Reconstruire un monde plus égalitaire

En 1995, le programme d’action de Beijing en faveur de l’autonomisation des femmes était adopté par 189 gouvernements, créant ainsi l’espoir d’une construction d’un monde meilleur pour les femmes comme pour les hommes. Vingt-cinq ans après, les avancées bien que réelles restent limitées. Aucun pays signataire ne peut prétendre avoir atteint l’égalité des sexes et l’année 2020 fut le triste témoin de la réduction des progrès réalisés ces dernières années. Du fait de la propagation de la pandémie de la Covid-19, les conséquences sanitaires mais aussi économiques et sociales sont plus graves pour les femmes. Faire de la crise sanitaire une opportunité pour rebâtir un monde plus égalitaire : une nécessité certes, mais aussi une douce utopie ?

Par Philipine Colle

La crise sanitaire, électrochoc et prise de conscience des inégalités

La crise sanitaire a mis en lumière des inégalités préexistantes qu’elle a renforcé, aggravant les risques sociaux et sécuritaires auxquels les femmes sont confrontées. « Les calculs réalisés dans le cadre des objectifs du développement durable montrent qu’en 2020, 47 millions de femmes se retrouvaient en situation de pauvreté en raison de la crise sanitaire » déplorait Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive d’ONU Femmes, lors du Forum de Paris sur la Paix. Les femmes occupent en moyenne des postes offrant une rémunération moins élevée, impliquant une certaine précarité. Les mesures de lutte contre la propagation du coronavirus, en renforçant l’isolement, ont également contribué à l’intensification des violences domestiques. Prises au piège dans leur propre foyer et alors que les établissements d’accueil des victimes ont dû diminuer leur capacité de prise en charge, le nombre de signalements pour violences conjugales a connu une augmentation alarmante et ce partout dans le monde : 16% en Espagne, 20% aux Etats-Unis, 30% en France, et jusqu’à 60% au Mexique. La fermeture des établissements scolaires dans 194 pays a accentué la précarité des adolescentes, particulièrement en Afrique Subsaharienne où près d’un million de jeunes filles ne reprendra pas le chemin de l’école en raison d’une grossesse survenue pendant le confinement, selon l’ONG World Vision International.

Majoritaires dans la grande distribution et représentant 70% dans les secteurs de l’aide aux personnes et de la santé, les femmes ont aussi été aux avant-postes de la réponse à la crise sanitaire. Eprouvées par leur activité professionnelle, elles ont vécu lors du confinement et de la fermeture des écoles, une intensification de la charge mentale. Selon un sondage Harris interactive, seulement 32 % des femmes considèrent la répartition des tâches ménagères et éducatives égalitaire dans leur foyer.1 Mais si les inégalités persistent « le confinement peut être vu comme une expérience sociale qui pourrait provoquer une prise de conscience chez les hommes qui ne voyaient pas ces inégalités » explique Camille Froidevaux-Metterie, professeure de sciences politiques à l’Université de Reims.

Après la crise, s’adapter et faire changer les choses ?

La crise sanitaire a mis en lumière de lourdes failles dans la construction de nos sociétés futures. La sous-représentation des femmes et le manque de diversité dans les médias, dans les instances dirigeantes et les secteurs du numérique, des sciences et de la cybersécurité, en sont des exemples forts. Pourtant révélées par la crise comme étant des filières d’avenir, si les femmes restent absentes de ces secteurs, elles seront donc absentes des domaines porteurs de demain ! La nécessité d’un monde plus égalitaire se trouve au-delà du seul critère moral, il en va de notre succès à l’avenir. Ces secteurs porteurs demain s’engagent alors : fixation de quotas et méthodes de valorisation de la promotion en interne, signature de la chartre#StOpEcontre le sexisme en entreprise ou encore lancement, en février 2021, du programme de formation au métier d’intégrateur web Intégra11y, adapté aux personnes sourdes, malentendantes ou atteintes de troubles autistiques.

