L’Agenda 2063 pour la « Renaissance africaine »

« Notre grandeur viendra de ce que nous saurons engendrer des êtres libres. Qu’ils se tiennent debout, qu’ils ne récitent leur longue généalogie que pour mieux regarder devant. Qu’ils disent : je suis parce que j’existe. Après qu’ils auront dit combien l’Afrique vaut mieux que ce qu’elle pense d’elle-même, des légions leur emboîteront le pas » écrivait Léonora Miano femme de lettres et auteur camerounaise. L’Union Africaine veut croire en son avenir pour être moteur de son progrès en réduisant les armes au silence au sein de pays prospères et démocratiques. L’Agenda 2063 n’est pas uniquement une politique et un projet commun : c’est la réappropriation d’un territoire et d’un destin par et pour sa population.

Par Estelle Alexandre

Une Afrique forte

L’agenda 2063 repose sur une analyse approfondie des faiblesses de l’Afrique. L’Union Africaine accorde une place importante à l’établissement d’une gouvernance solide, respectueuse des Droits de l’Homme, qui permettra la restauration d’une justice impartiale et d’un État de droit. Cette ambition se traduirait par une restructuration des institutions et des systèmes de gouvernance à tous les niveaux, pour mettre fin à la corruption notamment1. Si l’Afrique requiert un véritable renouveau sur le plan politique, c’est aussi sa réputation auprès de la communauté internationale qui l’empêche d’avoir le poids géopolitique auquel elle aspire. L’agenda 2063 doit faire de l’Afrique un partenaire diplomatique et économique fiable, au sein des institutions internationales mais aussi dans les négociations bilatérales. L’objectif : parler d’une seule voix pour éviter la présence d’acteurs en conflits d’interêts, pouvant être la cause d’une nouvelle montée des tensions, mais aussi être à la table des décisions internationales et multilatérales.
Si la politique extérieure de l’Afrique est amenée à connaître de réels changements, c’est avant tout sur la qualité de vie de ses citoyens que l’Union Africaine veut mettre l’accent. L’un des piliers sur lequel repose le plus d’espoir, est la promesse d’une Afrique prospère, basée sur une croissance inclusive et durable. Premier pas vers un niveau de vie élevée, une formation et une éducation de la population dans les sciences, les technologies et l’innovation afin de développer un capital humain valorisé. À l’horizon 2023, la « synthèse du Premier plan Décennal de l’Agenda 2063 » prévoyait l’implantation d’une Agence Africaine d’accréditation de l’enseignement ainsi qu’un système continental commun de l’éducation pour améliorer l’accès au marché du travail et à la connaissance à l’ensemble du territoire2.

À l’échelle du continent, les infrastructures et la connectivité territoriale doivent être modernisées. La mise en place d’une Zone de Libre Échange Continentale (ZLEC) passe par le développement de « pools énergétiques régionaux et continentaux » ainsi que la connexion du continent par un réseau de chemin de fer, de routes, mais aussi par la mer et par le ciel. Cette reconfiguration appellera donc à une amélioration globale des Technologies d’Information et de Communication d’ici 2023.

Quelle éthique dans la sécurité et la paix ?
La paix et la sécurité sont, à bien des égards, le frein ou l’accélérateur de cet agenda. Un frein lorsqu’encore aujourd’hui, des armées ont besoin de modernisation et de socialisation. Si l’Éthiopie et le Rwanda ont une bureaucratie stable, d’autres comptent encore sur les missions de l’ONU pour s’équiper et assurer le paiement des salaires, s’élevant à 1 331 dollars par hommes et par mois. Le Burkina Faso et la Mauritanie sont des exemples concrets, par leur participation aux opérations de maintien de la paix et la part de casques bleus fournis à l’ONU. Les Opérations de Maintien de la Paix (OMP) permettent dès lors aux États d’acquérir du matériel, de former des troupes sur le commandement et la logistique.

Le projet « faire taire les armes en 2020 » date de 2013, lorsque la présidente de la Commission Nkosazana Dlamini-Zuma avait entreprit un tour du continent pour recueillir les opinions des gouvernements, de la population et de la diaspora concernant les obstacles de l’Agenda 2063. Les conflits armés figuraient comme premier barrage à la réalisation de l’agenda. Pour Ramtane Lamamra, haut représentant de l’Union Africaine pour la campagne « faire taire les armes », « des progrès notables ont été réalisés en matière de prévention, de gestion et de résolution des conflits en Afrique, mais un certain nombre de pays africains restent encore prisonniers du cercle vicieux des conflits violents et de leurs conséquences meurtrières »3.

