Esclavage sexuel par Daesh : une arme de destruction identitaire

« Je souhaite madresser à vous du fond de mon cœur et vous rappeler comment le cours de mon existence et la vie de toute la communauté yézidie ont changé à la suite de ce génocide, et comment Daech a tenté d’exterminer une des composantes de lIrak en enlevant ses femmes, en tuant ses hommes et en détruisant ses lieux de pèlerinage et de culte » clamait Nadia Murad lors de son discours pour la remise du prix Nobel en 20181. En 2014, les femmes yézidies ont souffert d’une triple peine : celle de la destruction psychologique, physique et identitaire.

Par Catherine Convert

Des hommes et des femmes de Daesh en cause

En août 2014, les monts du Sinjar, sont dans la tourmente. Les hommes, les femmes et les enfants sont pris pour cible. À 17 ans, une jeune fille capturée et vendue plus de huit fois par les combattants se souvient des propos tenus par un combattant de Daesh : « les enfants sont jeunes : ils sont comme des animaux. On peut les changer. Toi tu es adulte, on ne pourra pas changer ton esprit »2. Les hommes et les garçons de plus de 12 ans refusant de se convertir sont tués, et les femmes vendues sur le marché. Vitit Muntarbhorn, membre de la Commission d’enquête, déclare : « Les victimes qui se sont échappées des griffes de Daesh en Syrie décrivent comment elles ont enduré des viols brutaux, souvent sur une base quotidienne, et comment, quand elles ont essayé de s’échapper, elles ont été violemment battues et parfois soumises à des viols collectifs »3. Dans ces crimes, les femmes de Daesh tenaient un rôle tout aussi destructeur, entre humiliation et sévices corporelles. « Actes de génocide, crimes contre lhumanité, viols collectifs, crimes, tortures et conversion religieuse forcée : les femmes de lEI ont adhéré et contribué aux faits les plus atroces. Dans de nombreux cas, c’étaient les femmes de lEI qui maintenaient prisonnières les yézidies. Certaines leur faisaient prendre une douche, leur donnaient des vêtements et des produits de maquillage avant quelles ne soient violées » précise Pari Ibrahim, fondatrice de la fondation Free Yezidi4.

Une stratégie destructrice

Selon la commission d’enquête des Nations Unies, Daesh s’est employé à détruire les Yézidis en détournant les femmes de leurs familles et de leurs traditions. Dans les moeurs de cette communauté, les femmes doivent épouser et avoir des enfants avec des hommes de leur confession religieuse et appartenant à la communauté yézidie. Les combattants de Daesh étaient donc à la fois à l’origine d’un traumatisme psychologique et physique mais représentaient une rupture définitive des femmes avec leur communauté, qui se considéraient comme impures ou indignes. Selon la tradition, les femmes yézidies nont pas le droit davoir des relations sexuelles avec un homme non yézidi au risque d’une peine de mort. Néanmoins les autorités religieuses ont fermé les yeux sur l’esclavage sexuel des femmes. Elles ont été épargnées et les autorités ont aussi souhaité les élever au rang de saintes. Pour autant, le problème des enfants nés des viols de femmes yézidies persiste, ils sont rejetés par la communauté dans le nord de lIrak et rejetés par le Conseil spirituel suprême de la minorité.

Al-Sabi et Djihad

La pratique Al-Sabi établit le traitement accordé aux femmes de non croyants. En octobre 2014, le Diwan Al-Iftaa wa Al-Buhuth – le service de recherche et de publication de la Fatwa de l’État islamique – publie un livret : « Règles du Créateur sur la capture et l’asservissement de prisonnières », visant à créer différentes règles et justification fondamentales dans la pratique de l’esclavage. Il y est fait mention du traitement envers les incroyants ne bénéficiant pas du statut dhimmi, décrivant un habitant non musulman dans un État sous gouvernance musulmane. Les biens et les vies de ces non croyants sont soumis au pillage s’ils refusent la conversion à l’islam, s’ils ne paient pas la jizya ou vont à l’encontre des règles de la Charia. Ainsi, les femmes et leurs enfants peuvent être capturés. Le livret mentionne également l’interdiction de l’esclavage de femmes et d’hommes musulmans, puisque le seul motif de réduction à l’esclavage ne peut être que la non-croyance. L’asservissement de femmes d’incroyants n’est permis que par le Djihad.

Soutien aux rescapées

De nombreuses aides ont été apportées pour ces femmes, notamment par Vian Dakhil. Députée emblématique et engagée dans le combat des femmes yézidies, elle rachète les prisonnières pour environ 4 000 ou 6 000 dollars par tête. Une aide détectée par l’État Islamique, qui la considère comme « une cible à abattre »5.

Nadia Murad fonde également une initiative visant à reconstruire les femmes victimes d’esclavage tout en finançant de nouveaux projets et infrastructures au Sinjar, lui aussi détruit par les opérations de Daesh. L’association met un point d’honneur sur la santé et l’hygiène, l’éducation, la sécurité, la justice et l’économie du Sinjar6.

La Commission pour l’investigation et le rassemblement de preuves (Commission for investigation & gathering evidence) au Kurdistan irakien enquête actuellement sur le génocide des yézidis. Ils restent néanmoins dans l’attente qu’un tribunal international agisse, avec plus de 3000 dossiers permettant de donner un nom aux martyrs des yézidis, grâce aux témoignages des femmes, se rappelant des noms de leurs ravisseurs. Aujourd’hui l’Irak est face à un vide juridique, où les tribunaux ad hoc tardent.

La commission se charge également de l’enregistrement de toutes les rescapées dans le bureau de sauvetage, mais elles ont besoin d’aide pour démarrer une nouvelle vie. C’est l’objectif de l’Initiative de Nadia Murad. Nahla, 16 ans, se confie : « Après être retournée à l’école, les choses sont devenues plus normales et je me suis sentie mieux. L’école est indispensable pour avoir un avenir »7.

De nouvelles perspectives

Pour que l’espoir resurgisse au coeur d’une population meurtrie, de nombreuses actions permettent aux yézidis de retrouver confiance et fierté d’appartenir à leur propre ethnie. Le New hope centre of Iraq et la Nadia’s initiative montrent cette volonté de reconstruction, parallèlement à la réhabilitation progressive du mont Sinjar.

Du 17 au 27 février, Amnesty International s’est rendue dans le Kurdistan irakien pour interroger d’anciennes victimes. Matt Wells affirmait : « À l’approche du sixième anniversaire de l’offensive de lEI contre les Yézidis, les autorités irakiennes et la communauté internationale doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour garantir des réparations pleines et entières pour les violations des droits de ces enfants et leur offrir tout le soutien auquel ils ont droit »8.

Certaines victimes ont trouvé refuge en Europe, en Allemagne notamment. Elles bénéficient d’une aide pour l’apprentissage de la langue, mais aussi d’un nouveau regard sur les outils numériques perçus comme néfaste alors que l’État islamique les utilisait pour leur propagande et campagne de recrutement. Dans un centre en Irak, les jeunes filles apprennent ainsi l’anglais via Skype, et se familiarise avec les nombreuses opportunités de ces outils.

L’éducation et le rétablissement de la confiance sont ainsi les clés de voûte pour accompagner les jeunes yézidies sur le chemin de la reconstruction, au sein d’une société solidaire et inclusive.

1 https://www.nobelprize.org/prizes/peace/2018/murad/55710-nadia-murad-nobel-lecture-3/