De faux marchands de rêves à la tête de réseaux de proxénètes – Au coeur du Nigéria

Véritable filière de traite d’êtres humains, les nigérianes représentent 80% des prostituées en Europe selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). Un engrenage dans lequel des mineures sont engluées au coeur de différentes emprises. Clément Sibony, Trésorier de l’association Mist explique : « Les filles sont seules, ne parlent pas français, et sont dans une situation précaire. Vient s’ajouter une violence physique des proxénètes, souvent des femmes appelées « Madames », et l’emprise spirituelle du « juju ». Sans compter la pression exercée sur les familles au Nigeria1 » qui bloquent la parole et les recours en justice. Retour sur une question humanitaire qui fait scandale depuis 2018 au sein même du Tribunal de Grande Instance de Paris au cours du procès des Authentic Sisters.

Par Catherine Convert

Des conditions inhumaines

Reçue sur le plateau de TV5Monde, Joy revient avec émotion sur les conditions de son « voyage » depuis le Niger. Agée de seulement 13 ans lors de son départ, elle était persuadée que son choix serait le bon pour sa famille. Apaisée par les explications des proxénètes, promettant des travaux rémunérés ou des opportunités d’études, elle découvre les vraies raisons de sa venue en Europe, trop tard. Les quelques jeunes filles ayant survécu après avoir été entassées dans une voiture, sans eau à travers le désert libyen, découvrent un nouveau nom et une nouvelle date de naissance dans un passeport confié par les proxénètes. Au cours de ce voyage, elles auront déjà été nombreuses à avoir été exploitées sexuellement en Libye, comme l’explique Simona Moscarelli, experte juridique à l’OIM « elles sont vraiment traitées comme des esclaves ». Le procureur en chef adjoint Argigente en Sicile, ayant mené la première investigation d’ampleur sur le sujet confirme : « les truands n’ont plus qu’à venir au camp et ramasser les filles. C’est aussi simple que d’aller au supermarché. Les centres d’accueil agissent comme une sorte d’entrepôt où ces filles sont stockées temporairement 2». Une fois arrivées en Europe, elles ont une nouvelle règle d’or : ne jamais admettre être mineure auprès des autorités. La maltraitance se poursuit alors au travers d’avortements forcés ou des violences des « mamas », les privant également de nourriture.

Une pression spirituelle

Lors du procès des Authentic Sisters intervenant en mai 2018, la parole éclate. Au travers d’un rituel intimidant se déroulant sur une terre spirituelle, la jeune fille, accompagnée d’un proche, jure fidélité à une complice du réseau ayant gagné leur confiance. La famille croit également en l’avenir que promet le réseau mais dans d’autres cas, il est déjà trop tard pour faire machine arrière à la suite de la cérémonie. Parfois, le trafiquant est un membre de la famille, comme le souligne un enquêteur de la Task Force Edo à Benin City3. « C’est un rituel vaudou avec un sacrifice de vache ou de coq dans un cimetière ou dans une église où il faut jurer de ne jamais parler à personne » se souvient Joy.

Les Mamas, seules figures de confiance en terre inconnue

La perte d’identité se solde par une dépendance accrue à leurs bourreaux. Au cours du rituel, elles promettent de rembourser une somme de plusieurs dizaines de milliers d’euros une fois arrivée, dont le cours et la valeur leur sont encore inconnus. Julia Rigal, chargée du pôle juridique dans l’association d’Équipes d’Action Contre le Proxénitisme explique : « la jeune fille apprend par la mama qu’elle va devoir se prostituer 4» pour rembourser cette somme. Une fois dans l’engrenage, les jeunes filles ont deux possibilités : devenir proxénète ou partir en remboursant le réseau. Pour Joy, cette somme s’élève à 30 000 euros.

Une difficulté d’enquête

Malgré le procès des Authentic Sisters de 2018, les réseaux nigérians restent actifs en raison de difficultés d’enquête avérées. Les trafiquants partent de Libye et empruntent différents itinéraires, limitant le traçage ou l’identification des différentes filières. Dans d’autres cas, la pression exercée sur les victimes les empêche d’avouer ou d’identifier des proxénètes suite aux menaces adressées à leur famille. Quand la jeune fille est en mesure de se confier, les pseudos utilisés par les proxénètes empêchent d’identifier les différents membres. Au Nigeria, le système judiciaire est ankylosé par la corruption et la lenteur des procédures, mais la prostitution est également perçue comme une alternative à la pauvreté environnante voire un « levier économique »5. La National Agency for the Prohibition of Trafficking in Persons nigérian (NAPTIP) explique que la prise de parole des victimes est essentielle dans les enquêtes pour le système judiciaire nigérien. Un haut responsable affirme « le récit ou les preuves des victimes sont essentiels à une condamnation réussie compte tenu de notre système judiciaire. Nous faisons de notre mieux pour les encourager à venir témoigner, mais nous ne pouvons pas les forcer ». Seulement 43 trafiquants ont été condamné par l’organe nigérian.6 

Quel soutien en France et en Europe ?

