L’évolution de la menace terroriste en France : quelles perspectives ?

Près de cinq après lattentat le plus sanglant quait connue la France sur son territoire, la menace terroriste demeure prégnante dans lHexagone. Si le terrorisme jihadiste alerte en premier lieu les autorités françaises, dautres extrémismes politiques tendent à user de la violence pour faire avancer leur projet. Retour sur la reconfiguration et la pluralité des menaces quil nous faudra collectivement combattre.

Par Hugo Champion

L’évolution de la menace jihadiste

Depuis 2013, une soixantaine dattentats a été déjouée par les services de sécurité français. Le risque terroriste est donc manifestement vivace. Depuis l’année dernière, une dizaine dattentats ont frappé l’Europe. Le profil des auteurs et leur mode opératoire interpellent sur l’évolution de cette menace. Le procureur de la République antiterroriste Jean-François Ricard avait dès lan dernier expliqué que celle-ci était représentée par des « individus isolés, voire des individus qui présentent un déséquilibre mental ». Les dernières attaques à la Préfecture de police de Paris (octobre 2019), à Villejuif (janvier 2020), à Romans-sur-Isère (avril 2020) et à Rambouillet (avril 2021) confirment cette tendance. Les attentats dinspiration islamiste sont numériquement surreprésentés. La stratégie adoptée par les jihadistes a été forcée d’évoluer et de sadapter, notamment depuis la déréliction de lEtat islamique symbolisée par la chute de son dernier bastion Al-Baghouz Fouqani – en mars 2019. Nous sommes passés dun terrorisme organisé sur le plan opérationnel et piloté par des groupes terroristes tels que Daech, à des attaques perpétrées par des auteurs dits « radicalisés », qui ont agi seul et qui n’étaient militairement pas entrainés.

Toutefois, la menace émanant dune organisation militaire nest pas à écarter. La reconfiguration de lEtat islamique, notamment sur le continent africain où il monte en puissance, laisse penser que le groupe pourrait retrouver sa capacité opérationnelle qui lui permettrait de projeter des attaques à l’étranger. La majorité du contenu du magazine hebdomadaire de lEtat islamique al-Naba concerne les activités du groupe en Afrique. Récemment, Shekau, le leader du groupe terroriste Boko Haram, a été tué dans des combats entre son groupe et lISWAP (Islamic State’s West Africa Province, la branche locale affiliée à l’EI) et l’annonce de la fin de l’opération Barkhane au Nord du Mali pourrait laisser un champ libre aux jihadistes. La présence française permettait de contenir les offensives jihadistes. Le 17 juin dernier, les forces militaires françaises ont annoncé avoir arrêté un cadre de lEtat islamique dans cette région. Le risque endogène et exogène perdurent et cohabitent.

Le retour de lultra-droite sur la scène terroriste

Si le jihadisme représente l’idéologie violente la plus notable, d’autres groupes usant de la violence politique sorganisent. Un récent rapport du Parquet général de Paris alerte sur laugmentation du risque émanant des groupuscules dultra-droite. Depuis 2017, six projets dattentats émanant de cette mouvance politique ont été déjoués. La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a évalué à 1000 leur nombre de militants. Comme lexplique Naïma Rudloff, avocate générale et cheffe du département chargé de la lutte contre le terrorisme à la cour dappel de Paris, « nous avions affaire pendant longtemps au sein de lultra-droite, à des individus tenant des propos haineux racistes ou antisémites –, désormais nous avons à gérer des projets dattentat avancés… »1. Les cibles potentielles de ces groupuscules sont plurielles : les Juifs, « les Blancs fumant des joints ou adoptant un style africain » selon une affaire datant de 2017, les musulmans, les homosexuels ou encore des représentants de la République. Cest ainsi que des membres du groupe « les Barjols » fomentent une tentative dassassinat sur la personne du Président de la République française Emmanuel Macron en 2018.

