Malgré les chocs multiples de l’annexion de la Crimée, du déclenchement du conflit armé dans le Donbass et du début d’une dépression économique marquée, l’Ukraine confirme bien sa sortie de crise. Celle que l’on surnomme « le panier de l’Europe » poursuit son oeuvre de transformation et de modernisation en dépit des contraintes résultant du conflit avec la Russie parmi lesquelles la propagande visant à démontrer l’absence de viabilité de l’Ukraine indépendante et les innombrables cyberattaques. La France, appréciée pour ses compétences techniques et son sérieux, pourrait y voir un nouveau partenaire commercial de choix…
Par Elisabeth de France
Des réformes et une relance économique
Le mandat du président Porochenko, marqué par un élan réformateur sans précédent dans l’histoire de l’Ukraine post-soviétique a néanmoins déçu la population par le manque de résultats concrets notamment en matière de lutte contre la corruption. Une déception qui a conduit le candidat hors-système, l’acteur Volodymyr Zelensky, jusqu’à la présidence du pays avec 73% des voix au second tour de l’élection présidentielle de 2019. L’objectif désormais affiché est de transformer en profondeur le pays et de le rendre plus attractif pour attirer les investisseurs.
Les récents échanges et la visite fructueuse de Bruno Le Maire en mai dernier illustrent les premiers pas réussis de cette nouvelle politique. Lors de cette visite, l’Ukraine et la France ont en effet signé 4 accords intergouvernementaux, des commandes de près de 1,3 milliard d’euros, avec à la clé plusieurs centaines d’emplois en France et en Ukraine. Parmi les accords financiers signés, 370 camions-échelles conçus par le groupe Desautel pour le Service des situations d’urgence du ministère de l’Intérieur de l’Ukraine pour une valeur estimée à 300 millions d’euros. Une coopération qui devrait se voir renforcée entre les deux pays à la suite des « French Security Days » organisés par Business France, en partenariat avec le ministère de l’Intérieur ukrainien de juin dernier qui laissent entrevoir de belles perspectives.
Le secteur de la sécurité : prioritaire pour l’Ukraine
La Banque mondiale prévoit une croissance du PIB ukrainien de 3,7% en 2021. Le FMI plus optimiste mise sur +4% quand la Banque Nationale d’Ukraine plafonne à 4,5%. Avec une devise stabilisée, un ralentissement de l’inflation et un déficit budgétaire relativement maîtrisé, les signaux sont au vert pour l’Ukraine. L’indice de résilience du FM Global 2021 confirme : l’Ukraine est le pays ayant le plus progressé dans l’indice, passant de la 84e à la 63e place grâce à la consolidation de sa résilience dans plusieurs domaines, notamment la productivité, l’intensité pétrolière, l’exposition aux risques naturels, le cyber-risque inhérent et la lutte contre la corruption.
« Le secteur de la sécurité est devenu un secteur prioritaire pour l’Ukraine, faisant l’objet d’importants investissements. Le budget de la Défense a triplé depuis 2014 et s’élevait en 2020 à un chiffre record de 8,1 Mds EUR (15 % de plus qu’en 2019), soit 5,45 % du PIB. La taille du marché de la sécurité est estimée à 76 M EUR. » explique Ganna Grekulova, Conseillère export Industries & Cleantech Business France Ukraine.
Près de 90% des équipements de sécurité proviennent de l’importation, notamment de Chine, de Taiwan et de la Corée du Sud. Le segment de protection des biens est très concentré et reste dominé par l’Etat. Le seul opérateur public est la société « Police de Sécurité », une unité de la Police Nationale, seule à avoir le droit de porter et d’utiliser des armes, à la différence des structures privées. Elle possède le quasi monopole du marché de sécurité, protège plus de 160 000 propriétés et compte près de 750 équipes d’intervention.
Les secteurs porteurs pour les exportateurs français
La France figure déjà dans le top 5 des partenaires stratégiques de l’Ukraine pour la mise en œuvre de la Stratégie de sécurité nationale. Parmi les contrats clés, le contrat signé avec Airbus en 2018 pour l’achat de 55 hélicoptères civils utiliser dans le cadre de la surveillance des frontières et les situations d’urgence ou encore le contrat signé entre le ministère de l’Intérieur ukrainien et la société française OCEA pour 20 bateaux-patrouilleurs et un montant de 136 millions d’euros.