La loi française du 13 avril 2016 prévoit un plan d’aide pour les prostituées, le « parcours de sortie de la prostitution », donnant la possibilité d’obtenir un logement social, une aide médicale et des actions d’insertion. Cette loi s’applique également aux étrangères, pouvant bénéficier d’une carte de séjour de six mois. Cette aide est néanmoins limitée puisque de nombreux dossiers ne sont pas retenus malgré les faits exposés. Les Nigérianes demandent souvent l’asile, en raison des persécutions subies dans l’État d’Edo, mais l’OFPRA déplore une « instrumentalisation de la procédure d’asile par les réseaux de trafiquants »7, réduisant ainsi le nombre de dossiers acceptés. Parallèlement, l’Union européenne a créé une plateforme pour lutter contre la traite des êtres humains, s’apparentant à un vaste forum pour la société civile. Elle met en relation de nombreux acteurs et associations des États membres, engagés dans cette lutte, comme le Secours Catholique, coordonnant le collectif « ensemble contre la traite des êtres humains ». L’Organisation Internationale contre l’Esclavage moderne (OICEM) et le Comité contre l’esclavage moderne (CCEM) sont également actifs au sein de la plateforme. La Commission établit également un guide pour l’identification des victimes de la traite. En 2018, Myria Vassiliadou, coordinatrice européenne de la lutte contre la traite des êtres humains, félicitait les progrès issus de ces instruments mais regrettait la subsistance de ce crime au sein même de l’Union : « Nous disposons, au niveau de l’UE, d’une panoplie d’outils riches et pleinement opérationnelle afin de garantir qu’aucune victime ne reste invisible »8. 20 532 femmes, hommes et enfants ont été identifiés comme des victimes entre 2015 et 2016, un chiffre potentiellement inférieur à la réalité. De nombreuses améliorations notables, comme la coopération transfrontalière entre Europol et Eurojust permettent d’enregistrer de nouveaux succès bien que trop limités. La Commission souhaite alors étendre les priorités d’actions contre la traite d’êtres humains. Parmi elles : l’amélioration nécessaire de la collecte de données, une lutte efficace contre la culture de l’impunité étant donné que l’Union européenne dispose déjà d’un éventail de sanctions pour les personnes utilisant les victimes de ces réseaux, la promotion d’une réponse coordonnée en favorisant la coopération entre États membres et non-membres et enfin garantir l’accès des victimes à la justice afin qu’elles puissent prétendre à des indemnisations et des accompagnements adaptés.

Avec la crise sanitaire, les députés européens déplorent une augmentation et une intensification des traites d’êtres humains et ont débattu, le 8 février 2021, une révision de la directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes. Le rapport du 9 février 2021 souligne le nouvel impact des technologies dans l’anonymat des trafiquants, mais également le faible taux de poursuite et de condamnation des auteurs malgré des organisations criminelles connues et particulièrement actives9. Aussi, les députés invitent la commission européenne à renforcer les mesures actuelles.

Dans une étude du gouvernement britannique, il est par ailleurs fait mention que « devenir riche grâce à des activités illicites comme la prostitution est devenu socialement acceptable dans l’État d’Edo »10, de sorte que de nombreuses femmes retournant auprès de leur famille sombrent à nouveau dans la prostitution, malgré le travail des ONG les accompagnant dans leur réinsertion. Selon le fondateur de Pathfinders Justice Initiative, Evon Benson-Idahosa, « elles vous diront qu’elles n’ont pas le choix ici. C’est un environnement toxique où les femmes pensent que la prostitution est une alternative à la pauvreté ». Si certaines refusent de retourner en Libye suite au traitement qui leur est infligé, beaucoup restent confiantes à l’idée de commencer une nouvelle vie en Europe.

Les travaux européens et la révision de cette directive sur la traite des êtres humains font naître une nouvelle lueur despoir pour les victimes des ces trafics dont l’exploitation sexuelle demeure la forme la plus présente et la plus signalée dans lUnion européenne depuis 2008. Elle concerne 60% des victimes. 92% des victimes sont des femmes et des filles quand plus de 70% des auteurs de ce crime sont des hommes.

Un crime dont un quart des victimes sont des enfants…

 

1 « De Lagos à Paris, dans l’enger des réseaux nigérians », TV5Monde, 17 février 2021

2 https://madame.lefigaro.fr/societe/esclaves-sexuelles-prostitution-le-triste-sort-des-nigerianes-en-europe-080816-115756

3 https://fr.euronews.com/2020/06/23/maltraitees-en-libye-rapatriees-au-nigeria-elles-n-ont-d-autre-choix-que-la-prostitution

4 https://francais.rt.com/france/50535-scandale-prostitution-nigeriane-france-16-prevenus-devant-la-justice

5 https://ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/14._ofpra-cnda_rapport_de_mission_au_nigeria_du_9_au_21_septembre_2016.pdf

6 https://fr.euronews.com/2020/06/23/maltraitees-en-libye-rapatriees-au-nigeria-elles-n-ont-d-autre-choix-que-la-prostitution

7 Rapport d’activité OFPRA 2016, p. 61

8 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_18_6639

9 https://www.vie-publique.fr/en-bref/278567-parlement-ue-reviser-la-directive-sur-la-traite-des-etres-humains

10 « Country Policy and Information Note, Nigeria: trafficking of women », juillet 2019