Terrorisme biologique et chimique, la France est-elle prête ?

Bouleverser le fonctionnement normal des sociétés, discréditer l’action des Etats et créer un climat de peur sont autant d’objectifs du terrorisme NRBC (Nucléaire, Radiologique, Biologique, Chimique). La pandémie de la Covid-19 a mis au jour la vulnérabilité du monde aux menaces biologiques et chimiques, poussant le secrétaire général des Nations Unies, Anthonio Guterres, à déclarer en avril 2020 : « Les faiblesses et la mauvaise préparation mises en évidence par cette pandémie donnent un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler une attaque bioterroriste, et augmentent également le risque potentiel de celle-ci ». Face à de telles inquiétudes, comment les acteurs de la sécurité se préparent-ils ?

Par Philipine Colle

Une menace improbable ?

Les armes composées d’agents biologiques et chimiques pathogènes, interdites par les Conventions internationales de 1975 et 1997 ne sont employées par des groupes malveillants qu’à de rares occurrences, depuis ces cinquante dernières années. Sur la totalité des actes terroristes, l’utilisation de produits chimiques ne représente qu’environ 0,17 %. quand les explosifs ont été utilisés dans près de 50 % des cas et les armes à feu dans 32 % des attaques. La complexité logistique et l’incertitude sur l’efficacité des armes non conventionnelles limitent la possibilité de leur utilisation mais ne l’éliminent pas. « Bien que l’utilisation de toxiques de guerre semble avoir une probabilité d’usage limitée pour diverses raisons, il ne faut pas l’exclure. Les agents de la menace possiblement utilisables (hors agression d’Etat) sont connues depuis longtemps et un bon chimiste peut réussir à les reproduire en faibles quantités en quelques semaines. » explique Christian Sommade, Délégué Général du Haut Comité Français pour la Résilience Nationale. Dans l’histoire récente, deux cas ont marqué les esprits occidentaux, l’attaque au gaz Sarin perpétrée, en 1995, dans le métro de Tokyo par la secte Aoun faisant 12 morts et 5511 blessés et l’attaque à l’Anthrax responsable de la mort de 5 personnes aux Etats-Unis, en 2001. Plus récemment, l’attaque à la ricine déjouée à Cologne en 2019 illustre la persistance du risque bioterroriste. Alexandre Rodde, Chercheur spécialisé sur les questions de terrorisme, nuance la probabilité de la survenue de tels évènements dans le contexte actuel : « L’exemple historique est intéressant, mais les menaces évoluent au sein des sociétés dans lesquelles nous vivons. Le risque d’un attentat NRBC est moins probable du fait de la nature du terrorisme en Europe où le terrorisme islamiste suivi, dans une moindre mesure, par le terrorisme d’ultra droite et d’utra gauche, sont les principales menaces. La génération actuelle de terroristes islamistes, regroupe des personnes qui passent à l’acte sans être formées. Elles se rabattent alors sur des techniques létales relativement simples par manque de compétences et de moyens financiers ». Et de poursuivre « La gestion des sorties de prison dans les années à venir pourra peut-être faire évoluer la menace en amenant des compétences supplémentaires au mouvement Djihadiste. 250 détenus pour des infractions terroristes auront été libérés en 2022, et parmi eux, certains étaient sur le terrain au Levant et sont plus compétents dans le maniement des armes, des explosifs et peut-être dans la gestion d’armes chimiques ». Dans le contexte d’une multiplication des attaques par rançongiciel, l’émergence du cyberterrorisme, qualifiée de « menace clairement identifiée » par le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, Laurent Nunez, prend l’ascendant, dans les esprits, sur la crainte du bioterrorisme.

