Crypto-économie et blockchain : le nouveau champ des possibles

L’essor du Bitcoin et l’expansion des technologies Blockchain dans différents pans de l’économie confirment leur émergence durable dans nos sociétés d’ici les décennies. Pour autant de telles technologies disruptives s’accompagnent de nombreuses réticences et de blocages politiques ou culturels. Les manier avec précaution s’avère délicat autant que nécessaire alors que des concurrents semblent tout miser sur ces nouvelles opportunités…

Par Catherine Convert

« II faut penser la Blockchain en termes d’innovation et non en termes de technologies de l’information, […] écoutez Susanne Tarkowski Templehof, pensez à la manière dont la bitnation pourrait remplacer nos administrations boiteuses bureaucratiques. Vous seriez prêts à manger le monde. »1 écrit Laurent Bénichou, expert Blockchain. La France doit réussir à prendre un tournant blockchain avant les États-Unis et la Chine. « La technologie, on l’a. Il faut maintenant la défendre auprès des politiques et l’intégrer concrètement en ayant confiance dans le potentiel qu’elle représente » souligne Clément Jeanneau, auteur du rapport L’âge du web décentralisé et du site signauxfaibles.co. pour qui, la recherche et le développement ne suffisent pas. Les nouveaux concepts gagnants comme Blablacar, Uber et les autres acteurs de l’économie collaborative n’y faisaient pas appel. « C’est avant tout du design » précise t-il.

Emergence des cryptoréseaux

La Blockchain et la crypto-monnaie devraient reprendre cette logique pour être vecteur d’innovation. Les grands investisseurs américains voient déjà le potentiel de l’internet 2.0 par l’émergence de crypto-réseaux (cryptonetworks), des « réseaux décentralisés construits sur les protocoles Internet, capables de fournir différents services numériques (stockage de données, puissance de calcul, applications…) » souligne l’un d’entre eux, Nick Grossman. Si « certains cryptoréseaux, comme Ethereum, sont des plateformes assez généralistes » souligne Chris Dixon, investisseur lui aussi « dautres cryptoréseaux sont plus spécialisés, et se concentrent par exemple sur le stockage décentralisé de fichiers ou sur loffre de puissance de calcul, elle aussi décentralisée » à l’image des applications Storj ou OpenBazaar.

Ce sont également des avancées encourageantes pour contrer la main-mise des GAFAM sur les services numériques. « Pour acquérir puis renforcer leur position dominante actuelle, les GAFAM ont bénéficié d’un mécanisme bien connu dans le monde numérique : leffet de réseau, théorisé par la loi de Metcalfe (selon laquelle lutilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs). Cet effet renforce les barrières à l’entrée pour les acteurs qui tenteraient de concurrencer les GAFAM. » précise Clément Jeanneau. L’innovation technologique devient alors le seul moyen de dépasser cet obstacle à la diversification économique, ce qui devrait « inciter les entrepreneurs, les acteurs économiques, les pouvoirs publics et les citoyens à s’intéresser de très près à ces technologies, et plus encore, à se saisir au plus vite des opportunités quelles ouvrent. » conclut le rapport L’âge du web décentralisé. 

La décentralisation nest pas une fatalité

La crypto-monnaie et la Blockchain permettent une décentralisation des transactions et des flux, un atout largement exploité par les cybercriminels sur le Darkweb. Pour autant, la décentralisation n’est pas une fatalité ; les transactions faisant appel à des crypto-monnaies comme le Bitcoin peuvent être retracées comme dans le cas du démantèlement de la plateforme Hansa. En utilisant la technologie du logiciel Chainanalysis, les autorités ont pu remonter la piste d’une transaction Bitcoin en ayant connaissance de l’adresse d’émission suite à une précédente enquête. S’en est suivi une stratégie novatrice de rupture de confiance chez les utilisateurs de la plateforme concernant la sécurité des transactions et leur anonymat2. Dans le cas de Hansa, le concours dInterpol, Europol, la National Hi-Tech Crime Unit britannique et les polices allemandes et néerlandaises aura été nécessaire pour en venir à bout. Un succès symbolique marquant l’innovation des procédés d’enquête et l’appropriation des nouveaux outils par les autorités, qui donnent aux crypto-monnaies et à la Blockchain un autre visage que celui de l’illégalité.

