ComCyberGend, la Gendarmerie en ordre de bataille sur le cyberespace

« Nous sommes tous a un seul clic d’une attaque cyber. » Fort de ce constat et dans le cadre de la stratégie de transformation et de modernisation Gend 20.24, le Directeur Général de la Gendarmerie nationale (DGGN), Christian Rodriguez, porte le tournant numérique de l’institution et la montée en puissance de la chaîne cyber souhaitée par le ministère de l’Intérieur. Elément essentiel à la souveraineté numérique du pays, la lutte contre la cybercriminalité mettant à mal la démocratie comme la prospérité économique fourbit ses armes. Pleinement opérationnel depuis août dernier, le ComCyberGend est le premier jalon avant l’élaboration d’un service cyber à compétence nationale mixte réunissant police et gendarmerie dont la synthèse des travaux préparatoires sont attendus par le ministre à lhorizon 2022.

Retour sur les enjeux et les défis qui attendent le ComCyberGend avec le général de division Marc Boget.

Propos recueillis par Camille Palmers

Répondre aux besoins des territoires

En 2020, la gendarmerie a enregistré une augmentation de 22 % du nombre de faits liés à la cybercriminalité par rapport à l’année précédente, pour un total de 100 161 faits. Si les trois-quarts sont des escroqueries, les menaces en ligne tout comme les propos diffamatoires, injurieux et haineux sur les réseaux sociaux (5 300 faits recensés) ont également explosé. Aussi, le général Boget l’affirme : « La prochaine crise de grande ampleur sera cyber. » Les élections présidentielles en 2022, la présidence française de l’Union européenne au premier semestre 2022 mais aussi « la coupe du Monde de rugby en 2023 et les JOP de Paris en 2024, sont autant d’événements où il est certain que nous serons soumis à une menace cyber importante. Nous en observons déjà les prémices et la nécessité d’être plus efficace dans le domaine est une urgence ». Avec une augmentation de 22% en 2020 et des prévisions portant à 120 000 le nombre des procédures judiciaires liées à des faits de délinquance dans le cyberespace ouvertes cette année, les chiffres effrayants de la cybercriminalité – pourtant encore bien en-deçà de la réalité puisqu’en moyenne seulement une plainte est déposée pour 267- confirment le caractère prioritaire de la montée en puissance de la gendarmerie en la matière. Né par arrêté du 25 février 2021, le commandement de la gendarmerie dans le cyberespace (ComCyberGend) deviendra une formation administrative pleine et entière, dotée d’une autonomie budgétaire propre, à compter du 1er janvier 2022.

Les instances en charge de la cybersécurité, pierres angulaires de la transformation numérique et de la résilience collective française et européenne font face à un manque de visibilité que le ComCyberGend entend résorber. « Alors que la menace est croissante, un sondage effectué par la plateforme Cybermalveillance.gouv.fr en 2017 a révélé que seules 0,6 % des personnes interrogées savaient à qui s’adresser en cas de problème cyber. Une véritable faiblesse dans la stratégie de souveraineté numérique nationale » déplore le général Marc Boget à laquelle il entend « répondre avec l’ensemble des acteurs qui compose désormais un dispositif étoffé et structuré. La réponse ne sera que collective. » Implanté au cœur du Campus cyber de la défense, l’Etat major du ComCyberGend composé de divisions dédiées respectivement à la proximité numérique, aux enquêtes numériques, à l’appui aux opérations numériques et à la stratégie partenariale, bénéficiera d’une proximité avec l’ensemble des acteurs français lui permettant d’apporter « une réponse graduée et complète, au plus près des besoins. »

