Début 2017, l’Afrique connaît un véritable saut d’étape numérique avec la blockchain. Le nombre d’utilisateurs internet explose et les États passent d’une absence d’état civil à l’usage de la biométrie lors des élections. Le Kenya propose déjà l’acquisition d’obligations d’État par cette technologie et la première Cryptocity au Sénégal est en cours de construction…
Par Catherine Convert
Un environnement favorable
IOHK et World Mobile Group ont annoncé en juin 2021 un partenariat unique pour démocratiser l’accès aux services numériques, financiers et sociaux en Afrique. Charles Hoskinson, PDG de IOHK – l’une des principales sociétés de recherche et d’ingénierie d’infrastructure blockchain au monde – déclarait : « Nous considérons la blockchain comme une force puissante pour le bien social » et d’ajouter « les pays en développement, en particulier en Afrique, dirigeront l’adoption mondiale de la technologie blockchain.» Pour le PDG, le manque d’infrastructures permettrait aux nations concernées de se moderniser et d’accueillir les nouvelles technologies innovantes avec bien plus d’enthousiasme que les économies industrialisées. Dans les années 2000, de nombreuses banques étaient déjà actives dans les grandes villes, mais l’accès était difficile pour la population rurale et les prestations élevées. Seule une fraction de la population détenait un compte en banque et les grandes distances complexifiaient l’échange de monnaie physique. L’arrivée des mobiles et de l’internet a été une avancée majeure, puisque les citoyens sans compte bancaire pouvaient enfin consommer, les téléphones portables étant plus facilement accessibles par la population. En Tanzanie, il y aurait actuellement près de 24 à 30 millions de personnes utilisant de l’argent mobile, contre 5 millions détenant un compte bancaire1. Entre juin 2019 et juin 2020, les transferts mensuels de moins de 10 000 dollars ont augmenté de 55%2, dont 4% en provenance du Nigéria, avec près de 259 millions de dollars transférés par an en 2018, suivi de l’Afrique du Sud avec 1,55% et du Kenya avec 0,39%
Un pied dans l’économie du futur
L’usage de cryptomonnaies tient un rôle majeur pour répondre à l’inflation des devises nationales en devenant des réserves de valeur. Le Soudan a connu une inflation de 500% entre 2016 et 2017 ! L’utilisation des cryptomonnaies permet de pallier un manque de confiance à l’égard des économies nationales. Pour autant, certains gouvernements choisissent d’embrasser cette technologie, en y voyant une vraie opportunité de transition numérique. À Madagascar, des tests autour d’un e-ariary sont menés pour un déploiement l’année prochaine.
Au delà du « crypto-actif », la cryptomonnaie est aussi un moyen de faire marcher une économie de façon durable. Si le bitcoin est largement utilisé au Nigéria, des altcoins font également leur apparition sur le continent comme l’Afro, l’africa master coin et le nurucoin. Un potentiel attirant déjà des projets comme celui du chanteur Akon (Aliaune Tham) qui a signé en juin 2018 un accord avec le Sénégal pour la création d’une ville orientée sur le blockchain et la cryptomonnaie – Akon City – s’étendant sur 8 km². Si la cryptomonnaie Akoin a déjà vu le jour en juillet 2020, le projet de ville est encore attendu. Ce dernier a permis de lever 290 000 dollars en octobre 2019. En 2025, il devrait être possible d’arpenter les rues de cette ville en y dépensant des Akoins.