Autre défi : la base sociale des armées. L’établissement d’une gouvernance solide mettrait fin à un phénomène de double commandement selon des affiliations partisanes. Au Burundi, l’intégration de Tutsis et de Hutus dans un même corps ne permettait pas de supprimer un favoritisme envers les anciens combattants du CNDD-FDD hutus face aux ex-FAB. La participation des militaires aux OMP permet néanmoins de réduire le risque de mutineries ou de coup d’État, mais sont aussi à l’origine de tensions sociales avec les forces armées nationales, notamment sur l’inégalité des salaires. Un point sur lequel l’Union Africaine et l’Agenda 2063 pourront apporter une réponse dans le cadre du déploiement opérationnel de la Force Africaine d’Attente (FAA) à plus grande échelle. La professionnalisation des forces armées et la perception de l’institution militaire dans l’éducation devrait également améliorer sa réputation auprès du grand public mais aussi modifier sa capacité de réponse aux nouvelles menaces de sécurité comme la piraterie, le terrorisme, la cybercriminalité et la prolifération d’Armes Légères et de Petit Calibre (ALPC), dont 80% sont détenus par des civils selon le Small Arms Survey. La campagne « faire taire les armes » a permis d’apaiser les tensions, mais les conflits communautaires entre éleveurs et agriculteurs pour l’accès aux ressources persistent, les pratiques culturelles violentes et le vol de bétail armé restent également préoccupants.

La question militaire et la consolidation des allégeances devient un point majeur dans le développement de l’Afrique. C’est la raison pour laquelle, l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité (APSA) figure en bonne place dans l’agenda 2063 mais également dans son « plan décennal de mise en oeuvre ». Aujourd’hui dépendante de financements extérieurs à plus de 80%, provenant en partie de l’Union Européenne4, l’agenda permettrait également de réduire la participation d’acteurs exogènes.

Le financement du Plan Décennal

Avant d’atteindre les objectifs pour 2063, le plan décennal de l’agenda permet de mettre en place quelques bases fondamentales. L’agenda et la Mobilisation des Ressources Internes (MRI) précisent des secteurs prioritaires pour les financements. « La typologie des sources de financement pour les besoins des 10 premières années va de l’accroissement des budgets gouvernementaux aux prêts sous de forme de prise de participation et autres instruments de marché, IED, investissements de portefeuille par le secteur privé (dette, bons, participation au capital et autres valeurs) en passant par l’appel public de fonds à l’intention des programmes sociaux, le financement purement commercial provenant des sources publiques et privées, de l’épargne en parlant notamment des marchés intérieurs de capitaux, de prêts confessionnels, de prêts commerciaux aux conditions du marché ». La MRI contribuerait entre 75% et 90% du financement de l’agenda par pays au travers du renforcement de la mobilisation des ressources fiscales, de l’optimisation des rentes provenant des ressources naturelles (OGM, agriculture, tourisme, maritime), de la réduction du transfert illicite de fonds ou des inefficacités financières et du gaspillage. « Le reste de lAgenda 2063 sera financé à juste titre à travers les mécanismes externes de financement, notamment les investissements étrangers directs (IED), lAssistance Publique au Développement (APD), la coopération financière avec les nouveaux partenaires au développement tels que les pays BRIC, le monde arabe, etc. ; les IED, lesPublic-Private Partnerships (PPP) et les autres formes de partenariats dans linvestissement ; la mise à contribution des transferts de fonds et de l’épargne de la Diaspora et l’accès amélioré aux marchés internationaux de financement »5.

Le premier plan décennal de l’Agenda 2063 montre déjà des succès au travers de l’économie bleue, la lutte contre la corruption et la prévention des conflits. Dans un « e-mail du futur de la Présidente de la Commission »6, l’image de l’Afrique de 2063 se concrétise et prend vie. Après une description des premiers tâtonnements, c’est une description encourageante d’une économie unie et florissante qui émerge. La Présidente de la Commission Nkosazana Dlamini-Zuma nous permet d’imaginer le succès de la ZLEC et l’amélioration durable du niveau de vie continental, « l’agenda 2063 a relié et coordonné nos nombreux cadres nationaux et régionaux dans une dynamique de transformation continentale commune. La planification à l’horizon des 50 ans nous a permis de rêver, de penser de façon créative, et de devenir parfois fous comme la déclaré l’un des ministres qui a accueilli la retraite ministérielle 2014, en nous voyant franchir les obstacles immédiats.Ancré dans le panafricanisme et la Renaissance africaine, lAgenda 2063 a promu les valeurs de solidarité, de confiance en soi, de non-sexisme, dautonomie et de célébration de notre diversité ».

1 https://au.int/sites/default/files/newsevents/workingdocuments/34086-wd-papier_dae_stc_2018_mobilisation_des_ressources_domestiques_corruption_ffi_french.pdf

2 https://au.int/sites/default/files/documents/33126-doc-03_popular_version_book_french.pdf

3 https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/d%C3%A9cembre-2019-mars-2020/faire-taire-les-armes-en-afrique

4 https://op.europa.eu/webpub/eca/special-reports/apsa-20-2018/fr/

5 https://au.int/sites/default/files/documents/33126-doc-08_financing_agenda_10_year_plan_french.pdf

6 https://au.int/sites/default/files/documents/33126-doc-02_email_from_the_future_french.pdf