La guerre des métaux « rares » : la face cachée de la transition énergétique et numérique

Parmi les défis auxquels le monde fait face en ce début de XXIème siècle, la lutte contre le dérèglement climatique et ses conséquences représente aujourd’hui une préoccupation majeure pour la majorité des citoyens dans un nombre croissant de pays.

Par Pauline Le Roux

Après des décennies de travaux scientifiques démontrant l’impact dévastateur de l’utilisation massive de ressources minières hautement polluantes à l’échelle mondiale, ces études ont fini par susciter une prise de conscience de la nécessité d’adapter les modes de production vers des méthodes plus vertueuses, en particulier sur le plan social et environnemental. Cela a placé au premier plan l’importance de la transition énergétique. Aussi, au cours des trois dernières décennies, les ressources minières traditionnelles ont perdu de leur attrait au profit des « métaux rares », permettant l’essor des énergies renouvelables et de l’économie numérique. On estime que la part d’énergies renouvelables destinée à la production d’énergie, proche de 10% aujourd’hui à l’échelle mondiale, pourrait passer à 50% en 2050. Au cours des trois dernières décennies, bien que la consommation des ressources minières traditionnelles n’ait cessé d’augmenter à travers le monde, leur image s’est ainsi progressivement dégradée et certains Etats et entreprises ont commencé à leur préférer les « métaux rares », permettant l’essor des énergies renouvelables et de l’économie numérique.

Ces métaux, moins abondants que les métaux classiques et surtout plus difficiles à extraire, parfois plus chers, sont essentiels pour permettre l’utilisation des nouvelles technologies et énergies dites « propres ». Ces métaux rares sont au nombre d’une quarantaine (dont le cobalt, le tungstène, le lithium, le mercure, le tantale, le niobium) et produits en faible quantité (moins de 100 000 tonnes par an, selon le critère du BRGM, le Bureau français de Recherches géologiques et minières). C’est ce qui permet aux experts de conclure que la caractéristique principale de ces métaux réside davantage dans leur criticité (c’est-à-dire, le caractère essentiel et indispensable d’un composant) que dans leur rareté. En effet, ces métaux dits « rares » sont en réalité présents sur une grande partie de la planète, mais seuls certains pays se sont spécialisés dans leur extraction : l’Afrique du Sud (chrome), la République démocratique du Congo (cobalt), le Brésil (niobium), ou encore l’Australie, le Chili, la Bolivie et l’Argentine pour le lithium. Mais c’est surtout la Chine qui, en abritant l’essentiel des réserves de métaux rares et assurant une grande partie de leur extraction, est au cœur de la chaine de production. En particulier, elle assure à elle seule plus de 80% de la production mondiale des terres rares (une catégorie spécifique de 17 métaux). L’Union européenne (UE) estime qu’elle dépend à 97 % des approvisionnements extérieurs pour un groupe de 27 matières premières « critiques »1, et la Chine produit plus de 50 % de la moitié d’entre elles.

Une telle répartition ne va pas sans soulever des questions sur les enjeux d’une telle dépendance économique, qui peut se révéler dramatique – peu importe le domaine d’ailleurs, comme l’a tragiquement illustré la crise de la COVID-19 sur la production des masques. Sur le plan stratégique, une telle concentration de ressources ne peut que se révéler préjudiciable aux intérêts des pays de l’UE, les rendant vulnérables au chantage, à la compétition pour le partage de ressources et à d’autres dangers. D’après le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, en 2019, 450 incidents impliquant des infrastructures critiques européennes ont ainsi été recensés dans l’Union européenne, y compris dans les secteurs sensibles de la finance et de l’énergie.

Mais pourquoi une telle criticité de ces métaux ?

