Le vivre ensemble par les initiatives locales, impulsion d’une dynamique globale

Toujours plus hautes, toujours plus étendues, des villes immenses redessinent inexorablement le paysage dune planète qui surbanise à marche forcée. Chaque jour, les espaces urbains progressent de cent-dix kilomètres carrés, l’équivalent de la surface de la ville de Paris. Actuellement, plus de la moitié de la population mondiale vit en ville et lONU estime que ce sera le cas de près de 70% des êtres humains à horizon 2050. A lheure où les urgences climatiques et sociales se font de plus en plus prégnantes, ces mutations profondes du paysage planétaire induisent des transformations de nos modes de vie et de véritables défis à relever. Les initiatives locales pour mieux vivre ensemble dans les zones urbaines auront sans aucun doute un impact global.

Par Camille Palmers

La mixité et la proximité au cœur du vivre ensemble

S’il est faux de penser que les villes françaises sont des lieux dans lesquels la mixité et le vivre ensemble sont totalement inexistants, la tendance à la concentration de minorités racialisées sur des territoires excentrés engendre la création de « ghettos de la nation »1. Des ghettos, qui, selon Jérémy Robine, Maître de conférences, spécialiste de la géopolitique des villes et des conflits urbains et directeur adjoint de l’Institut Français de Géopolitique,sont « des territoires faisant lobjet de représentations fantasmagoriques rendues possibles par leur éloignement géographique et surtout social. Je travaille à lUniversité de Saint Denis. Lors de rencontre entre académiques, certains, malgré un fort capital culturel ont une image déformée de ce territoire. Ils le voient comme un lieu où aucune loi ne sapplique ! ». Cette situation dans laquelle tous les fantasmes sont possibles traduit la fracture sociale, la méconnaissance des autres et l’enfermement généralisé dans des visions éloignées de la réalité. De là naissent les difficultés de cohésion nationale, la tentation de replis sur une identité religieuse de substitution ainsi que les parcours de délinquance tragique. « La crise des Gilets Jaunes naurait surement pas eu lieu si lon avait pu offrir des services de proximité à toute la population. La proximité est une proximité heureuse qui permet de rompre avec lanonymat de la ville et constitue un gain de temps qui peut être réinvestit dans les interactions sociales locales » affirme Carlos Moreno, Professeur des universités et conseiller scientifique à la Mairie de Paris, dont il est l’envoyé spécial pour les villes intelligentes. Un travail de désenclavement tant géographique que citoyen est nécessaire.

Des expériences réussies

L’expérience réussie du village indien de Kuthambakkam illustre l’effet de la participation collective à des projets favorisant la mixité sociale sur la baisse de la criminalité. Alors qu’il était sujet à la violence, au commerce illicite d’alcool et à la pollution, la petite ville de 5000 habitants est devenu un modèle de vivre ensemble. En 1996, Elango Rangaswamy, président de la Panchayat, l’assemblée locale, choisi d’y inviter tous les villageois. Ensemble, ils décident de la reconstruction collective des routes et des systèmes d’assainissement délabrés. Des maisons jumelles, où cohabitent des familles Intouchables avec d’autres castes, sont construites. Un lien entre des villageois qui ne se parlaient pas est créer, les discriminations diminuent, le taux de scolarisation atteint les 100% et une partie de l’économie est relocalisée au profit des plus fragiles qui abandonnent le trafic illicite.

A l’échelle des grandes villes, Carlos Moreno prône le concept de ville du quart d’heure où il cherche à briser la ville ségréguée et le sentiment d’abandon qu’elle produit, pour mettre en place une ville polycentrique dans laquelle tous les services sont accessibles en moins de quinze minutes pour chacun des habitants. Un concept plébiscité par le C40 Cities Climate Leadership Group, qui rassemble les élus de 94 des plus grandes villes du monde et dont les préceptes guident les initiatives locales de nombreuses municipalités. A New York, la proximité passe par la réappropriation citoyenne des espaces publics non utilisés comme les cours d’écoles qui accueillent le week-end des marchés alimentaires, lieux de rencontre et outils de lutte contre la précarité alimentaire. En Australie, c’est par le financement d’installations d’art publiques et d’espaces créatifs au cœur des centres d’activité de Melbourne que le projet « 20-Minute Neighbourhoods » souhaite renforcer la cohésion sociale.

La technologie, Pharmakon dans les villes de demain

La proximité dans les milieux urbains de demain ne pourra pas se passer de l’usage des nouvelles technologies. « Pour reprendre les mots de Bernard Stiegler, la technologie est un Pharmakon, cest-à-dire un remède et un poison en fonction de son utilisation. Tout lenjeu est de ne pas créer des zombigeek hyperconnectés mais déconnectés socialement » alerte Carlos Moreno. L’humain est donc une fois encore, et plus que jamais, au cœur des enjeux liés à la transformation du mode d’habitation des espaces urbains. Il est nécessaire qu’il soit à l’initiative pour mieux penser et vivre la ville. En France, des exemples montrent qu’associer le numérique et la technologie au service du mieux vivre ensemble est possible. Améliorer la qualité de vie et l’efficacité des services publics, c’est en effet dans cette optique que la municipalité d’Issy-les-Moulineaux a opté en 2018 pour le robot Pepper avec qui les habitants peuvent dialoguer et émettre des suggestions sur diverses questions d’intérêt local. Il intervient également dans le cadre des visites du musée. « Cest une nouvelle vision de la ville, plus astucieuse, plus fluide, plus participative, plus collaborative qui est proposée aux citadins de demain. Au fil des années, les Isséens sont parvenus à démontrer que l’on peut profondément moderniser une ville en insistant sur limportance dune vision humaine de la Smart City. » témoigne la collectivité. Si implanter des démarches participatives numériques est une avancée pour le vivre ensemble, leur donner de la visibilité est essentielle à leur efficacité. Parti du constat que trop peu de ses 22 000 habitants connaissait les diverses actions numériques développées en faveur d’une citoyenneté renouvelée, la ville de Hazebrouck dans les Hauts-de-France amobilisé une solution combinant terrain et numérique : les affiches connectées.Apposées sur du mobilier urbain, elles informent et atténuent une possible fracture numérique enpermettant aux passants de répondre en un clic sur le support tactile à une question posée. Les réponses stockées dans une base de données sécurisées sont ensuite étudiées par les élus. L’utilisation de tels outils a permis une adaptation de la participation citoyenne dans une situation inédite de crise sanitaire rendant impossible les grands rassemblements. En mai dernier, les habitants de nombreuses municipalités dont Hazebrouck mais aussi Annecy et Belle-Île-en-Mer ont ainsi participé à une consultation en ligne quant à la préparation du déconfinement et aux mesures locales à mettre en œuvre. Facteur de souplesse et d’adaptabilité pour les collectivités, les technologies participent aussi au renforcement de leur résilience face aux crises actuelles et futures.

Du fait de la taille, de la culture et des traditions de chaque territoire, il ne peut y avoir de modèle unique du vivre en ville, mais là où le vivre ensemble se renforce, l’insécurité et l’extrémisme diminuent au profit du développement d’écosystèmes locaux d’entraide et de tolérance. Les collectifs citoyens et les réseaux de villes s’organisent, ainsi les initiatives locales engendrent une dynamique citoyenne mondiale pour une urbanité repensée.

1 Ouvrage publié par Jeremy Robine en 2011 aux Editions Vendémiaire.