Cloud européen : le rêve peut-il devenir réalité ?

La notion de « souveraineté » est en vogue dans bien des domaines et le numérique ny échappe pas. Seulement, si les frontières dun pays suffisent parfois à permettre le plein épanouissement de ce concept, ce nest nullement le cas pour le numérique qui, par sa nature même, oblige à traiter les choses sous une certaine dimension. Cest tout le défi de GAIA-X qui veut simposer comme une solution européenne de Cloud, alternative aux cloud providers américains et chinois, à la fois crédible et respectueuse de la législation de lUnion.

Par Sarah Pineau

Du cloud souverain au cloud de confiance : retour à la réalité

Initiative franco-allemande annoncée en 2019 et lancée officiellement par les ministres français et allemand de lEconomie et des Finances, Bruno Le Maire et Peter Altmaier, la plateforme de stockage de données GAIA-X n’attend plus que son acte de naissance, prévu au premier semestre 2021, ou plus précisément la validation par décret royal des statuts de lassociations déposés en Belgique. A lorigine du projet : 22 entreprises, moitié allemandes, moitié françaises. De fil en aiguille la plateforme a su convaincre de sa pertinence et peut aujourdhui se targuer de réunir 180 membres. L’initiative intègre désormais « tous les fournisseurs de cloud au niveau mondial, mais aussi toute une série dutilisateurs dans de grands domaines comme la finance, l’énergie, la santé, lindustrie 4.0 ou la mobilité » détaille ainsi Hubert Tardieu, PDG par intérim de lassociation GAIA-X. Les fondateurs ont su tirer profit des échecs passé: feu le cloud souverain, longue vie au « cloud de confiance », pour reprendre les termes de Bruno Le Maire. L’échec cuisant du projet Andromède dont les deux émanations, Numergy dun côté, Cloudwatt de lautre ont respectivement disparu en 2017 et 2020 en ne générant au total quune dizaine de millions deuros de recettes est encore dans toutes les têtes, côté français au moinsInitialement pourtant, chacun des deux cloud avait été valorisé à hauteur de 225 millions deuros1. Les causes de l’échec sont connues, la principale étant « davoir voulu construire une nouvelle infrastructure alors que le marché européen était déjà saturé entre OVH, Scaleway, 1and1… » indique ainsi Raphaël Marichez, CSO chez Palo Alto Networks et précédemment chef du réseau interministériel de lEtat. Pour GAIA-X, il est beaucoup plus optimiste : « Le projet sest bâti en partant du besoin des entreprises d’être en conformité avec la législation européenne en matière de protection des données. Cest une démarche beaucoup plus pragmatique qui, certes, bénéficie du soutien public, les ministres allemand et français concernés ayant fait une déclaration en ce sens, mais qui est avant tout une initiative privée en phase avec les attentes et besoins du marché ». Doù le terme également utilisé pour cette plateforme : « cloud stratégique ». Concrètement, le projet prendra la forme d’une entité de gouvernance qui édictera de grands principes de sécurité, d’interopérabilité et de portabilité des données. Ensuite, plusieurs entreprises pourront proposer leur offre de service compatible avec GAIA-X.

Cap sur lavenir

« Il faut avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsquon les poursuit » (O. Wilde).

Certains esprits chagrins regrettent que GAIA-X se soit ouvert à des acteurs non européens : en effet des membres des GAFAM et des BATX ont rejoint le projet. A y regarder de près, cet attrait des acteurs de la tech mondiale pour la plate-forme européenne est plutôt bon signe : sils sy intéressent, cest quils en saisissent les enjeux et lutilité, et reconnaissent la légitimité, à tout le moins lexistence, dune exception numérique européenne appelée à devenir une référence aussi reconnue que celle des géants actuellement omniprésents (et omnipotents). En outre, le conseil d’administration de GAIA-X ne pourra être composé que dorganisations ayant leur siège mondial en Europe, un « garde-fou solide » souligne Raphaël Marichez. Lambition de GAIA-X est donc simple : concilier sécurité, innovation et compétitivité. Un doux rêve, en passe de devenir réalité. Ainsi, Olivier Senot, Digital Innovation Officer chez Docaposte, un des membres fondateurs de GAIA-X, décrit « un projet innovant européen majeur qui transformera le business du XXIe siècle » en tant que « mouvement de mutation alliant la puissance dun réseau fédéré à la qualité des applicatifs ». Si Docaposte fait partie de laventure cest quelle sinscrit « dans le prolongement des valeurs de confiance que porte Docaposte. »

Aspirations similaires du côté dOutscale, autre membre fondateur : « L’Europe ambitionne de donner aux entreprises européennes les moyens à la fois d’un recours plus massif au cloud et d’une exploitation du potentiel informationnel des données industrielles. Outre le développement de l’économie européenne, la politique de l’UE vise également à rétablir un équilibre dans un marché très fortement monopolisé par les GAFAM, en faisant émerger les offres d’acteurs européens et en renforçant l’autonomie numérique de l’Europe »… Défis que GAIA-X entend bien relever.

Tout ceci est fort prometteur pour lavenir, notamment pour l’épanouissement de projets à forts enjeux de souveraineté européenne. Outscale est ainsi à l’origine, avec CS Group, d’un groupe de travail composé dune dizaine de partenaires européens autour de la donnée spatiale et qui se réjouit de pouvoir bénéficier bientôt de linitiative GAIA-X, « lespace étant à lintersection des objectifs de haute sécurité, de fiabilité et de souveraineté » indique Servane Augier, directrice générale dOutscale. Dans cette vision, pas de place pour l’échec : si GAIA-X poursuit les visées de maîtrise et de souveraineté autrefois portées par Numergy et Cloudwatt et est renforcé dans cette démarche par le contexte géopolitique actuel, il bénéficie d’éléments de succès qui ont manqué à ses prédécesseurs comme « la taille du marché adressé, qui passe à l’échelle européenne, la maturité des entreprises et administrations pour utiliser le cloud, la concertation entre des fournisseurs de services qui s’appuient sur des offres matures et opérationnelles, et les utilisateurs de ces offres, qui font partie aussi des membres fondateurs » note Servaner Augier. La voie du succès est, selon elle, clairement tracée: « Il est primordial de fournir aux entreprises européennes, aujourdhui utilisatrices à plus de 85% des services cloud venant des Etats-Unis, l’information que le cloud européen possède tout le potentiel nécessaire pour répondre à leurs besoins, avec le même niveau de service et d’exigence que le cloud américain. C’est tout l’enjeu : rassurer les clients européens et leur apporter une offre complémentaire à celles qu’ils utilisent déjà. »

La feuille de route 2021 de GAIA-X est ambitieuse. Alors que le taux de pénétration du cloud est actuellement de l’ordre de 25% en Europe, le consortium entend doubler ce chiffre d’ici 4 à 5 ans.





1 https://www.lesechos.fr/2015/02/cloud-souverain-un-gachis-a-la-francaise-1105856