Trafic et consommation de drogue, nouveaux défis pour l’Afrique

Alors que bon nombre des plus grandes économies du continent africain ont imposé, en 2020, des restrictions de mouvement pour tenter d’endiguer l’épidémie de la Covid-19 faisant plonger les chiffres du commerce international, les échanges de substances illicites sur le continent n’ont pas suivi la même tendance. Les découvertes de laboratoires clandestins comme celui de Asaba au Nigéria et les saisies records se multiplient sur le territoire, l’Afrique ne semblant plus être uniquement un lieu de transit pour des drogues consommées de manière croissante. En 2050, le continent sera le deuxième plus gros consommateur de drogue au monde. Le trafic et la consommation y affectent des populations déjà fragiles, et entretiennent corruption et terrorisme.

Par Philipine Colle

Du transit à la consommation de masse

Historiquement liés aux cultures traditionnelles de khat et de cannabis, la consommation, la production et le commerce de drogues en Afrique se sont radicalement transformés. Dépassés par les cartels Mexicains sur le marché nord-américain, les narco-trafiquants Colombiens et Vénézuéliens ont cherché dans les années 90 à se développer sur le marché européen. Ils ont alors trouvé dans les pays d’Afrique de l’Ouest les conditions idéales pour faire transiter les marchandises et éviter les contrôles douaniers méticuleux subis, aux portes de l’Europe, par les convois directs. Le renforcement des liens entre les réseaux africains et les organisations criminelles étrangères ont permis au trafic de poursuivre son essor et à la drogue de pénétrer tout le continent. « La cocaïne en provenance d’Amérique du Sud transite par l’Afrique de l’Ouest avant d’entrer en Europe, alors qu’à l’Est de l’Afrique, dans les ports du Kenya et du Mozambique passent les chargements d’héroïne en provenance d’Afghanistan » observe Richard Chelin, Senior researcher au sein de l’Institute for Security Studies de Pretoria. Si les dynamiques régionales concernant le transit des substances illustrent la continentalisation des routes de la drogue, les tendances de consommations émergentes, bien que n’épargnant aucune région, sont particulièrement inquiétantes en Afrique de l’Ouest. « Auparavant, presque toutes les drogues qui transitaient étaient exportées. Mais récemment, les données montrent qu’une proportion croissante de ces drogues transitoires est consommée localement » sinquiète Martin Ewi, coordinateur technique du Projet ENACT, le programme de lutte contre le crime organisé transnational de lInstitute for Security Studies. Alors que seulement 30% des Africains habitent la sous-région, cette dernière abrite plus de la moitié des toxicomanes du continent. Au Nigeria, 14,4 % de la population consommaient de la drogue en 2018 selon lONU, contre une moyenne mondiale de 5,6 %. Ainsi, la culture ancestrale des drogues dites naturelles laisse place à une production industrielle étrangère, une utilisation généralisée et un vaste commerce dopiacés, tels que lhéroïne, de stimulants comme la cocaïne, auxquels sajoute le détournement de produits pharmaceutiques de synthèse. En 2017, les saisies de Tramadol sur le continent africain représentaient 88 % des saisies mondiales.

Larrivée de nouveaux produits de synthèse (NPS), des molécules psychoactives cherchant à imiter les effets des substances classiques, qui bien quidentifiées comme dangereuses ne sont pas listées parmi les substances interdites par les conventions internationales, plane sur le continent. « En 2013, des NPS ont été identifiés, pour la première fois en Afrique, sur l’île Maurice. L’Etat insulaire présente une situation unique avec une population plus consommatrice que passeuse. Il est actuellement le seul lieu d’implantation de ces nouvelles drogues. Néanmoins, la diffusion de cette pratique de consommation dans les différentes régions africaines pourrait avoir des conséquences dramatiques. Leurs prix abordables et leurs facilités d’accès les rendent attrayantes, tant pour les consommateurs expérimentés que pour les jeunes, hypothéquant alors l’avenir du continent. » alerte Richard Chelin.

1,3 milliard de dollars perdu pour les économies locales

Laugmentation de la consommation de substances illicites par les populations africaines engendre des addictions et un surcroit épidémique auxquels les hôpitaux et les rares infrastructures spécialisées ne sont pas en mesure de répondre, faute de moyens. Les consommateurs ne prenant aucune précaution font face à un risque dinfection et de transmission de maladies telles que le VIH et les hépatites. « L’épidémie de VIH qui a touché Maurice dans les années 2000 a principalement été alimentée par les utilisateurs de drogues par voie intraveineuse. Ces derniers représentaient 92% des nouveaux cas de la maladie en 2005 » illustre Richard Chelin. Les systèmes de santé déjà fragiles ne sont pas les seuls à plier face à laugmentation de la consommation de drogue. Pour lOffice des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), rien quen Afrique de lOuest, le trafic de drogue provoque pour les économies locales une perte annuelle denviron 1,3 milliard de dollars1. « Les cartels de la drogue ne paient pas d’impôts et sont connus pour détourner d’énormes fonds qui auraient pu être utilisés pour l’éducation, la santé, le développement des infrastructures, l’autonomisation des jeunes et d’autres secteurs clés de l’économie. » détaille Martin Ewi.

