Lutter contre la traite des êtres humains au Malawi

Considérée comme l’une des pires violations des droits de l’homme, la traite des êtres humains est pourtant une réalité répandue. Avec des revenus cumulés estimés à 150 milliards de dollars par an elle est l’une des entreprises criminelles ayant la croissance la plus rapide au monde, alimentée par les conflits, la pauvreté et l’aspiration à de meilleures conditions de vie par les victimes piégées. Au Malawi, où 50% des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté, la vulnérabilité de la population et le silence de certaines autorités ont permis au trafic de prospérer. Un fléau national qui pourrait, selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), s’accentuer en raison de l’obscurcissement des perspectives économiques suite à la pandémie de Covid-19.

Par Philipine Colle

Le Malawi, au cœur du trafic

Malgré des efforts de démocratisation et des réformes considérables pour soutenir sa croissance économique, le Malawi reste parmi les vingt pays les moins avancés du monde. Sa population très jeune est principalement rurale. 40% des Malawites ont moins de 18 ans. Autant de facteurs de vulnérabilité à la traite et au travail forcé dont ont été officiellement reconnues victimes 140 personnes dont 65 enfants en 20201. En quête d’un avenir meilleur que celui que laisse entrevoir la vie dans les villages, les victimes sont trompées par des trafiquants qui usent de leurs liens et de leur autorité au sein des communautés rurales dont ils sont principalement originaires. Les promesses d’emploi laissent alors place à l’exploitation. Les jeunes filles et jeunes femmes sont majoritairement vendues à des bars locaux, contraintes à la prostitution en échange d’une chambre et d’une pension alors que les hommes font face au travail forcé dans les plantations de tabac et les petites entreprises du sud du pays et des Etats d’Afrique australe comme la Zambie, le Mozambique ou l’Afrique du Sud.

Le camp de Dzaleka, illustration d’une réalité alarmante

Les trafiquants profitent de la misère des populations pour recruter leurs victimes, les camps de réfugiés situés au centre du pays représentent alors des lieux privilégiés pour la traite et l’exploitation. La situation est particulièrement préoccupante au sein du camp de Dzaleka, le plus grand du pays qui abrite plus de 48 000 réfugiés et demandeurs d’asile ayant fui, en 1994, le génocide, la violence et les guerres au Burundi, au Rwanda et en République démocratique du Congo. Des exactions ont été détectées au sein même du camp où des réfugiés sont forcés de travailler ou de se prostituer afin de rembourser des dettes inventées par leurs bourreaux sous de faux prétextes. Le camp est également un point de transit pour les victimes de la traite recrutées dans des pays voisins avant d’être transférées dans les villes les plus proches. Depuis décembre 2020, trente Ethiopiens vivant dans le camp ont ainsi été soustraits à l’influence de deux ressortissants Malawites suite à une action de prévention et de sensibilisation du personnel du camp. En supplément du renforcement des systèmes de sécurité aux points de passage aux frontières et autour du camp, la formation des travailleurs est essentielle pour permettre l’identification rapide des personnes vulnérables et des situations d’esclavage. En ce mois d’avril, un protocole de lutte contre la traite d’êtres humains dans ce camp a été lancé par l’ONUDC, en collaboration avec le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR), l’Organisation internationale des Nations Unies pour les migrations (OIM) et le ministère de la Sécurité intérieure du Malawi afin de pallier au manque de moyens destinés à la lutte contre ce fléau.

Un premier pas législatif qui cache des lenteurs

Les efforts déployés dans le camp de Dzaleka sont aujourd’hui possibles en raison des évolutions législatives qu’a récemment connu le pays. Signataire du protocole additionnel à la Convention de Palerme relatif à la traite des personnes depuis 2005, le Malawi a promulgué le Trafficking in Persons Act (TIP) en 2015. Cette loi criminalise l’exploitation sexuelle, l’esclavage, la servitude, et le travail forcé et prévoit des peines allant jusqu’à 14 ans d’emprisonnement pour les exactions impliquant une victime adulte et jusqu’à 21 ans d’emprisonnement pour les crimes commis envers des enfants. La création d’un Fond pour la traite des personnes (TIPF) permettant le soutien financier des victimes et la prise en charge des frais liés aux démarches judiciaires est également prévu par le TIP. Un premier pas difficilement mis en action en raison de la pauvreté endémique du pays entraînant un déficit de financement des programmes de lutte. « Les victimes prises en charge par les ONG doivent être nourries, transportées et logées, mais il n’y a pas assez de fonds dans le TIPF. Ce dernier est vide, il n’y a pas non plus de lieux d’hébergements pour assurer la sécurité des victimes » explique Caleb Thole, coordinateur national pour la coalition d’ONG Malawi Network Against Trafficking2.

