L’essor de l’industrie spatiale africaine : enjeux et opportunités stratégiques

Space satellite orbiting the earth. Elements of this image furnished by NASA

Le développement de l’industrie spatiale a longtemps été un enjeu stratégique de souveraineté politique, économique, diplomatique, de défense et de sécurité à l’échelle du continent Africain. En janvier 2013, à l’occasion de la 22e session ordinaire du conseil exécutif de l’Union Africaine à Addis-Abeba, celle-ci actait l’élaboration d’une politique et d’une stratégie spatiale afin de permettre l’exploitation des ressources spatiales de manière coordonnée tout en relevant les défis de développement de l’agenda 2063.

Par Babacar N. Seck, CEO LEADS AEROSPACE & Président & fondateur 3i3S – Africa & Middle East

Par cette décision, le développement de l’industrie spatiale est devenu une priorité pour les 55 pays membres avec une vision à long terme dans le but de relever les enjeux stratégiques en matière de développement, de sécurité des biens et personnes, mais aussi de sécurité alimentaire, d’agriculture, de santé, de gestion et de protection des ressources naturelles, il est également question d’utilisation et de gestion des terres, des infrastructures, des transports, de l’énergie, de l’intégrité des territoires, de télé-éducation et télé-médecine, de connectivité…

Des applications satellitaires

Cette approche a permis au continent d’opérer un cadre solide pour affirmer sa politique spatiale et participer ainsi à la conquête de l’espace à l’instar des grandes puissances. La priorité est ainsi donnée aux applications satellitaires ayant un impact direct dans la vie des africains. Cette grande impulsion a fait naître plusieurs agences spatiales nationales ces dernières années. Cette dynamique récente a également donné lieu à quelques succès notables notamment avec la Tunisie, devenue le premier pays du Maghreb et le sixième d’Afrique à fabriquer son propre satellite en Mars 2021. En 2019, l’Egypte lançait son premier satellite de communications civiles et militaires. Un an avant, c’était le Kenya qui lançait son premier nano-satellite fabriqué par des étudiants de l’université de Nairobi. En somme, c’est une dizaine de pays qui ont aujourd’hui leur propre satellite.

Admiration chinoise

Depuis peu, les grandes puissances spatiales, qui n’étaient pas jusqu’alors des partenaires historiques, comme la Chine ou la Russie, ont commencé à renforcer leur lien avec une stratégie de « soft power ». C’est ainsi que le 9 mars 2021, l’Agence spatiale chinoise et le Roscosmos (Agence spatiale chinoise) signaient un accord pour la construction en coopération d’une station internationale de recherche lunaire en y invitant les émergeants d’Afrique qui ne participent pas au programme Artemis des Etats-Unis.

Un marché à 10 milliards de dollars

L’Afrique est ainsi devenue en l’espace de quelques années seulement un marché satellitaire émergent en forte croissance. Aujourd’hui évalué à 7 milliards de dollars, le marché des technologies spatiales en Afrique devrait atteindre les 10 milliards de dollars en 2024 selon une estimation de l’agence Space in Africa dans son rapport annuel sur l’industrie spatiale en Afrique, publié en juin 2019. Ce même rapport, révèle qu’entre 1998 et avril 2019, 32 satellites ont été mis en orbite dans l’Espace par huit pays africains. Outre ces équipements spatiaux attribués à l’Algérie, l’Angola, l’Égypte, le Ghana, le Kenya, le Maroc, le Nigéria et l’Afrique du Sud, trois autres projets de satellites – Rascom-QAF1, Rascom-QAF1R et New Dawn – initiés par Rascom et financés par divers pays africains pour des opérations régionales, ont porté à 35 le nombre de satellites, exclusivement africains, envoyés dans l’Espace.

Les technologies cubsat

Cette frénésie d’opportunité dans le spatial Africain peut s’expliquer en partie par la baisse de la barrière d’entrée technologique avec l’avènement des technologies cubsat plus abordables et moins complexes à intégrer. Cela a favorisé le développement de clusters d’intégration un peu partout en Afrique, le plus souvent pilotés dans le cadre de programmes de recherche et d’innovations des Etats.

La course à la maîtrise des technologies satellitaires est bien lancée et souvent soutenue par les facteurs géopolitiques, de diplomatie spatiale, économique mais aussi les besoins d’amélioration des systèmes de défense et de sécurité, les applications d’observation de la Terre, du contrôle et de surveillance des mouvements transfrontaliers, ou encore de l’amélioration des centres nationaux de télédétection.

En termes d’opportunité stratégique, le marché de niche a longtemps été dominé par les entreprises européennes et américaines. Mais la technologie des cubsat amorce depuis peu une rupture avec la concurrence russe et chinoise. La démocratisation des lancements de ces technologies en orbite basse est bien en marche avec ses avantages économiques. Selon le rapport « Gartner Africa ICT Hype Cycle 2019 », publié en août 2019, les systèmes satellitaires en orbite basse qui concernent en majorité des satellites de télécommunications, de télédétection, d’imagerie, de météorologie figurent comme l’une des trois technologies qui transformera le monde des affaires en Afrique au cours des dix prochaines années.

La course aux données

Enfin, l’Union africaine a dans le passé, cherché à combler son déficit de données spatiales grâce à une collaboration avec le programme Copernicus de la Commission européenne, le troisième plus grand fournisseur de données par satellite au monde. Le partenariat a permis aux scientifiques africains d’accéder gratuitement à des données allant de la photographie aérienne numérique, de la topographie, des changements de végétation aux modèles météorologiques. Ces programmes devraient subsister à cette avalanche d’applications satellitaires en cours de développement.

Les enjeux et les opportunités de l’essor de l’industrie spatiale africaine ont tout lieu de s’intensifier dans les années à venir. Outre le renforcement de la fierté panafricaine et du prestige international, l’Espace est un domaine stratégique où l’Afrique doit combler son retard technologique tout en consolidant sa diplomatie spatiale à l’échelle mondiale. Dans ce contexte de mutation constante, une question persiste : quel rôle jouera l’Afrique dans le paysage spatial de demain ?