Alors que le Président français, Emmanuel Macron, a annoncé le 10 juin dernier en amont des sommets du G7 et de l’OTAN « la transformation en profondeur de l’opération Barkhane » au Sahel, la géopolitique actuelle de l’Afrique pose question. Continent engoncé dans la pauvreté ? Continent innovant et plein de ressources à l’avenir (presque) radieux ? Eclairages des réalités et enjeux d’un continent en devenir.
Des fragilités conjoncturelles et structurelles renforcées par la pandémie
Très dépendante économiquement du commerce international, l’Afrique a été durement touchée par le ralentissement drastique et brutal de celui-ci à partir de mars 2020, qui a contribué à creuser les inégalités déjà à l’œuvre sur le continent. Si des économies relativement diversifiées comme l’Ethiopie et la Côte d’Ivoire ont pu éviter la récession, d’autres, dépendantes d’exportations monoproduit, misant depuis des années sur le pétrole ou le minerai, ont connu une décroissance violente. Parmi eux, les pays du golfe de Guinée, déjà en proie à d’autres problèmes conjoncturels majeurs comme la piraterie… Une situation appelant à la mise en garde de Benjamin Augé, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) « parler de l’Afrique comme d’un bloc monolithique n’a pas grand sens. C’est comme de parler de « l’Europe » : entre la Roumanie et le Luxembourg, il existe des différences majeures ». Quoiqu’il en soit, bien que la pandémie n’ait pas constitué un « tsunami sanitaire » sur le continent africain comme le craignaient certains analystes, elle a profondément enrayé des progrès enregistrés depuis des décennies et replongé des millions de personnes dans la pauvreté.
Pour des raisons qui tiennent notamment à la jeunesse de sa population, l’impact sanitaire y a été moins important qu’aux Etats-Unis ou en Europe (même si le comptage des décès liés à la Covid-19 n’est pas forcément précis). La pandémie a par ailleurs permis à certaines personnalités de s’affirmer comme des contrepoints à des dirigeants problématiques. Entre le président malgache qui prétendait pouvoir soigner la Covid avec son remède maison et certains présidents qui niaient la dangerosité de la Covid qui en sont morts comme John Magufuli en Tanzanie en mars 2021 ou Pierre Nkurunziza au Burundi en juin 2020, c’est autant une démystification de la figure du dirigeant qui s’est opérée qu’une volonté des populations de réviser en profondeur des structures politiques et économiques trop fragiles. En témoigne le texte de la nécrologie du président burundais paru dans The Mail and Guardian, quotidien sud-africain : « il a mis la politique avant la santé de son pays et maintenant il en est mort ; c’est une chance pour le Burundi de prendre enfin au sérieux l’épidémie de Covid-19 et de renverser le système politique pourri et violent auquel présidait Pierre Nkurunziza ».
Un continent en devenir
La gouvernance est un des principaux défis que doit relever l’Afrique à l’heure actuelle. Depuis des années, les questions de défense, d’armée ou de renseignement souffrent d’un sous-investissement chronique, alors que les menaces, notamment terroristes, bien que relativement circonscrites au départ, sont croissantes et finissent par gangréner toute une région. Résultat : « les Etats de papier s’effondrent » constate Benjamin Augé, alors qu’ils commençaient à être engagés dans une dynamique plutôt positive, comme le Burkina Faso ou le Mali. Sans oublier le poids de l’histoire coloniale, toujours à l’œuvre. Julien Vallet, journaliste passé par RFI et Jeune Afrique, souligne « les Etats africains sont souvent des créations coloniales qui mélangent des peuples qui n’ont rien à voir entre eux, ce qui favorise les conflits et un pouvoir autoritaire, nécessaire pour faire tenir les différentes ethnies ensemble ».
Pour autant, l’Afrique possède de réels forces et atouts pour asseoir sa place dans le jeu mondial. Elle dispose, entre autres, d’une population jeune et de mieux en mieux formée ainsi que de ressources considérables : vastes gisements de ressources naturelles encore inexploités1, climat exceptionnellement favorable au développement de certaines énergies renouvelables2…
En parallèle, elle bénéficie, en partie du moins, du leap frog3 (saut de grenouille), c’est-à-dire de l’avantage du dernier arrivé : elle n’a pas besoin comme l’Europe d’investir massivement dans la recherche sur les nouvelles technologies, elle profite de ce qui a été fait en amont. De fait, un retard initial se transforme en avantage car il permet de sauter certaines étapes de développement et donc, in fine, d’aller plus vite. L’industrie du paiement en est un exemple très probant avec l’émergence fulgurante des solutions e-payment, des fintech, des banques digitales, etc. qui accompagnent et accélèrent la croissance du continent.
Pour autant, insuffisamment ou mal exploités, ces atouts se transforment, en défis dans un premier temps, en obstacles dans un second. Une population jeune, inoccupée et privée de perspectives d’avenir à la scolarisation souvent erratique, se retrouve inéluctablement à la recherche de son avenir dans des voies alternatives, que ce soit en choisissant l’exil ou en rejoignant des groupes armés, autant d’options plus crédibles que celle des Etats faillis.
De même, l’urbanisation galopante, la destruction de la faune et de la flore et le développement économique réalisé dans des conditions souvent anarchiques, menacent les écosystèmes et les sources d’alimentation des millions d’habitants dépendants de la pêche ou de l’agriculture vivrière. Par ailleurs, le fait de disposer de ressources considérables favorise une économie de rente (pétrole, cacao, café…) qui rapporte de l’argent sans apporter de développement, surtout quand elle est tout à la fois confisquée par un pouvoir local autoritaire, et tributaire des cours mondiaux : ainsi, depuis la baisse des cours du pétrole en 2014, le Mali, le Mozambique et l’Algérie sont dans une position délicate.
Une dimension géopolitique à affirmer
Depuis quelques années, l’Afrique constitue un terrain d’affrontement indirect entre les grandes puissances, notamment du fait de la politique très volontariste que mène la Chine sur ce continent, entre autres par l’achat de terres cultivables bien que le total d’hectares qu’elle y possède (environ 1 million) arrive derrière celui des Emirats arabes unis (1,9 million), de l’Inde (1,8), du Royaume-Uni (1,5) ou encore des USA (1,4)4. Cette situation est un levier de développement pour l’Afrique, dont 80% des terres arables sont encore libres et un moyen de pression sur le reste du monde. C’est l’analyse portée par Charles Sielenou, expert agricole et fondateur d’Action Sociale Africaine : « les terres africaines sont notre bombe atomique à nous. C’est notre arme de dissuasion (…) Nous avons l’essentiel des terres agricoles non encore mises en exploitation. Nous pouvons nous servir de cette opportunité pour peser dans le rapport de forces géostratégiques ».
De fait, l’Afrique diversifie ses liens géopolitiques. Avec la Chine certes, mais aussi, volet beaucoup moins connu de sa diplomatie, avec le monde arabe. Des relations qui se conjuguent « au pluriel » selon Benjamin Augé, qui en a fait un de ses domaines de recherche : « l’Arabie saoudite a une tradition diplomatique ancienne en Afrique car il s’agissait d’aider les pays sunnites à lutter contre la menace chiite après la révolution iranienne. L’objectif essentiel est donc l’influence, quand les Emirats arabes unis y cherchent davantage de business. Quant au Qatar, il se situe entre les deux : recherche d’influence du fait de son complexe d’infériorité lié à l’étroitesse de son territoire et de sa population (2,2 millions d’habitants mais 300 000 citoyens uniquement) et investissements dans le pétrole avec quelques sociétés occidentales ». A noter que depuis 2017, les relations arabo-africaines se renouvellent du fait de la rivalité des pays du Golfe, « l’Afrique a compris qu’elle pouvait utiliser cette rivalité pour obtenir davantage et de l’Arabie saoudite, des Emirats Arabes unis et du Qatar, donc elle n’hésite pas à en jouer » remarque t-il.
Ce nouveau chemin diplomatique emprunté par l’Afrique permet au continent de peser différemment et de manière plus concrète dans le jeu mondial, en contribuant à la bonne marche de celui-ci tout en défendant ses intérêts propres : « une génération de responsables politiques et de technocrates africains de talent occupe des postes de premier plan dans d’importantes instances mondiales. Ils sont à l’origine de programmes de réforme qui aideront le continent à prospérer ».5 Parmi eux, le sénégalais Makhtar Diop, à la tête de la Société financière internationale6 (IFC), la nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, patronne de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ou encore l’éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé.
1 L’Afrique est réputée avoir un sous-sol extrêmement riche. Elle possède environ 30 % des réserves mondiales en minerais dont 40 % des réserves en or, 60 % du cobalt et 90 % du platine.
2 Selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) avec des politiques, une réglementation, une gouvernance et un accès aux marchés financiers appropriés, les énergies renouvelables pourraient représenter jusqu’à 67 % de la production d’électricité en Afrique subsaharienne d’ici 2030.
3 France 24 : « Leapfrog : quand le développement joue à saute-mouton », 30.04.2018, lien
4 FOTSO H, « La course aux terres agricoles, une bombe à retardement en Afrique, Deutsche Welle, 12.08.2019
5 The Africa Report, « The Sucess Issue », n°115, avril 2021
6 The Africa Report, « The Sucess Issue », n°115, avril 2021