Le combat contre la traite fait également face à l’immobilisme et au laxisme de certains acteurs de la lutte soupçonnés parfois de complicité. « Les tribunaux continuent d’appliquer la loi avec légèreté et en faveur des contrevenants. Nous enregistrons un nombre croissant d’affaires dont les accusés ont été condamnés à des peines avec sursis » déplorait Maxwell Matewere, Expert malawite en prévention de la criminalité auprès de l’ONUDC. Une bienveillance institutionnelle envers les trafiquants illustrée tristement par le transfert dans une zone reculée du pays d’un policier ayant dénoncé l’implication d’agents de l’immigration dans l’exploitation de femmes népalaises. Il en est notamment fait état dans le rapport sur la traite en 2020 émanant du Département d’Etat des Etats-Unis3.

Le poids de la tradition et l’importance d’agir au sein des communautés

La loi de 2015 sur la traite des personnes prévoit une participation accrue des individus et des communautés à la prévention du trafic des êtres humains. Les chefs communautaires on un grand pouvoir sur les changements de comportements dans les villages. « Le bastion du changement le plus difficile à ébranler reste la pratique culturelle et traditionnelle » déclare Theresa Kachindamoto, Cheffe traditionnelle dans le district du district de Dedza. Alors que les traditions peuvent être un frein à l’élimination des pratiques d’exploitation, notamment sexuelle, les chefs de village ont le pouvoir de faire changer les coutumes. La cheffe traditionnelle qui exerce à ce titre une autorité informelle sur plus de 900 000 personnes estime que la culture n’est pas statique et quelle représente un levier de promotion de l’éducation des filles, mais aussi des garçons afin lutter contre la traite d’enfants en vue de l’organisation de mariages précoces. Près de 1000 enfants ont ainsi été sauvé d’une union forcée dans le district.

La mise en place d’une police communautaire est un élément phare des mesures prises par les autorités malawites dans la lutte contre la traite d’êtres humains. Des volontaires sont recrutés dans différentes communautés pour former des groupes de détection et d’alerte. Pour James Kadadzera, Porte-parole national de la police « Ce sont nos yeux dans des endroits où nous ne sommes pas présents. Ils complètent les efforts de nos enquêteurs et ils sensibilisent les autres membres de la communauté. » L’arrestation, en août 2020, de deux trafiquants malawites qui venaient de traverser la frontière avec 31 personnes, dont 17 enfants, qu’ils avaient contraints de quitter leur village du district de Lilongwe en leur promettant des emplois dans des domaines agricoles du Mozambique voisin en est l’illustration. Le trafic avait été dénoncé à la police par des membres de la communauté d’appartenance des victimes. Impliquer les communautés dans les actions de lutte contre la traite des êtres humains et accentuer la sensibilisation permet d’éviter le développement de filières locales et ainsi d’endiguer le phénomène à sa source.

Des efforts de sensibilisation et de communication sont prévues dans le plan d’action national de lutte contre la traite 2017-2022. Ils contribueront à sauver des vies et à rendre leur liberté et leur dignité humaine à de nombreuses personnes encore exploitées silencieusement, faisant à terme sortir le Malawi de la liste des pays ne se conformant pas aux objectifs internationaux de respect des droits de l’Homme.

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1 Source : Département d’Etat des Etats-Unis, https://www.state.gov/reports/2020-trafficking-in-persons-report/malawi/

3 Source : Département d’Etat des Etats-Unis, https://www.state.gov/reports/2020-trafficking-in-persons-report/malawi/