Vidéosurveillance et contrôle d’accès
Le marché de la vidéosurveillance en 2020 affichait 19 millions d’euros et celui des systèmes de contrôles d’accès 8,8 millions d’euros en 2019. De nombreux projets sont portés dans le secteur public à l’image de « Ville de Kiev sécurisé ». En septembre 2020, la capitale ukrainienne comptait déjà 6 200 caméras. Un nombre qui devrait continuer à croître avec de nouvelles fonctionnalités et notamment le recours à la reconnaissance faciale et à la lecture des plaques d’immatriculation. Autre projet, Custody Records lancé en 2020, dont le but est de lutter contre les abus de pouvoir des représentants de la police. Plusieurs caméras ont ainsi été installées dans certains centres de détention de la Police nationale dans le cadre de ce projet pilote qui devrait être relayé dans d’autres départements de police. Un marché qui devrait croître de l’ordre de 22 % dans les années à venir. « De plus en plus de clients finaux et intégrateurs se tournent vers les produits technologiques performants telles que l’analyse vidéo avancée ou les solutions basées sur l’intelligence artificielle. Malgré tout, le prix reste un facteur important sur le marché ukrainien pour la prise de décision d’achat. » précise Ganna Grekulova et d’ajouter « Les produits français sont connus pour être assez chers par rapport à leurs homologues européens. Mais les offres françaises bénéficient parallèlement d’une très bonne image auprès des Ukrainiens. Elle sont réputées pour leur qualité et la France est reconnue pour son sérieux auprès des partenaires publics et privés. Elle est aussi appréciée pour ses technologies performantes dans des domaines pointus. »
Protection des sites sensibles et drones
Les équipements de protection individuelle face au risque radiologique, chimique ou bactériologique nécessaires dans le cadre des missions antiterroristes ou de maintien de l’ordre public constituent un besoin majeur.
Le marché des drones, estimé en 2020 à 15,6 millions d’euros pourrait dépasser les 30 millions d’euros cette année. Le pays reste par ailleurs très actif dans la création de drones de guerre. Le drone SPECTATOR-M1 sert aux services de renseignement et le drone de combat “Grom” présente lui un tir de barrage conçu sur le principe d’un biplan avec 2 ensembles de surfaces, avec des équipements optico – eléctronique de guidage de missile… Enfin, le premier lot de drones Windhover a été livré à l’armée début 2021. Destiné à la surveillance, aux renseignements aériens, à la création de cartographie du terrain et à la collecte des coordonnées géographiques précises en temps réel, il peut être utilisé dans l’armée mais aussi en tant que drone civil à l’image du ministère des Situations d’urgence de l’Ukraine pour le monitoring des surfaces des incendies, lors de la recherche de personnes disparues, ou de la Garde Nationale et le Service des gardes des frontières pour la surveillance des frontières ou des opérations de sauvetages.
Cybersécurité
Depuis Not Petya ayant causé des pertes de l’ordre de 466 millions de dollars, soit 0,5% du PIB ukrainien, et aux nombreuses cyberattaques qui sévissent sur le pays, le marché de la cybersécurité se développe activement. En 2019, 6 000 cas de cybercrimes ont été enregistrés contre 1 795 en 2017.
La Banque Nationale d’Ukraine a pour sa part mis en place des normes de cybersécurité obligatoires pour les banques. Les objets de « l’infrastructure critique » doivent également respecter des exigences de cybersécurité et peuvent être soumis à des audits. Enfin, l’Ukraine coopère activement avec les partenaires internationaux dans le domaine du développement des systèmes de protection de l’information et de la cyberdéfense. Le pays a déjà reçu l’aide du gouvernement américain pour renforcer la cybersécurité des forces armées ukrainiennes. 75% des grandes entreprises ukrainiennes envisagent d’augmenter leurs dépenses de cybersécurité dans les années à venir.1
L’Ukraine se positionne comme un futur partenaire clé pour la France sur les marchés de sécurité en pleine croissance. Si les compétences techniques, technologiques de pointe et le sérieux des français sont très appréciés, la question du prix restera déterminante sans oublier la maîtrise de la langue ukrainienne, ou russe à minima !
Sources :
Business France d’après le journal SIB, 4/113/2020
1 Selon l’étude d’Ernst & Young Global 2018-2019