L’Europe, une région stimulante, avide de projets

La Commission européenne s’attèle à une stratégie de transformation numérique pour « façonner l’avenir numérique de l’Europe ». Elle mise sur trois piliers : une technologie au service des personnes, une économie numérique juste et compétitive et enfin, une société ouverte, démocratique et durable. Dans cette perspective, certains États européens se démarquent et sont prêts à prendre ce nouveau tournant décisif.

Par Estelle Alexandre

Des stratégies commerciales dynamiques

La transition s’enclenche et les opportunités commerciales se diversifient en Pologne, au Royaume-Uni, en Ukraine ou encore aux Pays-Bas. Ce dernier, premier hub numérique en Europe par sa couverture en haut débit et la forte présence de data center, représente un marché intéressant pour les services numériques. 96% des consommateurs ont recours au commerce en ligne et 3 Néerlandais sur 5 seraient clients d’une plateforme numérique. Les Pays-Bas se différencient par leurs hubs « software » qui permettent de concentrer les emplois dans le développement d’applications et se forgent une renommée mondiale comme Booking, Ayden, WeTransfer ou Mollie. En 2015, la ville d’Eindhoven figurait parmi les villes les plus inventives du monde avec 22,6 brevets pour 100 000 habitants. Le pays attire des géants étrangers, qui n’hésitent pas à placer leurs sièges régionaux aux Pays-Bas. Parmi eux Netflix, Bird, Uber, Microsoft, Cisco ou encore Huawei qui y sont positionnés pour leurs opérations dans la région Europe, Moyen-Orient et Afrique. Fort de cette exposition, le gouvernement néerlandais promeut un écosystème numérique compétitif en encourageant le développement de l’Intelligence artificielle. Les Pays-Bas sont aussi porteurs de projets concourants à la transition énergétique et écologique en se dotant en janvier 2020 d’un fonds d’investissement à capitaux publics InvestNDL pour encourager les start-up les plus prometteuses. L’initiative « SME : Digital » a permis de rassembler 25 millions de couronnes danoises pour 2020-2021, soit près de 3 millions d’euros. Une somme intégrée dans la stratégie nationale de croissance numérique pour 2018-2025, comprenant 38 initiatives et mobilisant 134 millions d’euros1.

Autre marché porteur, celui du Royaume-Uni. Par le financement de la 5G dans le métro de Séoul, le gouvernement britannique appelle les entreprises souhaitant offrir des services et contenus à participer à un système d’enchères pour attirer des investissements coréens tout en créant de nouvelles opportunités pour les entreprises britanniques. Le UK’s 5G Testbed + Trials Program permettrait de développer de nouveaux services 5G à une échelle nationale et internationale. À Londres, le hub technologique composé d’entreprises indiennes et britanniques permettra d’investir dans de nouvelles start-up spécialisées dans la Fintech, l’intelligence artificielle, la blockchain et les villes intelligentes.2 Le gouvernement aurait alloué un budget de 450 millions de livres sterling, soit environ 515 millions d’euros pour sa transition numérique.3

La Pologne quant à elle cherche encore à faire ses preuves. Consciente de ses lacunes, elle empreinte néanmoins la voie de la modernisation. Parmi les secteurs porteurs identifiés, le Cloud Computing et la cybersécurité devraient connaître un réel essor. Malgré les craintes des entrepreneurs ou des incertitudes concernant la conformité avec la législation, le marché du cloud pourrait atteindre en 2021 une valeur de 412 milliards de dollars contre 200 milliards en 2017. La Pologne accélère également la transition vers une industrie 4.0, qui devrait se traduire par des investissements considérables, de l’ordre de 23 milliards d’euros. L’Union européenne a considérablement épaulé cette transition via le Programme opérationnel Pologne Numérique 2014-2020, un fonds qui a permis de lever 2,17 milliards d’euros pour améliorer la connectivité du pays, les e-services de l’administration publique et le développement des compétences numériques des personnes en proie à l’exclusion numérique.4

Une rénovation du secteur public

En Europe, les avancées technologiques commencent déjà à profiter aux citoyens de façon généralisée, allant des procédures administratives et juridiques au secteur de la santé.

Au Danemark, la création d’une identité numérique au travers du service NemID permet aux citoyens d’accéder à une grande partie des services de l’administration5. Cette initiative, lancée en 2008 a été promue par une coopération étroite avec les sociétés IT-og Telestyrelsen et DanID A/S.

Pour façonner la société de demain, ce sont la santé et l’action publique qui devront faire le grand saut. Assimilés de près à la notion d’État providence, leur innovation présente de nombreux enjeux. Comme le mentionne le rapport de Renaissance Numérique, le Danemark possède toutes les ressources pour offrir des services publics hautement personnalisés pour l’usager, mais les capacités technologiques sont souvent freinées par les réticences du public, quand des services publics personnalisés peuvent mener à un sentiment de surveillance.