La France se prépare

Forces de l’ordre, services de secours et de santé se préparent conjointement à l’éventualité d’une nouvelle attaque bioterroriste. Une préparation relativement récente explique le Docteur Roch Joly, chef de service adjoint du Samu du Nord et référent NRBC : « Lors de l’attentat dans le métro de Tokyo, les services de sécurité et de santé français ont pris conscience que le niveau de préparation était trop faible. Depuis 2002 et sous l’égide du ministère de la santé, un plan zonal de réponse a été défini. Chaque zone comprend un CHU et un Samu de référence. A ce titre, nous avons vocation à coordonner les secours afin de proposer une réponse et des soins médicaux adaptés à ce type d’évènements. Les enjeux résident dans la rapidité d’intervention, le déploiement de dispositifs de décontamination et de prise en charge médicale sur place afin d’éviter une contamination étendue en cas de transport dans les hôpitaux. Nous avons également vocation à anticiper et à préparer la gestion de ces crises par la formation du personnel de santé, l’organisation d’exercices pluriannuels et l’élaboration de plan inter-services sous l’égide de la préfecture régionale » et d’ajouter « Face à une contamination, nous travaillons en lien avec les centres antipoison qui disposent d’algorithmes permettant de poser une hypothèse sur les substances utilisées en fonction des symptômes cliniques identifiés par les médecins. Nous travaillons également avec la médecine libérale et les cellules de veille sanitaire des Agences régionales de santé qui centralisent les motifs de consultation afin de détecter des cas cliniques similaires et de territorialiser l’éventuelle attaque ». Les forces de l’ordre françaises participent, par ailleurs, au programme organisé par l’unité INTERPOL de prévention du bioterrorisme. Pandora, l’un des ateliers, vise à renforcer leur capacité de lutte contre les activités de bioterrorisme sur le Darknet, facilitant le partage d’informations, l’instauration de pratiques communes et la coordination de réponses conjointes.

Si la préparation des services français est réelle, Christian Sommade plaide pour une prise de conscience renforcée des enjeux : « Il faut rendre le domaine NRBC moins théorique et plus pratique, arrêter de croire que la préparation et les exercices réalisés ne serviront jamais. Tous les décideurs du monde de la sécurité n’ont pas encore pris conscience de la possibilité réelle de la survenue de tels événements et de leurs implications tactiques, opérationnelles et techniques. »

La crise sanitaire, une grande répétition

Utilisée marginalement par des groupes terroristes et extrémistes violents appelant, notamment sur les réseaux sociaux, leurs partisans à propager intentionnellement le virus de la Covid-19 afin de l’utiliser comme une forme improvisée d’arme biologique, la pandémie engendre des évolutions dans la préparation antiterroriste. « La Covid-19 nous a montré que nous avions encore énormément de progrès à faire en matière de gestion de crise, d’information des populations, d’organisation des soins, de mobilisation de nos systèmes sanitaires de tous types. Il s’agit d’une grande répétition de ce qui devrait être réalisé de façon beaucoup plus rapide en cas d’attaque : l’utilisation de la variole nécessiterait une vaccination totale de la population Française en 14 jours ! » clare Christian Sommade.

Un avant-projet de rapport sur les armes biologiques et le spectre du bioterrorisme pour l’après-Covid-19 a été débattu lors de la session de printemps de la commission des sciences et des technologies à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Il est appelé à prendre de nouvelles mesures collectives afin de combler les lacunes existantes dans la défense biologique et d’en faire une priorité à intégrer dans l’agenda de sécurité des pays membres. Le rapport exhorte les gouvernements nationaux à développer les formations, la coopération entre Etats membres, en augmentant le nombre d’exercices interalliés de prévention et à renforcer le cadre international de réglementation. Ce futur rapport se veut favorable à l’instauration d’engagements contraignants en matière de lutte contre les armes biologiques et à un renforcement de la vérification de l’application de ces derniers grâce à la création d’une Organisation pour l’interdiction des armes biologiques. La neuvième conférence dexamen de la Convention sur linterdiction des armes biologiques, prévue fin 2021, sera l’occasion pour les 182 Etats Parties de renforcer laccord en soutenant une reforme capable d’apporter une réponse plus adaptée aux risques présents et futurs du bioterrorisme.