Des perles pour orner des récits

Fondé en 1998, le collectif Ubuhle envoie des messages d’espoir aux femmes et enfants du monde entier au travers du Ndwango. Munies de perles et d’étoffes parfois récupérées, les femmes du collectif illustrent leur histoire, leurs espoirs et leurs incertitudes. Beverly Gibson, co-fondatrice et responsable des ventes du collectif, parle au nom de ces femmes dont les travaux sont aujourd’hui exposés dans les plus grands musées du monde.

Par Catherine Convert

La naissance d’Ubuhle

Le collectif naît de la rencontre entre Beverly Gibson et Ntombephi Ntobela également appelée « Induna », un titre de grand respect reconnaissant son statut de leader dans le collectif et dans une communauté. Une distinction qui lui est chère dans une société rurale sud-africaine « dominée par la misogynie ». Pour ce projet, Beverly met son éducation occidentale au service de l’image du collectif et de la commercialisation, pendant que Ntombephi, l’artiste en chef, met son influence au profit des femmes du collectif. « Lorsque nous avons commencé en 1998, nous étions dans une époque bien différente de celle d’aujourd’hui. Il y avait moins d’acceptation et nous avons dû nous battre pour que notre art et notre métier soient valorisés. Nous voulions fournir une plateforme où les femmes déterminées à acquérir une indépendance économique, puissent l’avoir grâce à leurs compétences et leur travail. »

Des artistes à part entière

« Lorsque Ntombephi a été reconnue comme artiste internationale par Jeannette Cole au Smithsonian de Washington DC, pour la création du premier Ndwango et le développement du genre, cela a été un réel accomplissement ». Le Smithsonian ne reconnaît pas uniquement les travaux de Ntombephi, mais aussi ceux de toutes les femmes du collectif, devenant, elles aussi, des artistes à part entière. « Avoir été reconnues par cet établissement montre que ces femmes sont nées artistes. Elles avaient simplement besoin de quelqu’un pour leur donner le matériel nécessaire à leur expression. La reconnaissance par le Smithsonian, c’est aussi leur montrer qu’elles sont considérées pour leur art et non pas pour leur condition de femmes brisées et leur passé. Il donne une véritable intégrité à leur art ». Les artistes ne veulent montrer que le positif, en se concentrant sur les opportunités plutôt que sur les blessures du passé. « Nous voulons montrer notre folle histoire de voyage, qui nous a emmené des profondeurs de l’Afrique rurale aux galeries d’art sophistiquées et dans les musées du monde ! Dans un monde où il y a tant de tragédies, de difficultés et de tristesse, nous voulons donner aux gens de la joie et de l’espoir » !

Un bras de fer contre les vestiges de l’apartheid

Les femmes noires n’ont pas seulement rencontré des restrictions et des politiques délibérées de sous-éducation ou de privation d’éducation occidentale sous le régime d’apartheid ; le sexisme est lui aussi proéminent : « la société sud-africaine est incroyablement sexiste et l’inégalité des sexes est davantage renforcée dans une société dominée par la misogynie. Les enfants sont éduqués différemment, les petits garçons sont traités avec plus de considération que les petites filles. La violence est acceptée comme un jeu ! Les remarques et les comportements sexistes ne sont pas contestés » déplore Beverly. « La société sud-africaine en vient à considérer la violence envers les femmes comme une norme, où les femmes et les filles acceptent leur responsabilité de servir les garçons et les hommes. Elles en viennent à douter de leurs forces et beaucoup vivent sans but » poursuit-elle. Aussi, le collectif Ubuhle aide t-il à lutter contre la dépendance financière : « notre philosophie est de faire en sorte que les femmes puissent disposer des revenus de leur art comme elles le souhaitent. Elles ne sont pas dans une usine. Ce sont des femmes indépendantes, sages, compatissantes et fortes » .

Un parcours jonché d’obstacles ?

Dans la société dépeinte par Beverly, le succès apporte aussi son lot de menaces : « Dans notre société, les hommes et les femmes peuvent être menacés par leur succès. Nous avons parfois été punis pour cela. La jalousie et l’envie existent partout et peuvent rapidement prendre pour cible ceux qui réussissent » et d’ajouter « nous comprenons la responsabilité de parler, dêtre forts et puissants, mais nous devons également être sages et ne pas provoquer lorsqu’il n’y a pas de conséquences positives ». Et la co-fondatrice d’honorer surtout les gens qui ont cru en elles : « ils sont nombreux et se sont investis en achetant nos oeuvres. Nous souhaitons les honorer dans notre histoire. Beaucoup d’entre eux sont notamment des hommes ».

Trouver refuge sous l’aile d’Induna et Zandile

Le collectif ne veut en aucun cas prendre une dimension politique : « Ubuhle n’est pas une revendication politique. C’est une impulsion des femmes rurales en Afrique du Sud pour une prise de conscience de leurs compétences, de leur courage et de leur éthique » affirme Beverly. La décision de transformer le collectif en activité économique est à la fois une conséquence mais aussi la condition d’une discipline et d’une implication extraordinaires de ces femmes dans leur nouvelle vie professionnelle : « il n’y avait pas de vendredi libres. Chez Ubuhle, si ces femmes sont déterminées à réussir, elles doivent travailler. Nous créons des produits d’excellence en combinant compétences et esprit créatif, et surtout, en n’exploitant jamais personne. Au début, le défi état immense ! Nous avons commencé sous un arbre dans un jardin, loin d’imaginer que nous serions un jour reconnues ». Une éthique centrale portée par Zandile Ntobela – l’une des cinq artistes reconnues comme fondatrice du nouveau genre Ndwango – et Induna, qui animent des workshop pour former des jeunes filles à l’art, leur parler de confiance et d’émancipation. « Nous avons soutenu des orphelinats et différents projets en offrant certaines de nos oeuvres » précise Beverly. Un don généreux lorsque les travaux de Zandile sont aujourd’hui recherchés par des collectionneurs privés et représentent plusieurs centaines d’heures de travail. Cinq femmes du collectif sont décédées du Sida ou de cancers, mais les artistes s’attachent à apporter un soutien important à leurs enfants et familles grâce à la vente de leurs oeuvres.

Ubuhle s’engage aux côtés des femmes qui doivent prendre conscience de leur valeur, de leur pouvoir et affirmer leurs objectifs. Les artistes du collectif ont réussi le premier pari et souhaitent désormais étendre leur philosophie à une communauté plus large. « Pour qu’une tradition survive, elle doit évoluer. Le Ndwango s’est enrichi au rythme des vies de ses artistes. C’est un cadeau qu’elles ont légué au monde et qui doit continuer d’être partagé et transmis au-delà des frontières de l’Afrique du Sud. » confie Beverly.