Quand les diamants brillent de sang…

Le 3 novembre 2014, – Rafael Marques, journaliste activiste angolais engagé contre la corruption, récompensé de plusieurs prix internationaux pour ses actions dans la lutte contre le trafic des diamants des conflits – publie la vidéo de deux mineurs de diamants soumis à une session de torture à la machette dans la concession minière Luminas, dans la province Lunda-Norte au Nigéria. « Durant les 20 dernières années, les affrontements sanglants et l’industrie minière ont constitué les deux revers de la même médaille » dénonce-il1. A la lumière d’un trafic qui perdure malgré les actions internationales engagées et le manque d’ambitions de certains Etats en la matière, une réforme du « Processus de Kimberley » semble a minima essentielle.

Par Pierre Tissier et Catherine Convert

Une ressource convoitée

En Afrique plus qu’ailleurs, les ressources diamantifères constituent un enjeu stratégique. Si on retrouve parmi les 7 pays qui produisent à eux seuls 95% du volume de diamants bruts dans le monde, la Russie, l’Australie et le Canada, les 4 autres pays se trouvent sur le continent africain : la République Démocratique du Congo, l’Angola, l’Afrique du Sud et le Botswana. Dans ce dernier, les mines représentent à elles-seules 90% des exportations du pays et 40% des recettes fiscales2.

Laccès à ces ressources nécessite d’importants investissements dans l’outil industriel et ce à toutes les étapes du processus de production. Rappelons que 80% des ressources de diamants sont utilisés à des fins industrielles. Le bort3 a plusieurs applications pour polir, couper, scier et forer. On le trouve aussi dans les nanotechnologies pour réduire les frottements entre les matériaux, agissant comme un roulement à bille.

Autant de richesses suscite de nombreuses convoitises ; de quoi générer une économie informelle et un trafic juteux. C’est ainsi qu’est né le trafic des « diamants du sang » (autrement appelés « diamants des conflits ») qui a vu le jour dans les années 1990.

La commission économique des Nations unies pour l’Afrique évalue quant à elle à 50 milliards de dollars l’ensemble des flux financiers illicites qui quittent chaque année le continent africain, soit un montant équivalent à celui de l’aide publique au développement que le continent reçoit.

Une réactivité internationale

Face à l’ampleur du phénomène, les pays producteurs de diamants d’Afrique australe se réunissent en 2000 à Kimberley (Afrique du Sud) pour mettre en place un mécanisme assurant la traçabilité des diamants bruts dans le monde et promouvoir un système de certification du commerce international de diamants bruts. C’est la naissance du « Processus de Kimberley » (PK) qui aspire parallèlement à assécher les finances des mouvements rebelles et des groupes armés menaçant des gouvernements légitimes. La diffusion de ce système est alors encouragée par l’ONU par le biais de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 29 janvier 2001. Au niveau européen, la transcription est assurée par le règlement 20 décembre 2002, instaurant un système de certification et de contrôle douanier des importations et des exportations de diamants bruts. « Diplomatiquement parlant, avoir mis en place un système de contrôle en si peu de temps est une véritable prouesse » commente Elise Rousseau, chercheuse au Fonds de la recherche scientifique (FRS-FNRS), rattachée à la Chaire Tocqueville en politique de sécurité de l’université de Namur (Belgique).

Cette initiative a notamment stabilisé des pays fragiles en garantissant des revenus grâce à l’intégration du commerce de diamants dans un cadre légal. Ce processus aurait également permis de réduire considérablement la part des « diamants des conflits » à 0,2% de la production mondiale, contre 15% avant sa mise en place4.

Dans la joaillerie, le Responsible Jewellery Council (RJC), créé en complément du PK, promeut des pratiques responsables, éthiques et environnementales, dans le respect des droits de l’Homme. Il s’applique à la totalité de la chaîne d’approvisionnement de la bijouterie en or et en diamant, de l’extraction à la vente au détail. Aujourd’hui, par souci éthique, de grandes sociétés de joaillerie comme Pandora se tournent vers des pierres synthétiques. Mais cela semble insuffisant au regard de l’impact marginal des gemmes sur le marché illégal de minéraux…