Des répercussions sécuritaires internationales

Responsable dune dégradation de la santé des populations et entrave au développement économique régional, le trafic de drogue est un fléau pour les Etats africains fragiles en proie à la corruption dictée par les contrebandiers. Martin Ewi constate que « les trafiquants de drogue infiltrent les gouvernements africains et les processus politiques, corrompent les politiciens et les fonctionnaires. Le trafic de drogue attire aussi le trafic d’armes, le trafic d’êtres humains, le blanchiment d’argent et d’autres activités criminelles organisées fortement associées à la violence ». Avec un taux de pauvreté parmi les plus élevés du continent, une scène politique très instable et une surveillance des frontières terrestre et maritime quasi inexistante, la Guinée-Bissau ciblée par les trafiquants sud-américains est devenue, en 2009, le premier pays africain qualifié de narco-Etat par lONUDC. La faillite du pays aux mains des cartels sud-américains et des mafias italiennes comme la Camorra nest pas restée sans conséquences sur la stabilité régionale. A la présence sur le territoire des barons de la criminalité organisée internationale, sest ajoutée celle des groupes terroristes d‘Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), de Boko Haram et du Mouvement d’Unité pour le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Conscients de lintérêt financier des activités de contrebande, 60% des groupes terroristes auraient un lien avec le trafic de substances illicites selon lAgence fédérale américaine Drug Enforcement Administration2. En Afrique de lOuest et au Sahel, les trafiquants payent un droit de passage pouvant atteindre 10% de la valeur globale de la cargaison aux mouvements islamistes qui proposent également un service de protection du convoi contre une rémunération supplémentaire.

Une coopération indispensable pour endiguer le fléau

Fléau mondialisé aux conséquences dévastatrices sur la sécurité internationale, le trafic de drogue en pleine expansion sur le continent africain fait lobjet de réponses multinationales. Rassemblés au sein dorganisations de coopération internationale comme les Organisations des chefs de police des pays de lAfrique de lEst (EAPCCO) et de lAfrique australe (SARPCCO), les forces de sécurité partagent des informations et adressent le fléau de la drogue conjointement. « Les politiques de lutte contre la drogue menées sur le continent ciblent principalement les consommateurs qui font l’objet d’arrestation tandis que les revendeurs et les trafiquants internationaux sont très rarement appréhendés. Or, ce sont ces derniers qui contrôlent le marché des drogues illicites. Il est nécessaire de changer d’échelle et d’adresser le problème à son origine, dans les pays d’où proviennent les substances et en ciblant les réseaux criminels qui les font voyager. Il faut repenser les consommateurs et les trafiquants africains comme étant les maillons d’un commerce mondial pour espérer endiguer l’expansion tragique de ce dernier » plaide Richard Chelin.

Au-delà du continent africain, des projets de coopération internationale permettent de lutter contre les réseaux de contrebande. Parmi eux, le projet AIRCOP financé par lUnion européenne et le Canada, mis en œuvre par lONUDC en partenariat avec INTERPOL, dans le but de lutter contre le trafic de cocaïne transportée au moyen daéronefs de laviation commerciale. Concrétisé, notamment, par la création, en 2018, de Cellules Aéroportuaires Anti-Trafics au sein de laéroport Osvaldo Viera de Bissau, le dispositif a depuis permis denregistrer le plus grand nombre jamais effectué de saisies de cocaïne acheminée par voie aérienne via lAfrique de lOuest. « Toutes les aides internationales que les Etats Africains peuvent recevoir sont les bienvenues. Les programmes menés par INTERPOL tendent à redonner une capacité aux forces africaines pour combattre le problème. Cela peut véritablement changer les choses, car les Etats seuls manquent malheureusement encore de fonds et de personnel. » insiste Richard Chelin.

Lannée 2021 qui marque le double anniversaire des conventions internationales déterminant le cadre juridique du contrôle des drogues sera loccasion de réfléchir à des outils supplémentaires pour répondre aux défis actuels et futurs que posent le trafic et la consommation de drogue en Afrique et dans le monde.

1 Source : RFI 2017 https://www.rfi.fr/fr/hebdo/20170317-afrique-le-developpement-trafic-drogue

2 Source : 2020 National Drug Threat Assessment