L’Europe dans la course à l’Espace : cherche stratégie désespérément

Vaste sujet et complexe à traiter tant il nest pas homogène sur notre planète. Les puissances spatiales sont pour certaines très avancées quand d’autres nont même pas initié les enjeux du futur. Alors dans cette course à l’Espace, quid de l’Europe ?

Par Philippe Boissat, Président d’honneur et fondateur de 3i3s

Nous sommes plongés dans le monde des satellites, incluant les applications spatiales, les lanceurs et les vols habités. Les innovations dans ce secteur sont récentes et remontent aux années 2000. Auparavant, ce dernier vivait sur ses acquis. Larrivée des nouveaux entrants, de nouveaux moyens financiers, mais aussi des nouvelles technologies, nouvelles applications et nouvelles règles juridiques ont alors bouleversé l’ordre établi. Exemple s’il en fallait, d’ARIANEGROUP, numéro 1 mondial des lanceurs jusqu’en 2018, détrôné par le désormais célèbre SPACE-X -nouvel entrant il y a à peine 3 ans- devenu l’étendard de la génération dite « NewSpace ». Ce mouvement bouleverse l’industrie telle que nous la connaissions jusqu’à présent. Aujourdhui, l’Europe du spatial nest qu’un « concept ». Mais nous pouvons compter sur certains décideurs, à l’image du Commissaire européen pour le marché intérieur, en charge du numérique, de lindustrie et des services, de la défense, de lEspace, de laudiovisuel et du tourisme, Thierry Breton, qui entend faire bouger les lignes pour que l’Europe reprenne sa place de leader.

Redonner une légitimité à l’ESA

L’acte fort serait en effet de redonner une légitimité à l’ESA, la European Spatial Agency. Et il est vital d’y parvenir ! La première étape serait donc de dissoudre la myriade dagences spatiales en Europe comme le CNES DLR – ASI – ALR INTA – HSQ – NSC UK SA – etc. La deuxième serait de stopper le mécanisme de redistribution qui prend en compte le versement de la contribution de chaque pays. Autrement dit, faire « une ESA qui ressemble à la NASA » comme l’a précédemment déclaré le Commissaire européen. La NASA étant à ce jour la seule agence spatiale qui permet à nos industriels d’exporter. Le monde industriel européen est aussi appelé à plus de cohérence et ne pas céder à l’appel du cavalier seul, où l’Allemagne souhaite contrôler toute lindustrie….

Alors qu’en est-il d’ARIANEGROUP qui doit représenter l’Europe ? Cette entreprise est perçue comme Française avec 50% détenu par Safran et 50% par Airbus. Aussi, les Allemands conçoivent leur mini-lanceur avec OHB et leur spaceport pour concurrencer Kourou. Lurgence de concevoir une véritable Europe du spatial est criante à l’heure où la conquête spatiale se veut autant une course économique qu’un levier stratégique géopolitique majeur.

Investir dans le futur de l’Espace

Investissons donc dans les thématiques qui nous font cruellement défaut. Notre futur se conjugue indiscutablement avec l’Europe. Le paramètre financier est tel que la France seule ne pourra pas réussir. L’intelligence collective doit émerger : « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». L’urgence du futur de lEspace se pense donc en termes de ruptures technologiques avec lintelligence artificielle, le Cloud, la cybersécurité, le Big Data, la Constellation de satellites, des satellites (Impression 3D – Electrique Nucléaire) et des lanceurs. Mais pour beaucoup d’entre eux, nous sommes absents ou accusons un retard certain.

La Chine a investi à hauteur de 22 milliards d’euros jusquen 2020. A horizon 2035, elle devrait investir 59 milliards. Le Canada, Israël, les Emirats arabes unis et la Grande-Bretagne font également figure de proue dans la compétition.

L’Intelligence artificielle est vitale dans les satellites (télécommunications/observation de la Terre/Militaire) tout comme les applications des données géospatiales (Agriculture/Santé/Transport/Education), les explorations en robotiques industrielles, en santé et pour les astronautes. Mais lEurope ne s’est mise en ordre de marche que depuis janvier 2021 quand la Russie, elle, a débuté en 2017 tout comme la Chine. Cette dernière, et les USA dominent la compétition mondiale et les Etats-Unis viennent de reconnaitre que la Chine est maintenant devant. Il y a donc une véritable urgence à l’émergence d’une ambition européenne.

Pour ce qui est du Cloud, la domination des Américains est indéniable avec Microsoft, Google et Amazon AWS et enfin la start-up « Cloud constellation ». Près de 10 satellites devraient être opérationnels en 2021. A noter tout de même le réveil récent de l’Europe avec Gaia-X. Au coeur d’Internet, c’est encore SPACE X qui concrétise avec STARLINK et donne aux USA un back-up stratégique très intéressant.

Pour ce qui concerne la 5G et la géolocalisation, ou les lanceurs, le constat reste le même. Dans ce dernier domaine, hautement stratégique, SPACE-X est numéro 1 avec son lanceur réutilisable recopié par tous les autres pays. LEurope prévoit THEMIS en 2030. La Chine a testé un lanceur réutilisable, La longue Marche 8 en 2020 qui devrait être opérationnel en 2025. Les lanceurs sont cruciaux. Sans eux, il n’y aura pas de satellites en place.

Sans compter les règles juridiques à mettre en place et à respecter sur la commercialisation de lEspace qui seront à prendre en compte, mais restent, jusqu’à ce jour, encore un far-west.

Des opportunités d’avenir pour l’Europe

Le secteur spatial saffirme toujours comme un marché en forte croissance. Son chiffre daffaires mondial, estimé à près de 240 milliards de dollars en 2018, devrait être multiplié par un facteur supérieur à dix, dici à 20401. Aussi, le spatial simpose comme une composante critique dans le tissu industriel européen et constitue un enjeu majeur de politique industrielle. Pour saisir les opportunités du secteur et créer un véritable marché européen, l’Europe doit mettre en œuvre une politique de réduction des coûts afin de rester compétitive face à ses concurrents internationaux, combiner des programmes de référence, des budgets cohérents, une politique ambitieuse de soutien à l’innovation et à la recherche et développement. Les Etats européens doivent jouer collectif et travailler ensemble pour faire émerger un projet global fédérant le spatial et le numérique. Aujourd’hui leader dans la construction de satellites notamment avec AIRBUS D&S, nous pouvons également compter sur une pléiade de start-up exceptionnelles à l’image de celle qui a construit une caméra pour Persévérance (SuperCam) pour porter l’Europe. Passons alors à la vitesse supérieure !

Il y a urgence à reconstruire la European Spatial Agency en définissant et mettant en oeuvre une véritable stratégie qui nous permettra de rattraper notre retard sur les applications du futur. L’Union européenne doit se doter dune politique dinnovation forte et engagée. La question du maintien dun accès autonome à l’Espace représente un enjeu de souveraineté et il est actuellement regrettable d’admettre que nous ne sommes plus quun fournisseur à la botte de la NASA ou de la CNSA.

1 Grundsatzpapier « Zukunftsmarkt Weltraum », Bundesverband der Deutschen Industrie, octobre 2019.