L’Afrique, terre de convoitises internationales

Si la chute de l’activité économique mondiale résultant de la pandémie de Covid-19 est estimée par la Banque Mondiale à 4,4%, les prévisions pour l’Afrique font état d’une contraction de seulement 2,6 % de la croissance pour l’année 2020. Résilience économique, terres agricoles non exploitées, ressources naturelles pléthoriques et croissance démographique exponentielle sont autant d’atouts stratégiques qui placent l’Afrique au centre d’un échiquier international d’influences et de prédations. Vecteur de potentiels déséquilibrés et d’insécurité, l’intérêt croissant des grandes puissances pour le continent est un enjeu pour l’avenir du développement et de la souveraineté de cette mosaïque de 54 Etats.

Par Camille Palmers

Un continent marché

Longtemps resté aux marges d’une mondialisation dont l’extension se tarie, le continent apparaît comme le dernier grand marché à conquérir pour les entreprises du monde entier. « La présence des Chinois en Afrique n’est pas une présence d’investisseurs, contrairement à ce que l’on nous présente souvent. La Chine réalise des prestations de services, notamment dans la construction d’infrastructures, pour lesquelles elle est payée, et c’est en général le gouvernement du pays qui investit. Le continent représente donc un marché, pour les biens et services étrangers qui y sont vendus. Les chiffres le montrent, le montant des prestations de services chinoises en Afrique est près de 20 fois supérieur à celui des investissements directs étrangers (IDE) qui n’atteignaient que 2,7 milliards de dollars en 2019, soit la valeur actuelle de la participation de l’entreprise Dongfeng au capital de l’entreprise Peugeot PSA. » explique Thierry Pairault, Directeur de recherche émérite au CNRS et membre du Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine à l’EHESS. La Russie, dont l’économie est entravée par les sanctions occidentales en réponse à l’annexion de la Crimée en 2014, voit également d’un très bon œil l’ouverture de marchés africains, particulièrement ceux relatifs aux pays d’Afrique du Nord et du Maghreb. Les entreprises russes trouvent ainsi sur le continent de nouveaux débouchés dans les domaines historiques de son économie comme l’armement, les énergies et l’agroalimentaire : 49 % de l’armement acheté par des pays du Maghreb proviennent de Russie, contre 15 % pour les États-Unis et 7,8 % pour la France. Le marché de l’armement sub-saharien est également dominé par les entreprises moscovites qui détiennent 28 % des parts de marché devant les entreprises chinoises responsables de 24% des ventes dans la sous-région.

Un continent technologique attractif

Le continent se transforme au rythme de l’explosion des solutions digitales et de l’économie numérique. Forte de sa progression en Mobile Banking, de l’évolution du commerce en ligne et de l’émergence de nombreuses start-up, l’Afrique innove et s’impose en tant que vivier international de talents numériques. L’explosion de pépites technologiques africaines ne suffit néanmoins pas à effacer les divergences de développement qui minent le continent. Avec moins de 30% de sa population globale ayant un accès au haut débit mobile1, plus de 50% au Maghreb et en Afrique du Sud contre seulement 12% dans le désert numérique situé en Afrique Centrale, l’Afrique souffre de graves lacunes en termes de connectivité. De fait, il s’agit de la région du monde la moins connectée au réseau en raison d’un manque de fonds nécessaires au développement des infrastructures numériques. Une opportunité pour des acteurs internationaux d’investir et de pénétrer le territoire. Convaincus du potentiel du marché africain et contrariés par la régulation intensive des marchés européens et américains, les GAFAM se positionnent de façon croissante comme des maîtres d’œuvre potentiels pour le marché numérique africain, faisant planer un risque élevé de cybercolonialisme. Une pénétration qui se concrétise par des programmes de financement des start-up et de formation des développeurs tels que Launchpad Africa financé par Google ainsi que par l’installation de centres de calcul cloud par Microsoft dans les villes de Cap Town et de Johannesburg. « D’un côté, les Africains ont besoin de ces infrastructures et de cette connexion pour rattraper leur retard de développement. Mais, de l’autre, ce ne sont pas eux qui produisent les technologies et maîtrisent les données personnelles récoltées. Il y a bien une volonté politique d’aller vers une plus grande souveraineté numérique, de lever des fonds et de lancer des projets. Mais ce n’est pas encore suffisant », juge Samir Abdelkrim fondateur d’Emerging Valley, le sommet international sur l’innovation africaine et les technologies émergentes. Au-delà de la construction, par les GAFAM, d’une architecture de marché laissant cours à l’utilisation marchante des données, la question des ingérences politiques émerge également. L’entreprise Cambridge Analytica est soupçonnée d’avoir pesé, par l’utilisation des mégadonnées à des fins d’orchestration d’une campagne de propagande numérique, sur la réélection à 98 % du président Kenyan sortant Uhuru Kenyatta en août 2017.

