« Objectif Lune » : aventure et conquête spatiales

« Objectif Lune » est l’un des grands programmes du XXIe siècle, où comment nous projeter dans la possibilité d’une installation humaine durable sur la Lune ?

Par la Docteure Isabelle Tisserand, anthropologue, expert sécurité-défense des patrimoines stratégiques, Vice-Présidente « New Space generation », 3i3s Africa & Middle-East

Si l’année 2024 signe pour beaucoup l’année où la France accueillera les Jeux Olympiques et Paralympiques, elle sera aussi l’année où le programme Artemisi piloté par la NASA entend renvoyer l’homme sur la Lune. Tête de proue dune compétition globale, Artemis a pour objectif de constituer un consortium international qui associerait les États-Unis à sept autres pays : lItalie, le Japon, le Royaume-Uni, lAustralie, le Canada, le Luxembourg et les Émirats arabes unis. La Chine et la Russie ont eux récemment annoncé leur future collaboration dans la construction dune base lunaireii. Enfin, lInde apparaît comme un autre candidat sérieux pour accomplir une mission lunaire. L’Europe et la France pourraient aussi faire partie de l’aventure…

Objectif Lune et une présence permanente sur lastre sélène ouvriraient de nouvelles perspectives en servant de banc dessai et de tremplin avant de saventurer toujours plus loin. La European Space Agency a conclu des accords avec Airbus et Thales pour participer au retour sur la Luneiii. Dès 2019, l’Europe a assuré son engagement sur deux « cornerstones » programmatiques : Gateway, une infrastructure en orbite lunaire pour aller et venir sur la Lune mais aussi au-delà, ainsi que des missions robotiques sur la surface lunaire.

En France, lANRTiv sest emparée du sujet avec passion, raison et rigueur en organisant la réflexion. Il faut louer la détermination de sa Déléguée Générale, Clarisse Angelier, qui a -depuis plusieurs années- rassemblé dans linterdisciplinarité des esprits pointus, ouverts et capables de ne pas désemparer devant le fait quObjectif Lunev est un projet qui nous dépasse dans le temps et dans lespace, mais que nous ne pouvons pas occulter du champ des préoccupations majeures de notre espèce.

Le projet d’architecture d’Objectif Lune est, en effet, complexe et concerne structurellement plusieurs domaines de recherche et d’innovation que sont le développement industriel, le droit spatial, l’éthique et la déontologie, les habitats et les supports de vie, la sécurité et la défense, la gestion de l’exploitation des ressources et sa régulation.

Du rêve à la réalité, Objectif Lune nous invite, quel que soit le stade de notre réflexion et des décisions quant à une participation, à dépasser les frontières de nos réflexions habituelles, à travailler ensemble : civils, militaires, gouvernants, jeunes et moins jeunes, pour tenter de comprendre objectivement la portée d’un enjeu tel que celui d’un éventuel essaimage humain sur la Lune ; pour imaginer une continuité humaine digne de son unicité et de son intelligence. Soit par choix, soit parce qu’une inconnue voudrait que nous y soyons contraints dans un futur lointain.

À l’ère du New Space, cette nouvelle ambition spatiale reflète une compétition géostratégique plus intense et souligne une dimension plus tactique du point de vue économique de la conquête spatiale.

Ce désir de vivre un jour sur la Lune s’appuie sur une multitude de réflexions, de déclarations, d’intentions et de propositions d’actions venue de toutes parts. Une ambition sérieusement envisageable du fait de nombreux progrès, tels que les évolutions de l’industrie spatiale (véhicule spatial, satellite, lanceur, produits des entreprises du secteur privé et des agences gouvernementales, etc.), la récente cartographie de la Lunevi, la réussite du lancement du rover perseverance sur Mars en mars 2021 ou encore de l’identification de stocks d’eau sur la Lunevii.

Mais pourquoi donc l’humanité aurait-elle besoin de sortir de son berceau pour vivre hors de sa planète Terre ? Indépendamment de nos volontés, cette idée se forme, s’affirme, et nous l’intégrons spontanément car elle est portée par le Soft Power des communications incessantes qui nous déversent, chaque jour et en tous coins de la Terre, des informations relatives aux projets de bases lunaires.

Une expérience spatiale marquante pour l’évolution de l’humanité

Dans les faits, une participation à Objectif Lune nous permettrait de faire « d’une pierre plusieurs coups » et serait profondément marquante pour l’évolution de l’humanité.

Appelée, dans ce cas, à intégrer d’une part le fait que notre espèce pourrait vivre de longues périodes hors de la Terre et, d’autre part, qu’elle devrait s’adapter physiquement, psychiquement, socialement et technologiquement en environnement lunaire, l’humanité pourrait bien écrire un nouveau chapitre de son histoire, qui succéderait à celui de la vague d’informatisation des peuples et à la digitalisation massive de leurs activités.

Mais pourquoi « faire d’une pierre plusieurs coups » ? Tout d’abord, parce que ce programme concerne toute l’humanité et maintenant de nouveaux pays, jusque-là absents du paysage spatial. Il bouleversera en effet et de manière irréversible tous nos référentiels en rendant réaliste ce qui, jusqu’à présent, ne s’illustre que dans les mythologies, les projections scientifiques, les arts et, bien entendu, grâce aux premiers pas sur la Lune, le 21 juillet 1969 (programme spatial américain Apollo 11).