En France, le gouvernement mise sur le plan Action publique 2022, pour une dématérialisation complète des démarches administratives. Selon le baromètre de Sopra Steria Next sur la digitalisation des services publics, 75% des Européens interrogés trouvent que les services publics sont de plus en plus numérisés dont 86% en France. Une numérisation plus importante et bien perçue : 90% des Italiens et 87% des Français interrogés pensent qu’elle permettra de lutter contre la fraude et près de 80% de faciliter la vie des citoyens.6 La France est donc bien positionnée dans la modernisation de son service public : « beta.gouv.fr a décontribué à la création de dizaines de services numériques disponibles ou à venir. Nous animons une communauté en croissance qui construit les services publics numériques de demain au sein dun réseau dincubateurs publics partageant les mêmes valeurs »7 précise la plateforme.

Le Danemark se distingue encore avec sa plateforme de santé sundhed.dk, lui conférant la première place dans le classement mondial pour l’utilisation de technologies en milieu hospitalier. La plateforme a pu se développer en intégrant la valeur des données qu’elle exploite, et en leur assurant une protection de premier plan. Morten Elbaek Petersen, directeur de la plateforme, souligne que le niveau de sécurité va « au-delà des préconisations de lagence de cybersécurité nationale danoise ».8

Droits numériques et inclusion sociale

L’inclusion et l’acceptabilité du numérique par la population sont essentielles pour bâtir un avenir numérique durable. La France et l’Espagne en ont fait des points centraux de leurs politiques numériques. L’agence Nationale de la Cohésion des territoires (ANCT) du gouvernement français lance les programmes France Très haut débit et France mobile afin que « tous les Français disposent d’un accès Internet de qualité, par la généralisation du Très Haut débit et la couverture 4G ». Des programmes complétés par l’initiative Société numérique de l’ANCT, permettant de former des Français « éloignés des usages du numérique »9 à de nouvelles compétences et à de nouveaux métiers.

En Espagne, ce sont les ministères de la Transformation numérique et de l’Économie qui portent ce sujet. Des groupes de travail sur une croissance équitable devraient permettre de guider et conseiller les politiques au cours de cette transition pour inclure chaque citoyen dans la digitalisation de lEspagne. « Si nous voulons aborder de manière significative les formes nouvelles et existantes de fractures numériques, nous devons d’abord être en mesure de les quantifier – ainsi que de surveiller les efforts visant à combler ces lacunes. Pour que les technologies numériques deviennent des catalyseurs plus inclusifs de l’autonomisation des citoyens, un nouvel ensemble de mesures convenues pour l’inclusion numérique et des approches mises à jour et systématiques de l’alphabétisation numérique sont nécessaires »10 témoigne Gerd Leonhard, futuriste, auteur de Technology vs Humanity, directeur général de The Future Agency.

« L’Internet peut être un catalyseur des droits de l’Homme et un moteur du bien. Malheureusement, Internet ne garantit pas encore lordre international tel qu’énoncé à l’article 28 de la DUDH, mais ce serait lobjectif ultime de lIRPC et celui de tant de défenseurs des droits de lHomme dans le monde. Des années passées à privilégier le profit par rapport aux droits des personnes et à utiliser un modèle commercial basé sur la surveillance plutôt que sur la protection de la vie privée dès la conception, les grandes technologies ont pu récolter d’énormes quantités de données sur les internautes avec un minimum ou sans consentement. Il est urgent de rétablir la confiance et cela ne peut être atteint que grâce à une plus grande responsabilité et transparence de la part des gouvernements et du secteur privé pour empêcher de nouvelles violations des droits de l’Homme en ligne11 » explique Minda Moreira, coprésidente de la Coalition des droits et principes de l’Internet (IRPC) et membre du Forum des Nations Unies sur la gouvernance de l’Internet.

4 https://www.businessfrance-tech.fr/2018/09/24/numerisation-des-entreprises-en-pologne-entre-les-lacunes-daujourdhui-et-les-opportunites-de-lendemain/

6 https://labo.societenumerique.gouv.fr/2020/02/25/pour-62-des-europeens-interroges-et-69-des-francais-les-services-numeriques-des-administrations-sont-de-plus-en-plus-faciles-a-utiliser/

7https://beta.gouv.fr/approche/

10 https://digitalfuturesociety.com/public-innovation-copy/

11 https://digitalfuturesociety.com/qanda/fair-societies-need-digital-rights-by-minda-moreira-co-chair-of-the-internet-rights-and-principles-coalition/