plaies qui nous attendent !