Une réforme difficile mais attendue

Si le PK a engendré des résultats intéressants, des limites persistent. Selon Élise Rousseau, l’hétéronyme « diamants de conflits » nuit à la cause, puisque seuls les diamants bruts « utilisés par les mouvements rebelles pour financer leurs activités militaires » – selon la définition de le l’ONU – entrent dans la ligne de compte du Processus. « L’assassinat de trois journalistes russes en République Centrafricaine, enquêtant sur les liens existants entre la société Wagner et le trafic centrafricain, montre que la définition onusienne est devenue obsolète » développe la chercheuse. « Paradoxalement, certains États d’Afrique australe refusent la révision de la définition pour des arguments néocolonialistes mais aussi économiques ! Si le PK était étendu, de nombreux gouvernements ne seraient plus aux normes alors que leur économie repose sur l’exportation de la ressource » complète-t-elle.

Alors que beaucoup misait sur une réforme du PK sous la présidence européenne en 2018, aucune n’a vu le jour. La majorité des États souhaite maintenir un statu quo. Aussi le processus de réforme est aujourd’hui « bloqué » selon Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’IFRI. Elise Rousseau juge néanmoins que la présidence européenne a eu le mérite « d’ouvrir la discussion » sur la définition des diamants des conflits et sur la modernisation du système de certification. La prise en compte grandissante des enjeux environnementaux pourrait pousser les Etats à s’investir sur le sujet des normes environnementales dans le cadre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 qui permettrait d’appréhender ce sujet sous un prisme nouveau tout en considérant les enjeux des gouvernements africains. Et Elise Rousseau d’ajouter « il faudrait imaginer des coopérations entre le secteur et le Forum pour que le Processus de Kimberley ne devienne pas caduc, puisque la problématique économique reste saillante. Il existe un risque que les consommateurs trouvent une solution aux diamants de sang de leur côté en s’intéressant aux entreprises éthiques dépassant les règles établies par le PK ».

La République de Centrafrique sous tension

Les conditions de sécurité en République centrafricaine se dégradent suite à la libération de villes minières de l’emprise des rebelles par l’armée nationale, épaulée par des mercenaires de la société Wagner. Le Conseil mondial des diamants et le Centre mondial du diamant d’Anvers ont publié un communiqué en février dernier sommant les acteurs du commerce mondial de diamants de faire preuve de prudence lors de la manipulation de diamants bruts pouvant provenir de la RCA, les incitant à n’acheter que des minerais satisfaisant les exigences minimales du système de certification du PK. La surveillance de la communauté internationale et la mise à disposition récente de ressources minières poussent la RCA à mettre en place des points focaux du Secrétariat permanent du PK, notamment à Bria en avril 2021. Selon Corbeaunews Centrafrique, ces derniers connaissent une pression importante de la part des mercenaires, pouvant mener à des démissions et un échec de ces volontés de régulation5. Le rapport publié par CNN et l’ONG The Sentry en juin dernier dénonce les exactions commises par les mercenaires russes. Le rapport mentionne « des massacres, exécutions extrajudiciaires, des cas de torture, de pillage, d’enlèvements pour rançon, d’incendies de villages et de viols collectifs »6. Des faits démentis par le Président centrafricain Faustin-Archange Touadéra7.

En Angola, Rafael Marques poursuit son combat en traquant les 100 milliards de dollars envolés lors de présidence de Dos Santos. Son objectif : « démolir la barrière de la peur » des citoyens et avoir enfin justice rendue.

2 https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/BW/situation-economique-et-financiere-du-botswana-avril-2018

3 terme employé dans l’industrie pour qualifier des diamants de faible qualité

4 https://diplomatie.belgium.be/fr/newsroom/nouvelles/2018/union_europeenne_preside_en_2018_le_processus_de_kimberley

5 https://corbeaunews-centrafrique.com/processus-de-kimberley-quand-les-mercenaires-russes-mettent-la-pression-sur-les-points-focaux-zonaux/

6 https://edition.cnn.com/2021/06/15/africa/central-african-republic-russian-mercenaries-cmd-intl/index.html

7 https://corbeaunews-centrafrique.com/enquete-speciale-de-cnn-sur-les-mercenaires-russes-en-rca-la-presidence-de-la-republique-denonce-un-double-jeu-a-interets-geostrategiques/