Créance et influence

« Les capitaux investis ou drainés par l’État sont l’équivalent de la puissance de feu ; les subventions au développement des produits correspondent au progrès de l’armement ; la pénétration des marchés avec l’aide de l’État remplace les bases et les garnisons militaires déployées à l’étranger ainsi que l’influence diplomatique » 2 déclarait, dès la fin de la Guerre Froide, Edward Luttwak pour définir les enjeux géo-économiques à venir. Une approche théorique illustrée par le comportement contemporain des puissances internationales sur le continent africain. Dans le cadre d’une politique de Loan-To-Own Program, l’Etat chinois s’appuie sur des institutions financières comme la Banque des BRICS, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures ou le fonds Chine-Afrique pour le développement afin de lever des fonds destinés aux Etats africains. « La Chine, en apparaissant comme étant la seule entité capable de mobiliser les sommes nécessaires pour encourager et financer les investissements massifs des Etats Africains qui initient des grands travaux, crée des liens étroits qui deviennent des liens de clientèle politique. Ainsi, la Chine légitime sa puissance, en obtenant un poids considérable au sein de l’Assemblée Générale de l’ONU » explique Thierry Pairault. Le soutien du bloc africain, et plus globalement des pays du Sud, a effectivement permis à l’Empire du milieu de considérablement renforcer son influence en devenant le seul Etat membre du Conseil de sécurité à être à la tête de plusieurs, quatre sur quinze, commissions onusiennes. Aviation civile internationale, alimentation et agriculture, développement industriel et télécommunications internationales, autant de domaines en lien direct avec les intérêts du pays et sa politique commerciale internationale des Routes de la Soie.

Par ailleurs, la gestion des premières heures de la pandémie de la Covid-19 par l’Organisation mondiale de la Santé semble résulter de l’influence chinoise sur les instances incarnant le multilatéralisme. Les liens commerciaux anciens que le pays entretient avec l’Ethiopie, aboutissant, en 2017, au soutien de la puissance asiatique à la nomination de l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus à la tête de l’OMS, auraient ralenti la déclaration de l’état de pandémie mondiale. « En dépit de retards volontaires dans le partage d’informations, l’OMS a multiplié les déclarations positives sur le traitement de l’épidémie par les autorités chinoises ainsi que des consignes dont l’objectif était de ne pas stigmatiser la Chine » déclare Valérie Niquet, Maitresse de recherche pour la Fondation pour la recherche stratégique, ancienne directrice du Centre Asie IFRI3.

Conscients de l’influence politique gagnée par la Chine créancière du continent, les Etats-Unis développent une politique de contrattaque et de refonte des mécanismes de soutien financier aux pays en développement. Le remplacement de l’ancien organisme Overseas Private Investment Corporation par l’US International Development Financial Corporation revendiquant la mobilisation d’un milliard de dollars en 2020 est un élément d’une stratégie basée sur le prêt aux entreprises nationales ayant des velléités d’investissements sur le continent africain.

Un rééquilibrage à venir

« Si les élections à venir en 2021 dans de nombreux pays d’Afrique ne seront surement pas porteuses de bouleversements politiques globaux concernant les présences étrangères, une réévaluation de la contribution chinoise aux partenariats aura probablement lieu sur le continent comme ailleurs dans le monde » constate Thierry Pairault. « Larrivée, il y a plusieurs décennies, de la Chine et des capitaux importants qu’elle pouvait consacrer à des opérations de développement, a montré aux pays africains qu’ils pouvaient achever leur indépendance par rapport à l’Occident et définir eux-mêmes des stratégies de développement. Alors que l’optimisme était de mise, l’euphorie s’estompe. L’Éthiopie, la bonne élève de la Chine, cherche désormais des solutions alternatives et a, par exemple, récemment accordé une partie de son marché des télécom à un consortium soutenu par les Etats-Unis en préférence à un autre soutenu par la Chine. » poursuit-il. La Tanzanie, la Sierra Leone, et le Gabon n’ont, par ailleurs, pas hésité à annuler de grands contrats passés avec les entreprises de la puissance asiatique. Tandis que l’image de l’influence chinoise dans l’opinion publique africaine pâlit doucement, perdant, selon l’Afrobaromètre quatre points de pourcentage entre 2015 et 2020 pour se stabiliser à 59% dopinions positives, les cartes de l’influence sont rebattues sur un continent en constante évolution aujourd’hui demandeur de nouveaux partenariats respectueux de la souveraineté de ses Etats.

2 Le rêve américain en danger, Odile Jacob, 1995, p.94.

3 Source : Un défi pour le multilatéralisme : l’instrumentalisation de l’Afrique par la Chine et ses conséquences sur les décisions de l’OMS