Jeunesse d’aujourd’hui, sécurité de demain

2021 s’ouvre et tourne enfin la page d’une année éprouvante. Les remises en question et réflexions pour un monde meilleur ont été nombreuses. Mais les réponses à une crise dont les effets se vivront dans le temps long devront être à la hauteur du choc qu’elle a engendré, sans quoi le monde « d’après » ne sera pas pour demain.

Cette crise est sanitaire, avec l’apparition d’une pandémie qui met du temps à se résorber. Elle est aussi économique et sociale, avec le basculement d’une partie des Français vers l’isolement et la pauvreté. Enfin, elle est sécuritaire, la période étant à la défiance envers les forces de sécurité et l’Autorité.

Cette crise impose pourtant à tous un moment de sagesse : elle force à s’arrêter un instant pour constater les dégâts et anticiper les évolutions, pour dessiner des solutions visant à préparer le rebond.

Par Fadila Leturcq, Membre du comité directeur des Jeunes IHEDN, Présidente de Civil Impact et Lauréate de lInstitut de lEngagement

A cet exercice, la jeunesse marquée par l’aphorisme d’Albert Camus : « Les jeunes ne savent pas que l’expérience est une défaite et qu’il faut tout perdre pour savoir un peu », a décidé de participer sans attendre d’être sollicitée. Qu’il s’agisse d’agir au travers de démarches solidaires, d’interpeller les autorités et médias à travers les réseaux sociaux, de défendre des causes dans les places et coins de rues de toutes les villes de France : la jeunesse qui a perdu ses espaces de sociabilité, sa liberté de mouvement, sa stabilité financière parfois ou son confort sanitaire, n’a pas baissé les bras. Elle s’est mobilisée. Dans la tourmente collective, elle a élevé sa voix.

Représentant une génération sensible aux questions de défense, de sécurité et de citoyenneté, l’association des Jeunes IHEDN a suivi ce mouvement à travers un ensemble de travaux menés au début de la crise. Il ressort de cette mobilisation plusieurs observations qui amènent à porter un regard rénové sur les questions de sécurité. Ainsi, dans le rapport de Task Force « Devant Nous, 32 ambitions pour le futur » publié en mai 2020, ce sont 150 jeunes engagés qui ont profité de la mise à l’arrêt des activités pour avancer des ambitions visant à faire front face à la crise et à rebondir durablement.

De ces réflexions, il ressort que le capital humain et les capacités productives doivent être mieux mobilisées pour faire face aux crises. Nous avons salué la mobilisation de plusieurs organisations dans la gestion de la crise sanitaire avec le détournement de l’usage de produits ou d’appareils de production. Ainsi, il nous semble important qu’une Haute autorité à la Résilience soit créée, afin de mener une cartographie du capital matériel et humain pour faire face à tout type de crise mais aussi de créer un cadre commun de gestion des risques qui pourrait se décliner dans chaque secteur d’activité, au-delà des seuls opérateurs d’importance vitale. En ce sens, nous appelons à un renforcement des Réserves, qu’elles soient militaires, sanitaires ou issues du secteur privé avec la création de réserves par branches professionnelles.

L’irruption de la crise sanitaire a obligé les Français de toutes les générations à s’adapter, à travailler et manager à distance, à enseigner ou recevoir du savoir à travers un écran, à vivre et communiquer autrement. Le numérique est apparu comme central durant les premiers confinements. Nous appelons donc à mieux former les Français avec de forts investissements pour une mise à niveau numérique, dans un pays où l’illectronisme touche 17%. Face aux actes de cybermalveillance et à la propagation intensive des fake news, il est plus que jamais indispensable d’armer la population et de la doter d’une culture numérique pour lui permettre de naviguer entre les mondes réels et digitaux en toute confiance. En ce sens, nous appelons à faire de la sécurité numérique un droit fondamental et un service public.

Enfin, la crise a révélé l’importance des capacités à l’échelle locale pour être réactif face aux difficultés sanitaires ou économiques, mais également la valeur de la coopération internationale, l’épidémie ayant touché plusieurs pays d’Europe et du monde. Aussi, appelons-nous à continuer d’agir en unité et à trouver un juste équilibre entre souveraineté et interdépendances économiques, écologiques et sanitaires qui imposent par essence de défendre le multilatéralisme.

De ces productions dessinant notre vision de la sécurité de demain, nous retenons plusieurs choses : la nécessité de décloisonner les actions et les visions notamment en matière de gestion de crise, l’importance de préparer les populations à faire face et, surtout, la puissance et l’impact de la mobilisation des jeunesses pour amener les organisations à renouveler leur action et à se questionner de façon continue. Ce dernier point, issu d’une prise de conscience durant la crise, est devenu le moteur de notre action.