Maîtriser ses données

L’apport de ces nouvelles technologies modifierait le rapport à l’identité numérique et à la sécurité de ses propres données. Le concept de Self Sovereign Identity (SSI) par exemple, permettrait « d’utiliser larchitecture en registres distribués de la Blockchain pour permettre aux consommateurs dadministrer leur propre identité et leurs préférences en termes de consentement dune manière portable à travers toutes les plateformes qui les intéresseraient » souligne Gartner. « Le SSI unifie également lexpérience utilisateur liée au processus d’authentification à travers son usage pour les services personnels et professionnels garantissant une meilleure compréhension et maîtrise côté utilisateur. Les informations distribuées sont enregistrées sur un support dont lutilisateur maîtrise le partage avec les différents services. Il garde ainsi la main sur lusage de ses données »3 écrit Karim Bouami, Responsable de la sécurité Microsoft au sein de Devoteam.

Monnaie digitale

L’économie de demain pourrait également être repensée au travers des monnaies digitales promises par l’Union européenne, l’Inde et la Chine. En mai 2020, le Banque de France expérimentait la monnaie digitale de banque centrale de gros (CDBC) en partenariat avec la Société Générale Forge4. L’utilisation de monnaie digitale et de Blockchain dans ce secteur est encourageant pour l’économiste et chercheur associé à l’IRIS, Rémi Bourgeot : « sur la gestion des crises, c’est un nouveau moyen de relance monétaire. Beaucoup moins controversé, les financements ou les prêts ciblés permettraient de mettre en oeuvre des moyens plus précis pour les citoyens ou les entreprises, au lieu d’injecter des quantités illimitées de liquidités sur les marchés comme le font actuellement les banques centrales au travers de leur programme d’achat de titres de dettes ». En revanche, l’essor de produits financiers comme le Libra, renommé Diem, de Facebook, et leur expansion internationale est un problème, surtout pour les économies émergentes : « les consommateurs utiliseraient une monnaie qui n’est pas du tout liée à l’état de l’économie sur le plan de la compétitivité ou l’équilibre financier. Ce serait comparable à la dollarisation des économies émergentes qu’on a vu au cours des quarante dernières années » observe Rémi Bourgeot. Néanmoins, avec l’intégration du paiement Bitcoin par Paypal, les crypto-monnaies pourraient avoir une place dans le commerce de demain : « il faut absolument les définir et circonscrire. Il ne faut surtout pas s’engager dans l’illusion d’une monnaie privée globalisée, qui aurait des conséquences financières dramatiques pour les pays émergents. » précise le chercheur. Une crainte anticipée par le gouvernement indien qui en interdit l’usage pour éviter le financement du terrorisme mais également assurer la stabilité financière du pays.

Un appel à l’innovation politique

Alors que le régulateur américain ouvre déjà de nouveaux modèles avec des signatures en monnaie fiduciaire, « et que la Chine déploie déjà son stable coin à Shenzhen, nous attendons encore la directive européenne MiCA pour 2024 » ajoute le député Pierre Person. Si certaines avancées politiques ont néanmoins pu être observées au cours des deux dernières années au travers de la loi PACTE notamment, il faut aujourd’hui se pencher sur la régulation des tokens ainsi que des smart contracts. « Les security tokens sont l’avenir du DAO (Decentralized Autonomous Organization). Dans la finance de demain, nous n’échangerons plus les titres d’une structure. Mais les régulateurs refusent d’en entendre parler ». Un problème stratégique selon le député « ceux qui ne voient pas l’intérêt dans le secteur seront mis de côté » et d’ajouter « il faut à tout prix encourager les entreprises à rester sur le territoire français. Certaines vont en Suisse ou à Malte pour des régimes politiques et financiers stables avec une position plus exhaustive sur la question. »

Reste enfin que « le principal obstacle n’est pas la technologie, mais la culture. Nous ne sommes pas encore prêts à imaginer la Blockchain ou la crypto comme une technologie disruptive » alerte Clément Jeanneau. Pour Tim Berners-Lee, l’un des inventeurs du World Wide Web, la solution est claire : « il faut re-décentraliser le web ».


1 https://medium.com/@laurentbenichou/counter-alchemists-please-stop-transforming-blockchain-fever-into-it-boredom-58f39f1c24f4

2 https://www.wired.com/story/hansa-dutch-police-sting-operation/

3 https://www.journaldunet.com/solutions/dsi/1446237-self-sovereign-identity-et-si-la-securite-etait-enfin-user-centric/