Mariages précoces et forcés, l’avenir volé

Tenter d’endiguer la « pandémie de l’ombre », voilà l’objectif que s’est fixée la Troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles en adoptant en novembre dernier un projet de résolution sur les mariages d’enfants, précoces et forcés. Présenté par le Canada et la Zambie et co-parrainé par 114 pays, le texte exhorte la communauté internationale à agir concrètement contre un phénomène mal connu, parfois considéré comme appartenant au passé et pourtant dramatiquement actuel.

Par Philipine Colle

Une jeunesse sacrifiée

Un enfant de moins de 15 ans est marié toutes les sept secondes dans le monde. Selon l’UNICEF, 12 millions de jeunes filles sont mariées avant leur majorité tous les ans provoquant une crise humanitaire larvée. « Le mariage d’enfants est une violation des droits de la personne et constitue un obstacle majeur à l’épanouissement des femmes et des filles. Trop souvent, il entraîne la fin de leur scolarisation et des complications de santé, retards de croissance, maternités précoces et morts infantiles, en plus de les exposer à un risque accru de discrimination et de violence » alertait François-Philippe Champagne, le Ministre canadien des affaires étrangères et du développement international à l’origine du projet onusien de résolution. La prévalence des mariages concernant des petites filles ne doit pas faire oublier la dure réalité de la situation qui touche également les garçons. L’UNICEF dénombre ainsi 15 millions de garçons et d’hommes qui auraient été mariés durant leur enfance à travers le monde, dont 23 millions avant l’âge de 15 ans. Touchant les jeunes les plus vulnérables, issus de familles souvent pauvres et rurales qui voient dans les unions une ultime opportunité financière, les mariages précoces participent à la reproduction sociale et au maintien dans un cercle de pauvreté. Selon la Banque Mondiale le mariage forcé est une cause de ralentissement du développement en Afrique. Le continent qui compte 4 millions d’unions non désirées par an est le plus touché par le phénomène avec une surreprésentation au Soudan et au Yémen où elles représentent respectivement 34% et 32% des unions1. Les enfants privés d’une éducation de qualité, voient leurs rêves d’avenir professionnel s’envoler, ce qui amputent à long terme leur pays d’une force de travail et des activités économiques pourvoyeuses de développement qui y sont liées.

Si le nombre de mariages forcés avait connu une baisse encourageante de 15% en Afrique lors de la dernière décennie, les mesures de lutte contre la propagation de la pandémie de Covid-19 comme ses conséquences financières pourraient briser la dynamique vertueuse. Le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) prévoit que la crise sanitaire entraînera 13 millions de cas supplémentaires de mariages d’enfants, précoces et forcés dans le monde qui, autrement, auraient été évités d’ici 2030.

Des combats au-delà de la promulgation de lois

Si la situation est critique partout dans le monde, l’élan en faveur de la lutte contre le mariage d’enfants n’a jamais été aussi puissant. Ces dernières années de nombreux pays ont consenti des efforts législatifs afin d’interdire les mariages d’enfants, précoces et forcés. En 2016 une limite d’âge pour les unions était fixée à 18 ans en Tanzanie et en Gambie. L’année suivante des lois similaires étaient adoptées au Malawi, en République Dominicaine, au Honduras, au Salvador ou encore au Guatemala. Une vague législative qui atteint l’Indonésie en 2018 où une décision de la Cour constitutionnelle ordonne aux législateurs de relever à 19 ans l’âge minimal des filles pour se marier afin d’instaurer une égalité avec la loi s’appliquant aux jeunes hommes. Un premier pas a également été fait au Brésil où un âge légal a été fixé à 16 ans en 2019. Les Etats-Unis font alors figure de grand absent dans la liste des pays actifs dans la lutte contre le mariage des enfants sur leur territoire. En effet, une tolérance existe sur accord parental pour le mariage de mineurs. Il est ainsi possible d’unir des jeunes âgés d’à peine 14 ans dans l’Etat de New-York et 12 ans dans les Etats du Maryland et du Massachussetts !

Bien que porteur d’espoir, cet élan législatif ne peut pas, seul, endiguer le phénomène des mariages et ses conséquences dramatiques. Même lorsqu’un solide cadre juridique est en place, son application est souvent déficiente en raison d’un manque de connaissance et de formation adéquates pour que les forces de l’ordre puissent assurer une compréhension des lois et leur application. L’acceptation sociale généralisée du mariage des enfants au sein des communautés où il est pratiqué est également un frein majeur aux évolutions. Au Bangladesh, où 65% des filles sont mariées avant 18 ans dont 29% avant 15 ans et 2% avant 10 ans, le mariage d’enfants est pourtant rendu illégal depuis 1929 ! Au-delà de la loi c’est donc bien vers l‘information, l’éducation et le soutien financier des plus vulnérables que le combat s’oriente. Dans le cadre du programme mondial lancé par l’UNICEF et UNFPA en 2016 dans les 12 pays dans lesquels la prévalence des mariages d’enfants était la plus élevée, une campagne de communication visant à faire changer les mentalités, diffusée à travers la télévision, la radio et les médias sociaux, a touché plus de 190 millions de personnes au Bengladesh. Dans les régions où les traditions sont prégnantes comme en Sierra Leone et au Burkina Faso, les communautés locales ont été mises à contribution afin de lutter contre les grossesses d’adolescentes et les mariages forcés et précoces en soutenant la scolarisation et l’autonomisation des jeunes par le financement de bourses et la mise à disposition de vélos. 5000 filles ont ainsi été rescolarisées en Sierra Leone depuis 2016. Au Malawi, Theresa Kachindamoto, cheffe traditionnelle du district du Dedza a usé de son influence pour anticiper les avancées législatives nationales et implanter des lois locales interdisant les unions concernant des mineurs. Elle a ainsi fait interdire toute nouvelle union d’enfants au sein de sa communauté, démis de leur fonctions les chefs de villages ne voulant pas appliquer cette règle et annulé plus de 3500 mariages précoces préalables à son arrivée renvoyant les enfants sur les bancs de l’école. Sa devise : « Eduquez une fille et vous éduquez toute une région… Vous éduquez le monde« .

La dynamique de progrès en marche localement devra être considérablement accélérée. Sans cela, près de 130 millions de filles supplémentaires se marieront sans leur consentement avant leurs 18 ans, éloignant, un peu plus, le monde des objectifs de développement durable fixés par l’ONU à lhorizon 2030.


1 Source : Rapport d’information, Sénat 2019. https://www.senat.fr/rap/r18-262/r18-262_mono.html