La jeunesse à la table des décisions

Nous portons ainsi une conviction plus large sur la place de la jeunesse dans notre société. Qu’elles s’envisagent sur le plan politique, au niveau des collectivités ou dans le secteur privé, les stratégies impactant la sécurité doivent être pensées en garantissant la représentativité de tous, dont celles des jeunes : nous appelons donc les entreprises et institutions à les inclure dans les décisions stratégiques, surtout si ces dernières concernent le futur. Un futur, proche ou lointain, lors duquel les jeunes se verront confier les rennes des organisations et auront à assumer les actifs et les dettes que les décideurs d’aujourd’hui leur auront laissés.

Si cette idée parait simple et accessible, il existe des chiffres qui nous ramènent à une dure réalité : quand l’âge moyen de la population s’élève à 42 ans, celui des maires est de 62 ans, celui des députés est de 51 ans, celui des sénateurs s’élève à 61 ans et, enfin, celui des membres des conseils d’administration des entreprises est de 58 ans. Alors, nous nous interrogeons : faut-il attendre d’avoir atteint 50 ans pour enfin être digne de penser l’avenir et de prendre des décisions pour les générations futures ? A en croire la jeunesse qui veut faire entendre sa voix et qui s’engage toujours plus dans nos rues, dans le tissu associatif, en politique et même au sein des entreprises, la tentation serait de répondre que non. Au regard du déséquilibre que nous présentent les statistiques, nous le certifions : il est encore ancré dans les esprits que l’expérience, « le vécu » et les cheveux grisonnants font le bon décideur. 

Il est indispensable de franchir un nouveau cap en donnant aux jeunes les moyens d’orienter les politiques du futur, sans quoi la fracture générationnelle va s’intensifier et peser sur le progrès de notre société. Les Millenials, jeunes étudiants ou actifs entre 20 et 40 ans, représentent un-tiers de la population active dans le monde, trépignent d’impatience de reprendre le flambeau et d’avoir un impact dans le monde qui les entoure. Leur propension à entreprendre, ainsi que leur appel à s’engager ou à « trouver du sens » le montrent en permanence, encore plus en cette période de crise.

L’équilibre de la diversité pour préparer demain

Dans des sociétés démocratiques, « lorganisation de la diversité » est majeure comme l’avançait Edgar Morin, et la qualité d’une démocratie s’évalue en matière de représentativité et de dotation en moyens égale à toutes les diversités pour leur permettre de s’engager et de faire entendre leur voix. Le code de gouvernement d’entreprise AFEP-MEDEF encourage les conseils à « sinterroger sur l’équilibre souhaitable de sa composition en matière de diversité (représentation des femmes et des hommes, nationalités, âge, qualifications et expériences professionnelles, etc.) ». Le temps est venu d’incarner ces grands principes et, en tant que représentants de la jeunesse, la question de la diversité générationnelle nous importe en premier lieu.

L’intégration des jeunes dans les processus de réflexion et les organes de décision est essentielle car il est question de reconnaissance de la place centrale qu’ils ont dans notre société. Elle l’est d’autant plus en ces temps de transitions et de transformations qui vont impacter notre sécurité économique et sociale, sanitaire et environnementale : les associer au plus tôt permettra de les préparer et de les engager dans « l’après ».

Devrons-nous actualiser les codes de gouvernance pour inciter les entreprises à garantir une place aux jeunes dans leurs cercles stratégiques (Codir, Comex, Conseils d’administrations) ? Faudra-t-il faire une réédition de la loi Copé-Zimmermann, s’attaquant à toutes les diversités et imposant un quota de jeunes de moins de 40 ans pour siéger dans les conseils ? Irons-nous encourager les parlementaires à solliciter les organisations de jeunesse pour renforcer leurs compétences législatives comme le fait déjà le Conseil économique, social et environnemental ?

Sans tomber dans le jeunisme, ayons le courage de mettre les jeunes à la table des décisions. Donnons-leur la chance d’être représentés, d’être engagés et de participer aux choix qui détermineront leur avenir. Si nous souhaitons un nouveau monde, un « monde d’après » qui ne soit pas comme celui d’avant, une sécurité de demain qui soit meilleure que celle d’aujourd’hui, il est temps d’engager la représentation de la société dans toutes ses composantes.

Nous croyons à un engagement volontaire des acteurs de la sécurité, publics ou privés, sur une conception de la diversité générationnelle comme nouvel outil de puissance. La jeunesse n’est pas un problème : elle fait partie de la solution et dans ce contexte tendu et confus, elle l’a déjà démontré. Accueillons donc sa vision aujourd’hui pour mieux préparer demain.