Une opportunité pour les investissements
La KfW (Kreditanstalt für Wiederaufbau), banque de développement allemande, accorde de nombreux prêts et de subventions aux États en développement pour des infrastructures et investissements : « La banque a décidé de mettre en place, sur ses fonds propres, une application sur base de blockchain – la TrueBudget – pour gérer les décaissements multi-bailleurs de fonds financés par les budgets publics ». Les deux premiers pays dans le monde intéressés par le projet étaient le Burkina Faso et l’Éthiopie. « Sur des projets financés par des bailleurs de fonds, tout le processus administratif est géré en électronique (appels d’offre, avis de non objection, contrats). Ce qui prenait autrefois 6 mois peut aujourd’hui prendre quelques minutes, sans risque de falsification des documents fournis. ». Il y a désormais plusieurs projets gouvernementaux pour une application étendue de cette technologie, dans tous les ministères du Burkina Faso et au Ministère de l’éducation de l’Éthiopie pour le suivi de financement de la recherche. « Ce qui existe aujourd’hui pour le financement de projet par des bailleurs de fonds se déploiera à l’avenir pour la gestion de tous les budgets de l’État ». Aujourd’hui, le Burkina Faso fait un suivi de tous ses décaissements, permettant un gain de temps majeur, mais également une confiance de la part des potentiels investisseurs, qui auront accès en toute transparence aux différents travaux en cours. Pour Jean-Michel Huet « c’est aussi un outil permettant de pallier au manque de tiers de confiance en Afrique. Si les investisseurs voient que des outils de type blockchain sont mis en place, ils seront séduits par la transparence qu’elle permet, notamment pour les appels d’offres rendus publics. Ils permettront aux acteurs étrangers et nationaux de remporter des projets selon des compétences et non plus par la corruption. Ils sauront qu’ils ont une chance égale pour remporter un appel à projet. Ce sont également des usages dont nous aurions besoin en Europe ».
Réinventer une finance inclusive
L’inclusion financière est un véritable enjeu en Afrique lorsque la couverture bancaire est encore faible dans certains pays ou certaines zones. « Pour le Maroc, nous avons estimé que l’argent liquide représentait 0,2% du PIB du pays, puisqu’il faut l’imprimer, le sécuriser et le transporter » assène Jean-Michel Huet. La blockchain en Afrique devient alors un moyen d’améliorer la micro-finance et de s’assurer que les personnes sans compte bancaire « puissent avoir accès à des systèmes de paiement, que certaines femmes encore dépendantes du revenu de leur mari, puissent être payées en direct ». D’autres initiatives comme le Kiva Protocol du Sierra Leone permettent de réduire l’asymétrie d’information entre prêteur et créancier en offrant un système d’identification numérique basé sur la blockchain afin de faciliter l’octroi de crédit. L’utilisateur peut ainsi autoriser une banque à accéder à son historique de crédit, sans qu’aucun autre tiers ne puisse le voir.
Dans d’autres cas, l’usage de cryptomonnaies peut faciliter des transferts d’argent sur de longues distances lorsqu’une grande partie des flux financiers provient des diasporas. La plateforme de bourse décentralisée Stellar permet aux utilisateurs de transformer des représentations numériques en argent qu’ils peuvent facilement dépenser. C’est aussi un moyen de conserver des économies dans une devise stable pour ne pas perdre de richesses en cas d’inflation3.
L’International Data Corp prévoit des dépenses annuelles en matière blockchain de 11,7 milliards de dollars d’ici 2022, soit une hausse de 73,2% depuis 2019. Alors que la blockchain gagne progressivement du terrain à l’Assemblée nationale française depuis 2018, le Burkina Faso s’en sert déjà pour gérer le budget d’État. Et Mohammed Sear, EY Africa et Amrita Sethi, artiste NFT de conclure depuis l’Africa Blockchain Week4 : « les usages de la blockchain que pour lesquels nous sommes les plus enthousiastes sont les NFT et la tokenisation des smart contract. » Affaire à suivre…
1 https://www.stellar.org/blog/making-cross-border-b2b-payments-easier-in-east-africa-with-clickpesa
2 https://www.jeuneafrique.com/1151769/economie/bitcoin-akoin-ubuntu-lafrique-peut-elle-faire-confiance-aux-cryptomonnaies/
3 https://www.stellar.org/foundation
4 juin 2021