De nouveaux visages

« La force de la gendarmerie tient à sa capacité à agréger ses ressources sous un commandement unique permettant une réponse proportionnée et de proximité aux crises » déclare le général. Avec déjà plus de 7000 collaborateurs intervenant à tous les échelons : C-NTECH1 au niveau des brigades, NTECH2 au niveau départemental, C3N3 dans les sections de recherches des JIRS4 qui passeront à court terme de 11 à 14 et les départements informatiques de l’IRCGN5 au niveau national ; le ComCyberGend fait de son allonge sur les territoires sa principale arme contre la cybercriminalité. C’est un virage marqué qui s’opère pour l’administration militaire qui met désormais l’accent sur les profils scientifiques dans ses processus de recrutement et ses formations au sein de e-compagnies.« Alors que le temps dédié à la formation au numérique des élèves gendarmes dans une compagnie classique représente 7 à 8%, il atteint 25 à 30% de la formation dans ces e-compagnies. » Et le Général de rappeler « Le but n’est pas de former que des experts dans la branche technique mais d’irriguer une véritable appétence et connaissance des problèmes numériques partout au sein de la maison gendarmerie ». La création d’un bureau de la réserve cyber au sein du commandement des réserves de la gendarmerie est un élément majeur de la mise en ordre de bataille de l’institution. « L’objectif est de mettre en place une véritable communauté cyber intégrant pleinement les réservistes. De nombreuses initiatives intéressantes sont menées dans les régions, notamment en matière de prévention ou d’accompagnement des victimes. Des outils et supports d’excellente qualité tels que des travaux scientifiques dans le domaine des sciences humaines et de la psychologie sont longtemps restés cantonnés à leur périmètre propre. Il est temps d’en prendre connaissance et de les relayer en les enrichissant d’autres réflexions. » s’enthousiasme le général Boget.

Un modèle partenarial à suivre

Pour être à la hauteur de ses ambitions, le ComCyberGend s’appuiera sur une politique partenariale étendue à l’ensemble de l’écosystème cyber à l’instar des grands industriels, de l’ANSSI, des associations d’élus ou des associations professionnelles, comme l’Association des agents d’assurances, lesquels se retrouvent souvent démunis quand leurs clients sont victimes de rançongiciels mais aussi avec l’Éducation nationale, pour aborder notamment le fléau du cyberharcèlement et les grandes écoles et universités dans le domaine de la formation.

Si de nombreux partenariats ont d’ores et déjà été conclus, d’autres sont en cours de construction. Ainsi, un courrier présentant le dispositif immunité cyber, prenant la forme d’un questionnaire d’auto-évaluation, co-signé par le ministre de l’Intérieur, l’Association des maires de France et Cybermalveillance.gouv.fr a été adressé aux 30 000 adhérents de l’Association des Maires de France, début septembre. L’objectif : permettre aux collectivités de dresser un état des lieux de leur niveau de protection et, en fonction, de lier prévention et investigation en leur proposant de prendre contact avec la gendarmerie pour obtenir des conseils, voire de l’aide et un accompagnement.

L’intelligence collective sera la clé. L’arrivée de la France à la Présidence de l’Union Européenne, qui entend faire du numérique l’une de ces trois priorités, représente un moment stratégique pour renforcer la coopération et la souveraineté européenne. « Si la sécurité nous pousse parfois à nous enfermer dans la forteresse du secret, je ne peux qu’être optimiste quant à la capacité des acteurs européens à saisir l’importance de la coopération en matière de cyber. Dans ce domaine plus qu’ailleurs, nous avons conscience que les frontières n’existent plus » explique le général rappelant la coopération historique de 42 Etats dans le cadre d’une enquête orchestrée par Europol qui se veut l’illustration d’une cybercriminalité déterritorialisée et transnationale par nature, face à laquelle la puissance européenne et internationale peut faire barrière. Une force de frappe qui devrait se densifier au travers de la Joint Cyber Unit, dont la création a été proposée par la Commission européenne en juin dernier dans le but de réunir les ressources et l’expertise dont disposent l’UE et ses États membres afin de prévenir et de gérer les crises cyber.

« Les forces de sécurité et leur aptitude à travailler main dans la main vont servir de socle pour la construction d’une véritable souveraineté numérique. En fédérant autour d’elles les industriels qui développent des solutions au service des institutions publiques, les forces de l’ordre peuvent servir de ciment entre les différents pays et illustrer la capacité européenne à mettre en œuvre un niveau élevé de résilience pour l’Europe.» conclut le général Boget.

1 C-NTECH : Correspondants en technologies numériques

2 NTECH : enquêteurs en technologies numériques spécialisés

3 C3N : Centre de lutte contre les criminalités numériques

4 JIRS : Juridictions inter-régionales spécialisées

5 IRCGN : Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale