La Grande Muraille verte, barrage au terrorisme sahélien

Alors que la terre sahélienne perd de sa fertilité, que les pluies se font rares, ou trop violentes, et que la faim gagne les populations locales, l’idée de reboiser la région et de créer une mosaïque d’écosystèmes nourriciers, pour lutter contre la désertification rampante et ses conséquences sociales, est lancée. En 2007, 12 pays s’engagent, sous l’égide de l’Union Africaine (UA), à faire germer une Grande Muraille verte. Près de quinze ans plus tard et bien qu’il ait subi quelques des lenteurs, le projet continue de vivre et connait une nouvelle dynamique en devenant un outil dans la lutte contre le djihadisme dans une région rongée par l’insécurité. La Grande Muraille verte, une source de vie pour faire reculer le fanatisme mortifère.

Par Camille Palmers

Un projet ambitieux dans une zone sous tension

L’insécurité alimentaire chronique, la précarité économique et sociale non prise en charge par des Etats sous administrés et le manque de perspective pour une jeunesse désœuvrée alimentent les groupes criminels, trafiquants et terroristes. En 2012, à la suite d’une rébellion touareg indépendantiste au Mali, se greffent des groupes djihadistes qui prennent le contrôle de la moitié du pays, point de départ d’une guerre dont le bilan atteint 6700 victimes et dont les répercussions font du Sahel la base arrière d’un terrorisme djihadiste prêt à frapper en Europe. Couplés aux conflits, les sols appauvris entraînant la disparition des cultures indispensables, les populations fuient la zone alimentant les tensions entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires instrumentalisés par les groupes armés. Alors que la géopolitique du Sahel est aujourd’hui en partie guidée par les tensions liées à la pénurie de terres et d’eau, le reboisement d’une zone de 15 kilomètres de large sur près de 8000 kilomètres de long, allant de Dakar à Djibouti, est un enjeu majeur pour la stabilisation de la région et l’amélioration des conditions de vie de sa population qui compte 232 millions d’habitants aujourd’hui, et près de 500 millions d’ici 2050. Alors que 200 millions des 375 millions de jeunes qui entreront sur le marché du travail au cours des 15 prochaines années vivront en zone rurale, la transformation économique et le développement induit par les projets de verdissement sont considérés comme des moyens de lutter contre les déplacements massifs de populations et la montée des violences. Ce projet, en accord avec lAgenda 2063 et quinze des dix-sept objectifs de développement durable de lONU, a recueilli une promesse de financement de 11,8 milliards deuros pour la période 2021-2025 ; soit environ 30 % des financements nécessaires à la réalisation des ambitions à horizon 2030, annoncées lors du One Planet Summit organisé à Paris en janvier dernier.

Sortir du tout militaire : une solution ?

Les stratégies de stabilisation du Sahel s’enlisent dans un contexte marqué par les violences communautaires, les insurrections djihadistes et la perte de confiance des populations dans leurs gouvernements. Ne parvenant pas à juguler l’instabilité et la crise sécuritaire qui s’étend, l’approche militaire actuelle est remise en question de manière croissante.

Niagalé Bagayoko, politologue, présidente de lAfrican security sector network et co-auteure d’un rapport publié par la Coalition citoyenne pour le Sahel, une alliance informelle regroupant près de cinquante organisations sahéliennes, ouest africaines et internationales explique : « Nous appelons à une nouvelle approche qui soit avant tout centrée sur les besoins des populations et qui n’ait pas pour principale mesure de succès le nombre de terroristes neutralisés. La priorité donnée à la lutte armée opérationnelle et aux partenariats de combats pour vaincre le terrorisme ne prend pas suffisamment en compte la complexité de l’environnement stratégique sahélien et la multiplicité des acteurs de violence : groupes djihadistes, groupes d’auto-défense, milices communautarisées, acteurs criminels et forces de sécurité qui peuvent se montrer violentes. Le nombre de civils tués entre 2017 et 2020 a été multiplié par sept ! L’objectif est de faire converger l’ensemble des instruments mobilisés, qu’ils soient politiques ou militaires, vers l’intérêt des populations » 1. Le terrorisme n’est pas la seule problématique de la région, « une compréhension plus large de l’insécurité nous amène nécessairement à parler d’économie, d’emploi, d’éducation, de gouvernance politique et de climat. Il y a une nécessité, dans la région, à penser de façon multidimensionnelle un ensemble de transformations qui doit être exigé et porté par les populations » plaide Gilles Yabi, Docteur en économie du développement et président fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest. Et de poursuivre « Personne n’ignore que les zones où l’insécurité est la plus forte sont les régions sahéliennes frontalières éloignées et oubliées des capitales, où les États ont été soit largement absents soit présents uniquement pour réprimer, abuser, humilier des populations considérées comme différentes et rebelles. Toute approche déconnectée de l’amélioration des conditions de vie de ces populations est de facto incomplète »

Une stratégie nouvelle soutenue par le Président Emmanuel Macron exhortant en février dernier lors du sommet du G5 Sahel à N’Djamena au « sursaut civil » et un « retour de l’Etat » devant opérer dans la région « avec des actions en faveur de l’économie, de l’éducation ou encore de la santé » afin d’accompagner les efforts militaires dans la stabilisation régionale en pleine transformation. Frappant fort, la France annonce le 10 juin dernier, l’arrêt de l’opération Barkhane, opération extérieure française la plus longue et la plus coûteuse depuis la Seconde Guerre mondiale.

Une muraille qui unie

Dans le cadre de l’initiative panafricaine, le partage et amélioration de savoirs traditionnels des populations locales s’est concrétisé. Les Burkinabés et les Nigérians sont devenus les champions du Zaï, une technique ancestrale de régénération des terres imperméables et stériles héritée des Dogons maliens. Localement, sous couvert de plantation et de travaux agricoles, une véritable coopération inter-générationnelle et inter-éthnique est née. Projet symbolisant une union politique entre les peuples ayant un objectif commun, la Grande Muraille verte participe à l’élaboration d’un rêve africain de paix et de développement. « C’est en partie dans l’intensification de la coopération, des liens, de la solidarité entre les pays enclavés du Sahel et leurs voisins du sud que se trouve la réponse aux défis régionaux. Si les problèmes du Sahel sont ceux de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique plus globalement, les ressources locales importantes à valoriser représentent autant de leviers d’opportunités et de développement pour tout le continent. » souligne Gilles Yabi. 21 Etats sont aujourd’hui engagés dans le processus qui prend forme avec 12 millions d’arbres plantés au Sénégal, 15 millions d’hectares restaurés en Ethiopie, 3 millions au Burkina et 5 millions au Nigeria ou au Niger. A terme, ce sont 350 000 emplois verts permettant de nourrir 20 millions de personnes qui devraient être créés dans une région où 80 % de la population vit de la terre.

Convaincu des conséquences positives du projet, Ibrahim Thiaw, Secrétaire exécutif de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification clame : « Lorsque les pays osent rêver, travaillent ensemble et font les bons choix, il est possible de prospérer et de vivre en harmonie avec la nature. Et là où des idées innovantes émergent, des changements positifs spectaculaires qui profitent aux communautés tant locales qu’internationales se produiront ».