Une contribution à Objectif Lune nous conduirait aussi à réaliser une expérience historique majeure en nous invitant à prendre des risques importants, ce qui n’est pas toujours naturel dans nos cultures, à l’exception de certains exemples si nous pensons à Space X.

Cela nous permettrait d’identifier des axes essentiels de recherches, d’innovations, de formations, d’emplois futurs, de développer la culture spatiale et nos industries pour répondre aux besoins spatiaux accrus sur Terre car les services et les applications spatiales sont désormais indispensables dans nos vies quotidiennes ; puis de nous positionner dans des coopérations internationales à maîtriser, car elles impliquent des dépendances et des indépendances – notamment technologiques, informationnelles et organisationnelles – dont il faut analyser les risques et les bénéfices, tout en cherchant à maintenir l’équilibre entre conflictualité et contre-conflictualité potentielles. Sans accès à un Espace le plus pacifique possible, il deviendrait en effet difficile de continuer à observer la Terre, ses océans, son climat et, hypothétiquement, de garantir et de sécuriser le développement d’une future « culture humano-lunaire ».

Des développements éthiques et déontologiques

Ce projet permettrait de prendre en compte de nouvelles priorités en termes d’actions grâce à la promotion de la négociation comme premier recours pour le maintien de la Paix spatiale en cas de conflits, afin d’éviter de lourdes pertes matérielles, immatérielles, et la réplication de certains scenarii dramatiques -dans leurs effets- sur Terre.

Parce que cela est fondamental d’un point de vue éthique et déontologique, participer à Objectif Lune nous donnerait aussi la possibilité de travailler sur les court, moyen et long termes pour transmettre aux générations futures une pensée renouvelée, futuriste et progressiste, plus cohérente avec la mondialisation que nous vivons, afin de leur léguer un héritage acceptable, parce qu’il n’y a pas de raison que la réparation des dommages occasionnés par certaines étapes de progrès de nos sociétés sur Terre et sur la Lune, leur incombe.

Envisager une société artificielle

Comment vivre en groupe de façon harmonieuse dans un environnement aussi lointain et déroutant, avec un minimum de repères terrestres, non pas parce que le paysage est tout simplement incroyable, mais pour répondre à des enjeux stratégiques ? Quels seraient les référents culturels à envisager pour maintenir l’équilibre des femmes et des hommes candidats à l’expérience ? L’anthropologie spatiale, une discipline naissante, accumule les preuves de la nécessité d’une structure sociale lunaire pour l’équilibre des futurs « Lunésiens et Lunésiennes ». Des questions cruciales se posent. Elles concernent entre-autres et outre les transports, les technologies et les industries, le système de santé, la gouvernance ; la morphologie sociale et la démographie, les cultes, les concepts de consommation et de propriété, le système éducatif à distance, la sécurité, la défense, etc., acceptables et gages de stabilité dans un contexte de base lunaire.

Cette société artificielle lunaire serait bien entendu hyper-connectée, tout comme ses habitats et ses habitants. Nous pourrions alors profiter de tout ce qui a été produit sur Terre en matière de télécommunications, de sécurité des systèmes d’information, de cybersécurité, de plans de continuité d’activité en cas de crises technologiques, de méthodes de gestion de crises, etc. et optimiser tous ces moyens afin qu’ils servent encore et toujours mieux la Terre, tout en contribuant à l’expérience extra-planétaire.

Un nouveau regard sur la Terre

L’anthropologie observe que plus nous nous intéressons à la Lune, plus nos regards se portent sur la Terre en reconsidérant ses qualités. Plus la prise de conscience de l’hostilité de l’environnement lunaire grandit, plus nous apprécions les attributs extraordinaires de notre planète et le confort de vie qu’elle permet. Plus nous pensons à la possibilité de vivre dans l’Espace, plus nous sommes concernés et liés dans cette perspective. Plus nous pensons aux moyens d’accès à l’Espace, plus nous prenons en considération les dommages occasionnés par la pollution liée aux débris satellitaires. Plus nous traversons de crises sur Terre, plus nous sommes conscients de l’efficacité des services spatiaux pour la géolocalisation, la santé et l’éducation à distance par exemple. Plus nous découvrons de nouveaux phénomènes astrophysiques et plus nous mesurons notre ignorance, mais aussi nos capacités à explorer, quelle que soit l’époque que nous ne faisons que traverser.

i https://www.nasa.gov/specials/artemis-accords/index.html

ii https://www.20minutes.fr/monde/2996331-20210311-projet-base-lunaire-ultime-preuve-rapprochement-entre-chine-russie

iii https://www.cite-espace.com/actualites-spatiales/lune-mars-esa/

iv http://www.anrt.asso.fr/fr

v http://www.anrt.asso.fr/fr/objectif-lune-32335

vi https://www.usgs.gov/news/usgs-releases-first-ever-comprehensive-geologic-map-moon

vii https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/lune-nasa-decouvert-eau-partout-lune-83811/