« Les efforts faits dans le monde économique fonctionnent. La loi Copé Zimmerman entrée en vigueur en France il y dix ans a permis de passer de 10% de femmes dans les conseils d’administration à 44% aujourdhui. Alors quelles ne représentent encore que 6% des chefs dEtats, il est important que les femmes sengagent, ne sautocensurent plus et osent prendre les décisions qui les concerne » déclare Elisabeth Moreno, Ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances. Sahle-Work Zewde, première femme présidente en Ethiopie et seule femme cheffe d’Etat sur le continent Africain au moment de son élection ; Audrey Tang, ministre du numérique taïwanaise et première ministre transgenre au monde et plus récemment Kamala Harris, première femme de couleur vice-présidente des Etats-Unis, sont des figures du progrès vers un monde plus représentatif et égalitaire. Elles lèvent les barrières genrées et encouragent les plus jeunes à envisager tous les possibles. « Je ne ressemble pas à un scientifique comme les autres. Tout ce que je vois à la télévision c’est que les scientifiques sont des hommes blancs, plutôt âgés. Mon but est d’inspirer d’autres jeunes à faire comme moi, leur donner un modèle. »déclarait Gitanjali Rao, jeune fille d’origine indo-américaine passionnée par la biologie et les sciences, élue “enfant de l’année” 2020 à 15 ans par le magazine Time. Elle a notamment mis au point un appareil capable de détecter et mesurer la présence de plomb dans l’eau potable ainsi qu’une application basée sur l’intelligence artificielle pour lutter contre le cyberharcèlement. Elle planche désormais sur un outil pour diagnostiquer la dépendance aux opioïdes.

La mixité et la diversité, facteurs dintelligence collective

C’est du collectif que les meilleures solutions émanent et cela s’explique par un raisonnement mathématique. « Dans un groupe, lerreur individuelle est confrontée à la diversité des opinions. Elle est compensée par les connaissances qui se combinent. Plus que la puissance des cerveaux, cest la mixité qui importe » explique Émile Servan-Schreiber, Docteur en psychologie cognitive, auteur de Supercollectif – La nouvelle puissance de nos intelligences. Il poursuit « Les scientifiques du MIT ont montré que les groupes les plus intelligents sont ceux dans lesquels il y a le plus de diversité ». Des résultats constatés par l’observatoire Skema de la féminisation des entreprises via le suivi de l’évolution des performances boursières du Femina Index : les dix entreprises du Femina Index surperforment le CAC40, y compris en temps de crise.

L’éducation, levier pour l’égalité

Ce monde d’après devra offrir une place aux talents dans toute leur diversité, indépendamment de leur genre mais aussi de leur âge, de leur origine ethnique ou de leur handicap. L’instruction est alors un levier indispensable pour l’égalité. Elle permet de rompre le déterminisme social et d’ouvrir la porte à des carrières diversifiées.Au-delà des salles de classes, l’éducation de tous au respect des différences et à la tolérance sont indispensables afin de bâtir un monde dans lequel chacun trouve une place et où la haine et la violence diminuent. L’éducation est la clé sans laquelle toutes les initiatives resteront vaines.

La tenue du Forum Génération Egalité, reporté en juin 2021, sera l’occasion de penser collectivement des solutions audacieuses et concrètes pour faire progresser les droits des femmes et la diversité en général et ainsi construire un monde plus égalitaire dont la nécessité ne fait aucun doute.

« J’ai réalisé que je voulais utiliser la science pour changer les choses de façon positive. J’aime redonner le sourire aux gens et leur permettre de mieux se sentir, et c’est ce que je fais avec la science. Ma science, c’est innover pour le changement, innover pour avoir un impact positif dans le monde. » témoigne Gitanjali Rao. La relève semble assurée !

1 Source : Harris Interactive, https://harris-interactive.fr/opinion_polls/limpact-du-confinement-sur-les-inegalites-femmes-hommes/