Dans un contexte de tensions accrues générées par le terrorisme jihadiste, la crise de la covid et la crise économique qui s’ensuit, les extrémismes politiques violents, émanant notamment de l’ultra-droite, gagnent en puissance.

La réaction des autorités françaises et européennes

Les autorités françaises et européennes sorganisent face à l’évolution de la menace. Le 16 mars dernier, lUnion européenne a adopté un règlement relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne. Les Etats membres « seront habilités à émettre des injonctions de suppression à l’intention des fournisseurs de services, contraignant ceux-ci à supprimer les contenus à caractère terroriste ou à en bloquer l’accèdans tous les États membres. Les plateformes internet devront alors supprimer les contenus ou bloquer l’accès à ceux-ci dans un délai d’une heure », indique le communiqué de presse du Conseil de lUE. En France, la nouvelle loi antiterroriste adoptée à l’Assemblée nationale début juin met laccent sur le suivi des sortants de prison condamnés pour des faits de terrorisme et propose de pérenniser une technique de renseignement qui permette le traitement automatisé des données de connexion pour détecter les menaces.

Sur le plan opérationnel, on observe une volonté des autorités françaises de développer les Pelotons de surveillance et dintervention de la gendarmerie (Psig) et Psig sabre dont la mission essentielle est de lutter contre les tueries de masse, notamment terroristes. Le Directeur général de la Gendarmerie nationale, Christian Rodriguez, a récemment indiqué vouloir professionnaliser ces unités et améliorer leur formation tactique en sollicitant l’armée de Terre.

Le cyber-terrorisme : une menace en développement

« La Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) a observé, au second semestre 2020, une large mobilisation d’individus menant des actions cyber offensives et propagandistes à caractère islamiste. Ces actions ont conduit à une vague de défigurations de sites web d’entités ou de personnes physiques françaises liées à la sphère Défense », a indiqué la ministre des Armées Florence Parly en mars dernier. Cest pourquoi le ministère a signé une convention avec le Groupement d’Intét Public Action contre la cybermalveillance (GIP Acyma) afin que le ministère renforce « sa chaîne de cyberdéfense de bout en bout, de l’administration centrale à la PME sous-traitante d’un grand groupe de défense », explique la ministre. Les groupes terroristes utilisent lespace numérique pour diffuser leur idéologie, pour recruter, pour se financer et pour organiser et commettre des attaques. Suite aux attentats du Bataclan, le groupe de pirates informatiques « Ghost Security Group » avait déceler plusieurs adresses de Bitcoin qui semblaient appartenir à des membres de l’EI ; trois millions de dollars ont ainsi été trouvé sur un des comptes.

Par ailleurs, les commanditaires de cyberattaques peuvent être de nature étatique. Le directeur de lAgence nationale de la sécurité des systèmes dinformation (ANSSI), Guillaume Poupard, a alerté sur la possible concrétisation d’un « Cyber Pearl Harbour ».

En février dernier, le président de la République française a indiqué quun plan d’un milliard d’euros serait mis en place pour renforcer la cybersécurité des systèmes sensibles. En vertu de la Loi de programmation militaire 2019-2025, le ministère des Armées se dotera dune enveloppe de 1,6 milliard deuros qui sera consacrée à la cyberdéfense et permettra de mobiliser 1000 cybercombattants d’ici 2025.

Toutes infractions utilisant les moyens cyber pour attenter à la vie dautrui dans le but dintimider la population générale ou dobliger un gouvernement à faire ou ne pas faire quelque chose constituerait bien un acte de terrorisme au sens des Conventions contre le terrorisme de lONU. « La prévention, l’anticipation et la préparation sont de facto vitales pour être en capacité de contrer très fermement les éventuelles attaques cyber dorganisations terroristes qui pourraient survenir… » déclare l’Ambassadeur Jean-Paul Laborde, Titulaire de la Chaire Cyberdéfense/Cybersécurité Directeur du Centre dexpertise pour la lutte contre le terrorisme Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan.

1 Entretien accordé à La Croix, publié le 21 mai 2021.