Téléphone, voiture électrique, énergies renouvelables (éoliennes et panneaux solaires)… Il est devenu impossible de se passer des appareils numériques dans notre quotidien. Si bien souvent, quelques milligrammes de l’un de ces métaux suffisent, les efforts déployés pour obtenir ces métaux – qui vont notamment impliquer de creuser profondément la roche – vont souvent générer de nombreuses externalités négatives pour l’environnement. C’est ce qu’explique Guillaume Pitron dans son enquête intitulée « La face cachée des énergies vertes » : « en s’engouffrant à toute vitesse dans la transition énergétique, les Etats favorisent l’essor de technologies dites « vertes », mais dont la fabrication s’avère en réalité très polluante et le recyclage compliqué, voire impossible. » La production de batteries électriques (qui contiennent notamment du cobalt, du lithium et du graphite, ce dernier étant produit aux deux tiers en Chine), comme dans le cas d’autres processus industriels (comme le raffinage et l’automobile) est ainsi réalisée dans des conditions dangereuses pour l’environnement. De même, si une voiture estampillée « zéro émission » émet effectivement moins de C02 qu’une classique, la production et la destruction de ce type de véhicules génère le rejet de déchets de métaux lourds très polluants. Pour Guillaume Pitron « les effets positifs d’une émission moindre de CO2 sont donc contrebalancés par des effets pervers, comme la sur-pollution entrainée non seulement dans le processus d’extraction de ces métaux, mais aussi dans les processus de destruction après leur utilisation. »

Le constat est là : partout dans le monde, la demande pour ces métaux ne cesse d’augmenter. Selon un rapport de l’Académie des Sciences et de l’Académie des technologies paru en mai 2018, les quantités de métaux rares ou critiques nécessaires pour satisfaire aux objectifs français de transition énergétique à l’horizon 2050 vont croitre de manière exponentielle. Le programme de véhicules électriques ferait ainsi appel à des quantités de lithium et de cobalt qui excèdent en l’état les productions mondiales actuelles, et ce uniquement pour répondre à la demande française…

Quelles alternatives pour un schéma plus vertueux ?

Alors qu’en France, la Convention Citoyenne pour le climat, qui a réuni 150 personnes tirées au sort pendant 9 mois en 2020, a tenté d’identifier des moyens concrets de réduire d’au moins 40 % par rapport à 1990 les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, la question de la pertinence écologique de l’emploi des énergies vertes se pose avec acuité.

En effet, comment protéger l’environnement en allant vers des modes de production de l’énergie moins gourmands en minerais polluants si la transition énergétique se révèle tout aussi peu durable ? De l’avis de Guillaume Pitron, plusieurs alternatives pourraient permettre, à défaut de supprimer totalement les effets négatifs de l’extraction et l’utilisation des métaux rares, au moins d’en atténuer la portée. Ainsi, « un effort supplémentaire devrait être mis sur le recyclage des métaux, et sur leur maintien le plus longtemps possible au sein des circuits de consommation. Cela nécessiterait d’investir davantage dans des techniques de recyclage. Dans le même esprit, la méthode de substitution, qui consiste à remplacer certains métaux rares par d’autres métaux pourrait permettre de se passer de certains d’entre eux, notamment ceux dont l’extraction est la plus problématique. »

Mais de l’avis d’autres experts experts comme Philippe Bihouix, ingénieur spécialiste de la finitude des ressources minières et auteur de L’âge des low tech, l’évolution des modes de consommation vers des objets moins gourmands en métaux rares sera la méthode la plus efficace pour limiter leur expansion. Concrètement, cela signifierait d’aller vers des objets « low tech » et des basses technologies, impliquant moins de métaux, moins de composants et moins de ressources de manière générale. Certaines entreprises s’y s’emploient déjà, en tentant de rendre plus transparente les chaines d’approvisionnement et de prolonger le plus possible la durée de vie des téléphones. C’est le cas de Fairphone, une entreprise basée aux Pays-Bas qui milite pour l’instauration de chaines de production respectant un schéma éthique et allant vers un électronique plus équitable. D’autres experts militent pour rapatrier l’extraction de métaux en France. Selon Guillaume Pitron, « cela impliquerait le développement d’une culture minière en France, aujourd’hui pratiquement inexistante. Les massifs français, de même que la Guyane et la Nouvelle-Calédonie, abriteraient de vastes gisements miniers stratégiques. » Mais toute exploitation de ces zones devrait se faire avec les plus grandes précautions, en étroite concertation avec les communautés locales et en employant des modes de production novateurs et éthiques, afin de prévenir au maximum l’apparition d’externalités négatives, à la fois sur le plan social et environnemental.

1DANINO-PERRAUD Raphael, “Face aux défis des métaux critiques, une approche stratégique du recyclage s’impose”, éditos de l’IFRI, 10 décembre 2018.